Mai 2004 Par M. MARCHAND Stratégies

Au terme de son mandat, Nicole Maréchal, ministre de l’aide à la jeunesse et de la santé en Communauté française, trace un bilan globalement positif et optimiste du travail en promotion de la santé réalisé durant ces cinq dernières années. Cinq ans au service d’une approche plus globale de la promotion de la santé, avec pour espoir d’avoir pu donner à ce secteur, ses lettres de noblesse.
C’est en 1999 que Nicole Maréchal hérite des compétences «santé» en Communauté française, à peine deux ans après l’apparition du décret du 14 juillet 1997 organisant la promotion de la santé en Communauté française. « Un texte de fond auquel j’adhérais complètement », explique la ministre. « Donc une démarche, une méthodologie et des objectifs qui étaient très confortables pour moi. En l’adaptant, j’ai voulu, par souci de cohérence, faire en sorte que le décret de promotion de la santé devienne un peu le décret cadre de toutes les actions de la Communauté française

La bourse ou la santé…

Seule et traditionnelle pierre d’achoppement à ses projets: le budget. « Que ce soit pour la promotion de la santé à l’école ou pour tout le reste, on doit vraiment gérer avec beaucoup d’imagination, à la fois sur le terrain et à la fois du côté politique.» Le budget santé de la Communauté française s’élève cette année à 30 millions d’euros, soit un peu moins de 0,5% du budget total de la Communauté française (6,4 milliards d’euros), répartis en deux pôles: 15 millions d’euros pour tout ce qui est promotion de la santé à l’école, et 15 millions pour le reste. «Pour tout le reste» , précise la ministre, «les programmes de promotion de la santé, les centres locaux de promotion de la santé (CLPS) et les services communautaires de promotion de la santé (SCPS), le sida, la vie sexuelle et affective, la tuberculose, la vaccination, le cancer, le diabète… Avec 600 millions d’anciens francs belges, ça tient du miracle!»
Et pour éviter de se retrouver sans le sou face à un projet intéressant en fin d’année, la ministre tient à rappeler qu’elle a procédé à un étalement de ce budget. Les projets peuvent désormais être déposés à différentes périodes, avec la possibilité financière d’être rencontrés.

Conseil, centres et comités, la promotion de la santé s’organise

Le Conseil supérieur de promotion de la santé (CSPS) vient d’être renouvelé, annonce Nicole Maréchal. Depuis le 27 février dernier, la nouvelle liste de ses membres a été établie (1). «On a veillé à l’ouvrir à des personnes qui viennent de secteurs qui n’étaient pas encore présents, peut-être un peu moins médicaux, et aux usagers aussi. Parce que la promotion de la santé implique la participation et il nous semblait donc normal que les usagers soient présents.» Un sociologue ou un journaliste par exemple permet d’amener un regard extérieur sur la construction sociale, estime la ministre. Quant aux usagers, ils se limitent encore à la Ligue des usagers des soins de santé et aux groupes de patients. Mais l’idée est lancée.
Du côté des centres locaux de promotion de la santé, la ‘nouveauté’ date d’il y a un an et demi, avec la création de comités inter CLPS. Alors qu’avant, ils étaient parfois juges (commission d’avis) et parties (soutien à la méthodologie) face aux projets de proximité qui leur étaient remis, c’est à plusieurs qu’ils travaillent aujourd’hui sur les projets à dimension locale. «Ca a été un peu difficile au départ et puis finalement je pense que ça consolide l’identité des CLPS. C’est un moyen pour eux de se voir davantage, de travailler ensemble, de partager leurs expériences et leur mode de fonctionnement. Donc je pense que finalement ça renforce leur place dans le dispositif de promotion de la santé.»
Rien de neuf au niveau des Services communautaires de promotion de la santé (SCPS), qui restent «des partenaires importants» , notamment dans l’élaboration des grandes lignes du programme quinquennal de promotion de la santé, souligne la ministre.

Quid du quinquennal?

