Le cœur de 90 médecins généralistes et de 9000 de leurs patients bat au rythme de la prévention. Initié et soutenu par la Communauté française, le projet pilote de dépistage et de prévention du risque cardiovasculaire global bat son plein depuis le début de cette année, avec pour objectif plus large une évolution des pratiques en médecine générale vers plus de prévention et de promotion de la santé. Premiers résultats attendus dans les semaines qui viennent.
Responsables d’un décès sur trois, les maladies cardiovasculaires sont la première cause de mortalité en Communauté française. A l’origine, des facteurs de risque liés à notre style de vie tels que la consommation de tabac ou d’alcool, l’obésité, le stress, la sédentarité ou d’autres facteurs comme l’hypertension, l’hypercholestérolémie et le diabète.
En 2003, Nicole Maréchal , alors ministre de la Santé pour la Communauté française, avait fait de la prévention de ce problème de santé publique son cheval de bataille. « Les facteurs impliqués dans l’apparition des troubles cardiovasculaires ayant été clairement identifiés , il faut maintenant les combattre ‘ à la racine’ , chercher à influencer certains styles de vie et proposer un dépistage adapté et ciblé », estimait-elle.
Un combat d’envergure auquel la ministre a tenu à associer le médecin généraliste, dont le rôle « est reconnu à la fois par la population qui voit en lui un scientifique de proximité librement choisi et par les décideurs politiques et les responsables sanitaires qui le considèrent comme le maillon essentiel de la réussite des actions de santé ». C’est ainsi qu’était lancé, en octobre 2003, un «Programme de prévention cardiovasculaire en médecine générale», en association avec différents partenaires (Société scientifique de médecine générale, Fédération des maisons médicales, Centres universitaires de médecine générale de l’ULB, l’ULg et l’UCL, Observatoire de la Santé du Hainaut, Ecole de Santé Publique de l’UCL, Question Santé, Forum des Associations de généralistes…).
Après une phase préparatoire (concertation, état des lieux des actions de prévention menées en Communauté française, définition des fonctions nécessaires à un programme de prévention cardiovasculaire, identification des intervenants potentiels), une phase expérimentale met, aujourd’hui encore, à contribution quelque 90 médecins traitants, volontairement impliqués. Objectif: l’identification et le suivi du risque cardiovasculaire global.
Un projet
Concrètement, huit associations de médecins (deux de plus que prévu initialement), réparties sur tout le territoire de la Communauté française, ont répondu à l’appel. Dans chacune d’elles, 10 à 15 généralistes ont accepté de participer au projet, soit 90 généralistes impliquant 9000 patients. Après avoir suivi une formation au dépistage cardiovasculaire global et à la prise en charge des facteurs de risque, ces médecins généralistes ont pour mission de sensibiliser, avec leur accord préalable, 90 patients réguliers de 30 à 75 ans pris au hasard (3 patients successifs d’une même consultation, trois fois par semaine, entre le 15 février et le 15 mai 2004) et de recueillir soigneusement, sur base d’un protocole, non seulement les données sanitaires de ces derniers mais aussi des «élément de facilitation en vue d’une amélioration des pratiques», à commencer par la réaction de la patientèle à l’initiative et ce qu’elle évoque comme facteurs freinant ou favorisant la prévention.
Pour son fonctionnement, chaque groupe a reçu un budget de 7500 euros.
Un Centre coordinateur
En amont de ce long parcours, il y a la mise en place l’an dernier en Communauté française d’un Centre expérimental de référence pour la promotion cardiovasculaire en médecine générale, réunissant les différents associés au projet (lire plus haut). Le pilotage de ce Centre de référence a été confié à la SSMG et à la Fédération des maisons médicales, avec l’appui de l’expertise du Professeur Benoît Boland .
