“Tous les évaluateurs devraient connaître les théories de l’évaluation parce qu’elles sont au centre de notre identité professionnelle. Elles sont qui nous sommes’. C’est ce que soutient William Shadish en 1997 dans son discours inaugural de l’assemblée annuelle de l’association américaine d’évaluation.
À l’époque de l’évaluation de quatrième, voire de cinquième génération (orientée vers les décisions et négociée, participative, émancipatrice…), ne faut-il pas aller plus loin et étendre cette déclaration à l’ensemble des acteurs à qui l’on demande de s’impliquer activement dans des démarches d’évaluation ? L’évaluation devrait-elle devenir une part de leur «identité professionnelle» en promotion de la santé ?
Pourquoi pas ? En effet, quand on parle de théories de l’évaluation, il s’agit bien d’un effort de théorisation des pratiques. En ce sens la théorisation est bien actuellement la meilleure manière d’identifier et de décrire ce qu’est l’évaluation pour chacun d’entre nous. D’autant plus que, comme le montre Françoise Jabot , les pratiques d’évaluation vont bien au-delà de compétences et de savoirs techniques, elles sont porteuses d’enjeux pour les opérateurs et pour les populations. La question du «Comment va-t-on réaliser l’évaluation ?» et ses réponses dépendent du contexte de l’évaluation et de sa finalité. Au-delà des références aux disciplines statistiques et à l’épidémiologie, les fondements de l’évaluation ont été investigués par les sciences politiques et administratives, la sociologie, l’épistémologie, l’anthropologie.
Si évaluer, c’est essentiellement porter un jugement sur la valeur d’un objet clairement défini à partir d’informations méthodiquement recueillies selon des critères explicitement énoncés pour ensuite décider des mesures à prendre qui découlent de ce jugement (Midy) (…) il y a de multiples décisions à prendre avant de démarrer une évaluation et tout au long de celle-ci. Plusieurs chemins s’offrent à l’évaluateur. Entre tous ces choix, certaines solutions plus que d’autres, seront reconnues comme valides, porteuses de sens, praticables, efficaces par les utilisateurs de l’évaluation.
Nous avons fait un pari, celui d’insérer dans ce numéro un glossaire et délibérément évité d’y aborder les techniques de collecte et d’analyse de données. Ce faisant, nous avons voulu donner aux utilisateurs de l’évaluation (qu’ils soient politiques, administratifs, institutionnels ou de proximité) un outil pour soutenir leurs échanges, entre eux et avec les évaluateurs.
De la qualité de ces échanges dépendront la qualité et l’orientation des jugements évaluatifs. Les choix à placer au centre de ces échanges porteront sur les finalités de l’évaluation, les questions évaluatives, les objets à prioriser, les critères et indicateurs les plus pertinents et réalistes, les manières d’impliquer les acteurs, les temporalités…
C’est un vocabulaire pour se parler. Il n’est pas nécessaire de jargonner, mais un minimum de vocabulaire spécifique est nécessaire, car derrière les termes, il y a des concepts, des références, des pratiques particulières. Et ces pratiques définiront par exemple si, in fine, l’évaluation penchera plus ou moins du côté du contrôle des responsabilités ou de l’apprentissage collectif, si elle reposera sur une théorie de l’action qui valorise une approche globale ou ciblée des problèmes en cause, si elle respectera les priorités et les contraintes des différentes parties prenantes…
Chantal Vandoorne, sur la base d’un extrait de la conférence inaugurale de Michel Demarteau lors du colloque des 25 ans de l’APES, novembre 2005.