Pour rappel, le programme quinquennal, initié lors du décret de 1997, donne à chacun une indication sur ce que les pouvoirs publics vont essentiellement soutenir, sur les types de démarches qu’ils favorisent, les publics et les problèmes de santé qui leur paraissent prioritaires. Les objectifs du programme 1998-2003 ont été rencontrés, estime Nicole Maréchal. Qu’en est-il du prochain programme?
«Pas de révolution fondamentale» , poursuit la ministre. «Je pense que le premier plan était déjà une bonne base de travail. On met encore davantage en avant cette fois-ci toute la question des inégalités sociales, de la vulnérabilité. Il y a sans doute un intérêt neuf pour les liens entre santé et environnement. Pour le reste, les jeunes restent évidemment un public cible prioritaire, et le sida garde une place importante, avec une meilleure inclusion dans les dispositifs de promotion de la santé et dans tout ce qui tourne autour de la vie affective et sexuelle.»
Le programme quinquennal 2004-2008 a jusqu’ici fait l’objet d’un avis du CSPS, lequel pointait une déficience en matière de travail néo-natal, avec une série de propositions pour y remédier. «Je n’ai pas voulu passer au gouvernement sans inclure les remarques du CSPS ainsi que la problématique santé – environnement» , explique Nicole Maréchal qui fait référence au NEHAP (2), ce nouveau programme qui rassemble toutes les compétences environnement et santé du pays et qui devrait démarrer ses activités cette année encore. «Dès que le CSPS va recevoir le NEHAP, il va rendre avis et dès que c’est fait, je passe au gouvernement et on peut officialiser le nouveau plan. C’est l’affaire de quelques semaines.» Le nouveau programme quinquennal devrait donc être passé au gouvernement au moment où cet article paraîtra. A suivre…

Petit écran hors cadre

Les populations fragilisées, la petite enfance et la population scolaire étaient les populations jugées prioritaires par le programme quinquennal 1998-2003. Et parmi les problèmes de santé qui devaient être ciblés en priorité se trouvaient le sida, la vaccination, la lutte contre la tuberculose, les maladies cardio-vasculaires, les cancers, les assuétudes, les problèmes de santé mentale et les accidents. Or, en matière de campagnes audiovisuelles, et donc d’espace réservé gratuitement à la promotion de la santé, ce que le petit écran nous a montré portait sur l’utilisation des antibiotiques, l’alimentation des jeunes de 8 à 10 ans, le sida et la bientraitance.
Au reproche de ne pas avoir suffisamment tenu compte des lignes directrices du programme en matière de campagnes audiovisuelles, Nicole Maréchal répond: «Je pense qu’il faut relativiser l’impact d’une campagne. On a vu que juste après la campagne sur les antibiotiques, ça donnait plutôt bien et puis quelques mois après, la consommation repart à la hausse. Donc ça doit être sans cesse répété et je pense qu’avec des publics plus vulnérables ou plus fragiles, il faut travailler dans une plus grande proximité que le seul message qui passe à la télé ou à la radio, qui risque d’être un peu noyé dans tous les autres. La télévision reste un média qui aborde plutôt le général mais pour travailler dans le détail de souffrances ou de grandes vulnérabilités, je ne vois rien de mieux que le partenaire de terrain le plus proche possible.»

Au plus près, au mieux

La proximité est manifestement l’un des chevaux de bataille de la ministre Maréchal en matière de promotion de la santé. «J’ai vraiment voulu faire en sorte que la promotion de la santé se diffuse, et essentiellement au niveau local» .
C’est ainsi qu’en 2000, elle instaurait le Réseau des communes en santé. Un réseau de conseillers communaux (des mandataires locaux) qui, selon ses dires, fonctionne plutôt bien depuis quatre ans au travers de rencontres annuelles, d’échanges d’expériences et d’une feuille de liaison. «Pour les soutenir, on a dégagé des budgets» , déclare la ministre. Après un premier appel à projets lancé en 2002, et 15 projets communaux retenus, un deuxième appel vient d’être lancé, avec de nombreuses réponses à la clé. Reste maintenant à choisir les 15 projets qui seront développés jusqu’en 2005. «On aura alors une trentaine de communes lancées dans de la mise en œuvre très concrète» , poursuit-elle tout en précisant qu’il s’agit là de dépenses dites ‘facultatives’, qui ne sont donc pas inscrites dans un texte légal. «Je ne peux pas assurer que cette politique sera suivie par mon successeur. Mais je croise les doigts pour que ça continue.»
Les Conférences locales de promotion de la santé par contre sont bel et bien inscrites dans le décret «Programmes et recherches à vocation locale» de 2002, et font donc partie des missions imparties aux CLPS. Pourquoi cette initiative?
«Les CLPS sont nés en 98, je suis arrivée en 99. Ils cherchaient leur place, leur mode de fonctionnement et ils n’étaient pas encore très connus. Je trouvais important de leur donner la possibilité, en organisant cette conférence locale, de se faire connaître, et de montrer en quoi ils étaient utiles à d’autres acteurs publics ou privés. Ca a assez bien pris. C’est le premier objectif. Le second est de pouvoir, avec toute une série d’acteurs de terrain, préciser quels sont les besoins d’une population, au plus près des gens, de manière à faire remonter l’information vers la Communauté française.»
La suite logique de ces conférences locales coule de source, estime la ministre: l’organisation d’une conférence communautaire qui rassemblera toutes ces données et réorientera si nécessaire les priorités et les stratégies de la communauté française. «Ce qui est intéressant c’est la mise en commun de tous ces regards et voir ce que ça peut apporter au niveau communautaire. Ca me paraît un stade indispensable. Mais il a fallu du temps pour que les conférences locales se mettent en œuvre et à mon grand regret, je n’aurai donc pas le temps d’y parvenir.»