Après avoir défini un consensus de tous les partenaires sur les recommandations en prévention cardiovasculaire en médecine générale, le Centre a rédigé un protocole détaillé reprenant les paramètres à relever en terme de dépistage (tabagisme, sédentarité, alimentation, tension artérielle, poids, indice de masse corporelle, risque cardiovasculaire global, cholestérol et glycémie).
Il a ensuite organisé les formations destinées aux généralistes participants. Pour ce faire, chaque association a envoyé deux ou trois délégués dans les réunions de formation, délégués qui ont ensuite servi de formateurs-relais auprès de leurs confrères participants.
Chargé de centraliser les données, le Centre de référence devrait tirer ces jours-ci un premier bilan de l’expérience avant de développer des outils d’information adaptés, à destination des patients et des professionnels concernés par la prise en charge des facteurs de risque cardiovasculaire (généralistes, cardiologues mais également diététiciens, kinés, psychologues et autres professionnels de première ligne).
Des outils pratiques
Pour les aider dans leur tâche de dépistage et de prévention, les généralistes participants disposent de deux outils.
Une plaquette qui leur indique «Comment déterminer le risque cardiovasculaire (RCV) global». Une démarche rapide, centrée sur l’anamnèse et l’examen clinique, destinée à être immédiatement intégrée à la pratique courante. En posant simplement quelques questions précises, le médecin peut regrouper ses patients dans trois catégories: les patients à faible risque cardiovasculaire, les patients à haut risque et les patients à risque intermédiaire ou moyen, dont le risque est à déterminer par un examen supplémentaire (prise de sang). « Pour cette première phase pilote , il a été demandé aux médecins de suivre en priorité les patients à haut risque en danger potentiel d’avoir un accident cardiovasculaire sérieux dans les dix prochaines années », explique le Dr Jean Laperche , représentant de la Fédération des maisons médicales (FMM) et l’un des responsables du projet. Ces patients à risque sont donc invités à une deuxième consultation centrée uniquement sur la ‘santé cardiovasculaire’.
Pour ce faire, un deuxième outil a été créé, un guide d’entretien qui suggère au médecin qui revoit le patient à risque, quelques questions lui permettant de rencontrer le monde du patient, de parler avec lui de ses projets de vie, ses envies de changement, ses possibilités de changement, ses préférences dans le choix des sujets de discussion (tabac, alimentation, activité physique, excès de poids…). Il s’agit ici d’un outil destiné à aider le médecin dans l’accompagnement de son patient. L’objectif étant bien entendu de trouver des pistes permettant de travailler plus avant avec le patient autour des facteurs de risque qui le concernent, dans une négociation commune et une confiance réciproque.
Des outils d’évaluation
En parallèle de ces consultations, les médecins sont invités à répondre à des questionnaires dont les résultats permettront d’évaluer l’acceptabilité par les médecins généralistes de la stratégie mise en place et des outils conçus pour l’appliquer, ainsi que la faisabilité de cette démarche. L’impact à court terme de ce projet devrait être analysé très bientôt.
Au niveau des patients, Jean Laperche rappelle que « d’autres études ont déjà montré que les patients sont très contents que le médecin s’intéresse à eux et à autre chose que le motif initial de la consultation . Ils aiment bien qu’on les prenne en charge et qu’on s’intéresse à leur santé .» Selon lui, « quand un patient est prêt et qu’il estime que c’est une priorité dans sa vie , il revient facilement . Tant qu’il n’est pas prêt , il ne faut pas le lui proposer . Mais s’il a envie de faire quelque chose pour son poids ou pour son cœur , il revient pour en parler . Le médecin peut alors petit à petit voir ce qu’il y a moyen de mettre en place pour la fois suivante : une consultation chez une diététicienne , un peu d’exercice physique … Des petites choses toutes simples mais qui ont été validées dans la littérature et qui apportent des bénéfices rapidement et visiblement , ce qui est encourageant pour le patient .»
