Une des caractéristiques de la politique belge en matière de gestion des situations liées aux usages de drogues illicites réside en ce sentiment d’avancée et de recul en même temps. En effet, une fois de plus, des incohérences continuent à courir, sans doute influencées en partie par l’émoi que les drogues suscitent souvent de façon tout à fait irrationnelle.
D’une part, et ce malgré le contexte prohibitionniste, la Ministre francophone de la Santé Nicole Maréchal , prend position en faveur d’une politique de réduction des dommages et des risques liés aux usages des drogues. Elle plaide pour une politique qui vise prioritairement l’amélioration des situations de consommations de produits qui, de par leur illégalité, mettent davantage en danger la vie de leurs usagers.
Quant au Ministre de la Justice, il considère cette démarche comme une autorisation d’usage de produits interdits par la loi. Comment peut-on à la fois interdire la détention de certaines substances et ‘favoriser’ leurs usages dans de bonnes conditions?
Les deux positions sont cohérentes relativement à la logique sur laquelle elles s’appuient, d’un côté les substances sont interdites par la loi (donc, on doit prendre des mesures par rapport à ça), de l’autre, il est essentiel de réduire les dommages liés à leurs usages en termes de santé publique, quel que soit le statut des substances. La cohabitation entre ces deux options ne peut toutefois qu’engendrer la confusion.
D’autre part, nous constatons que, de plus en plus, les policiers entrent dans nos écoles primaires et secondaires pour faire de la prévention auprès des élèves. Il n’est d’ailleurs pas rare de les entendre parler de réduction de risques en parlant de leur travail de prévention. Sans être corporatistes, sans vouloir défendre notre ’bout de gras’, cette évolution nous pose de nombreuses questions.
La santé mentale et physique des individus relève-t-elle plutôt des compétences du ministère de la Santé ou de celui de la Justice ? Tout comme dans le champ éducatif, est-ce aux policiers fédéraux ou aux enseignants (et à l’ensemble de l’équipe éducative) d’occuper une fonction éducative auprès des jeunes?
Par une lecture linéaire et simpliste, ce rapport semble évident: certaines drogues sont interdites, donc la prévention de leurs usages auprès de différents publics revient aux agents répressifs. Cela semble moins évident de penser que, du même coup, le policier doit se substituer à l’enseignant dans son rôle d’éducateur dans le cadre scolaire s’agissant des questions d’usages de drogues. De même, peut-on imaginer que, par rapport au vol (acte illégal), on fasse appel aux policiers pour enseigner la morale?
Pour la plupart des intervenants psycho-sociaux travaillant dans le domaine de la prévention des assuétudes, un des facteurs majeurs produisant nombre des conduites à risques dans nos sociétés occidentales est celui du manque de démarquage clair notamment entre les générations, entre le féminin et le masculin, etc. produisant ainsi de plus en plus de confusion dans les rôles et les fonctions que chacun a à occuper.
De ce fait, la reproduction de cette confusion à d’autres niveaux peut être très dommageable, surtout pour les jeunes en quête de leur identité.
Si l’appel aux policiers dans le cadre scolaire pour parler de leur domaine, leurs missions et leur métier (comme fonction existante et importante pour le fonctionnement de la société) peut avoir un certain sens par rapport à l’apprentissage civique, par contre leur présence comme interlocuteur pour débattre avec les jeunes de ‘l’estime de soi’, de ‘comment faire face à la pression d’un groupe’, etc. produit du non-sens.
La prévention des assuétudes ne s’inscrit-elle pas avant tout dans le domaine des relations humaines, les relations que les humains entretiennent entre eux et avec ‘les choses de l’existence’, donc relevant de l’éducation et du social ?
On se trouve en effet au croisement de deux logiques différentes, voire même opposées. On assiste à une confusion des rôles et des compétences lorsque le policier prend la place du professeur.
Si en matière de réduction des dommages et des risques liés aux usages, on peut se réjouir d’une évolution qui va dans le sens d’une prise en compte de l’intégrité et de la dignité des usagers de drogues, on peut aujourd’hui s’inquiéter d’un retour en arrière dans le domaine de la prévention lorsqu’on accorde la primauté à l’approche sécuritaire au détriment d’une approche éducative et préventive. Azadeh Banaï , Infor-Drogues Article déjà paru dans ‘Brèves de Comptoir, etc.’ de Modus Vivendi