Ecoles en convalescence

En 2001, un décret modifiait l’organisation de la promotion de la santé à l’école. Les anciennes Inspections Médicales Scolaires (IMS) étaient remplacées par des services agréés de promotion de la santé à l’école (PSE) au sein des établissements subventionnés par la Communauté française. Par ailleurs, une Commission de promotion de la santé à l’école était créée afin d’émettre avis et rapports sur le travail réalisé en la matière. Une réforme réalisée dans un souci d’adapter qualitativement le service offert aux jeunes dans une perspective plus globale d’école en santé. «C’est le seul décret pour lequel on aura pris les arrêtés avant la fin de la législature, les principaux en tout cas» , explique Nicole Maréchal. «C’est une réforme importante. Tous les objectifs de la loi 65 sont toujours là, mais complètement réactualisés dans le cadre de la promotion de la santé».
Importante, mais difficile, comme l’indique la ministre. Si certaines écoles étaient déjà dans la logique d’écoles en santé depuis une dizaine d’années, dans les écoles où le travail d’inspection médicale scolaire était très classique, il subsiste encore un peu de résistance au changement. «Quand on leur dit, vous allez vous mettre autour de la table avec des professeurs, des parents, des élèves et vous allez construire avec eux un projet santé, je me mets à leur place, c’est terriblement angoissant, c’est déstabilisant.» Peur de ne pas avoir les moyens, de ne pas avoir le temps, de ne pas y arriver… «On a commandé à une université, une analyse de ces critiques et de ces remarques pour essayer d’objectiver un peu et voir vraiment où le bât blesse et s’il faut faire l’une ou l’autre réorientation. Je pense que ça procède beaucoup de la résistance au changement mais peut-être qu’il y a quand même des faiblesses dans le dispositif.»
Nicole Maréchal précise par ailleurs qu’une prolongation du temps de formation prévu vient d’être décidée, soit 2003, 2004 et maintenant 2005. Ce n’est donc qu’à la rentrée 2005 que devront être rendus à l’administration les projets santé de chaque établissement scolaire. Pour les y aider, un ouvrage vient de paraître à l’initiative de la ministre: «Promotion de la santé à l’école» (3).
«C’est vraiment un projet à construire avec les partenaires, avec les élèves. On s’appuie sur les expériences qui existent déjà et qui fonctionnent pour leur montrer que c’est réalisable, c’est du concret et non une utopie.»
A noter que les points de contact santé, prévus dans les écoles supérieures afin d’entendre, conseiller, et orienter les étudiants vers les services ad hoc, devront être lancés en même temps que les projets écoles en santé, en septembre 2005.