Par contre, côté médecins, il semblerait que la cause ne soit pas encore entièrement gagnée. « Les médecins sont un peu déstabilisés parce qu’ils ne sont pas habitués à ce type d’approche », explique le Dr Laperche. « Outre le fait qu’une certaine résistance persiste encore dans le chef des praticiens en matière de prévention , les médecins adhérant au projet doivent assumer une surcharge de travail ( notamment administratif ), et une consultation supplémentaire essentiellement axée sur l’entretien et la communication dans laquelle certains sont parfois un peu moins à l’aise .»
L’un des objectifs de ce projet est d’ailleurs aussi de faire naître des changements dans le comportement du généraliste. Un ‘questionnaire sur la prévention cardiovasculaire’ (remplis par les médecins participants en début et en milieu de parcours) permettra ainsi d’évaluer l’évolution des connaissances, attitudes et pratiques déclarées. Enfin, des baromètres (intérêt, utilité, utilisation…) et un ‘questionnaire d’évaluation finale’ seront soumis en octobre prochain à l’ensemble des médecins participants.
Une philosophie au long cours
« C’est vraiment une dynamique positive d’approche centrée sur la personne », explique le Dr Jean Laperche. « Les généralistes sont notre premier public . On leur donne des outils pour les aider et on leur fait confiance . Le généraliste est habitué à faire confiance au patient . Nous , nous faisons confiance au généraliste .» Une philosophie d’action plus efficace que les contraintes ou les interdits, et par ailleurs appréciée, commente le Dr Laperche.
Cette expérience de prévention cardiovasculaire devrait, à terme (c’est-à-dire en septembre 2005 selon le calendrier initial), être généralisée à l’ensemble de la Communauté française. Mais le Dr Laperche reste prudent. « On va d’abord élargir le projet à quatre autres groupes de praticiens et suivre ces 12 groupes à partir de septembre 2004 .» Outre les inévitables impératifs budgétaires, Jean Laperche prône pour une évolution progressive, préférant la diffusion en tâche d’huile aux grands chambardements…
En aval devraient également intervenir les autres professionnels – médecins spécialistes et autres intervenants de première ligne. Un Comité scientifique, dont la composition reflète les propositions de chacun des partenaires de 2003, se penchera sur ce projet début octobre 2004. « On devra aussi établir des liens avec les autres centres de référence : dépistage du cancer du sein , sida …», explique Jean Laperche. « Ca paraît éloigné mais quand on dépasse l’aspect maladie ( cancer , cœur …), on se rend compte qu’en amont , les déterminants de santé sont les mêmes : tabac , style de vie , activité physique , etc . On a intérêt à avoir un socle commun pour une approche globale de la santé et qui passe toujours aussi par la médecine générale . C’est vers ça que l’on tend maintenant . Et il faudra que ça ait une pertinence et une cohérence pour le généraliste qui va être sur – sollicité …»
Un programme en parfaite harmonie avec le décret de promotion de la santé revu l’an dernier et qui intègre maintenant la médecine préventive. « Ce décret oblige les acteurs à se concerter », remarque le Dr Jean Laperche. « Si pour les médecins , les obstacles réels sont nombreux quand ils veulent faire de la prévention , au niveau des mentalités , le grand public , les patients sont prêts , ils sont demandeurs . L’adage ‘ Mieux vaut prévenir que guérir’ fait partie de la culture . Le problème se pose au niveau des médecins qui sont d’abord préoccupés par les maladies , qui veulent une réponse concrète à une demande immédiate . Là , il faut tout doucement les sensibiliser à ne pas donner qu’ une réponse immédiate et penser aussi à des choses que les gens ne demandent pas . Ca bouge un peu mais il y a encore du chemin à faire …»
Myriam Marchand
Centre expérimental de référence pour la promotion cardiovasculaire en médecine générale, c/o SSMG, rue de Suisse 6, 1050 Bruxelles. Courriel: ssmg@ssmg.be.