Le sport, c’est d’abord la santé

Pour Nicole Maréchal, la promotion de la santé inclut, aussi, le sport. Et dans ce domaine, elle se dit «plutôt fière de son boulot» . Un boulot avec pour base légale un nouveau décret, en 2001, ayant pour objectifs la promotion de la santé dans le sport, le suivi médical des sportifs et la lutte contre le dopage. «Ce qui est important, c’est que là aussi, on a travaillé dans la logique de la promotion de la santé. La Flandre avait déjà un décret depuis 91. Quand je suis arrivée, il y avait eu une tentative avortée qui relevait vraiment du contrôle du dopage. Et on s’est dit que ne faire que du contrôle c’est dommage, c’est la dernière intervention à développer. Logiquement, une fois de plus, il faut faire de la prévention.»
Il s’agissait d’abord, raconte la ministre, de travailler dans les écoles, avec les profs de gym, les élèves, les parents, afin de faire réfléchir davantage à une pratique du sport qui ne met pas en danger et maintient en bonne santé.
Ensuite, il était nécessaire de travailler avec les sportifs, faire en sorte qu’ils soient informés de la limite entre sport-santé et sport-danger. Nicole Maréchal a voulu que les médecins sportifs et généralistes deviennent des partenaires par le biais d’un ‘carnet du sportif’ et d’une ‘liste des recommandations et des contre-indications’ établie en fonction du type de pratique sportive et de l’âge du sportif. Ces outils sont en cours de finalisation.
C’est en dernier recours qu’elle place la lutte contre le dopage, dans une logique de réduction des risques. «Je pense que la plupart des sportifs – et pour le moment les incidents mortels se succèdent – ne savent pas quels risques ils font courir à leur santé et jusqu’où ils se mettent en danger en pratiquant le dopage.» Le décret prévoit des contrôles auprès des professionnels et des amateurs ainsi que dans les milieux sportifs non encadrés (salles de fitness par exemple). L’an dernier 730 contrôles ont été réalisés. On en prévoit 1500 cette année.
Résultats? «On s’est rendu compte que dans les milieux amateurs, comme le cyclotourisme par exemple, le dopage s’est banalisé, les produits circulent beaucoup mais sont assez faciles à détecter. Ce sont souvent les mêmes. Par contre, quand on est face au top niveau sportif, il y a tellement de moyens en jeu, qu’on a somme toute toujours une guerre de retard sur les produits et sur les moyens d’empêcher la détection de ces produits…»

Mammotest: laisser le temps au temps

Près de deux ans après le lancement – tardif – des mammotests en Communauté française, les premiers résultats font état d’une participation de… 10,8% des femmes entre 50 et 69 ans.
Seulement.
«C’est très variable en fait » , explique Nicole Maréchal. «On s’aperçoit que là où un travail local avait déjà été développé en matière de prévention du cancer du sein, on est à 30% (Neufchâteau par exemple). Ce qui confirme les données européennes selon lesquelles il faut au moins 3 ans pour arriver à 20% de participation, 5 ans pour arriver à 30% et 8 ans pour aller au-delà. Ce qui est notre objectif.»
Reste donc à sensibiliser. «Je n’ai pas voulu lancer de campagne grand public avant. Je ne trouvais pas pertinent de solliciter les femmes alors que peut-être sur le terrain il allait encore y avoir des problèmes. Je pense qu’il valait mieux avancer doucement, s’assurer que tout fonctionnait bien. Il y a bien eu des dépliants chez les médecins généralistes, les gynécologues, dans les pharmacies, et on vient d’ailleurs de refaire une deuxième campagne de ce type-là. Mais maintenant que tout fonctionne, on va lancer une campagne grand public qui devrait démarrer en avril. J’aimerais pouvoir le faire avant de partir» , nous confie la ministre.
Les retards dans le lancement du programme étaient principalement dus à des problèmes d’ordre technique – mise au point d’un logiciel de récolte des données, et technologique – deux centres seulement répondaient aux critères de qualité européens. «Un bénéfice indirect mais sûr de cette campagne, c’est qu’on a maintenant chez nous un parc mammographique de haute qualité selon les références européennes» , indique la ministre.

Dénormaliser la cigarette

En matière de tabagisme adulte, les dix dernières années de campagne commencent à porter leurs fruits mais chez les jeunes, dans le chef des filles surtout, un grand travail reste à faire. «La dernière enquête santé de l’ULB sur les jeunes montre qu’il y a une légère décroissance depuis 98 mais ce résultat est à nuancer car parmi ceux qui fument, il y a plus de grands fumeurs» , explique Nicole Maréchal. Il s’agissait donc de changer son fusil d’épaule.
«On travaille sur une nouvelle stratégie recommandée par l’OMS et qui m’a fort séduite: la dénormalisation. Ca fait 60 ans qu’on vit dans un environnement où la cigarette fait partie du quotidien sans que ça ne gêne personne. Et si on a pu la banaliser ainsi c’est grâce aux efforts des cigarettiers qui ont inondé le cinéma, la télévision…» L’idée, explique la ministre, est donc de faire réagir les jeunes en leur faisant comprendre que la banalisation de la cigarette est le résultat d’un lobbying industriel de très longue haleine. Autrement dit, les cigarettiers les prennent, tout simplement, pour des imbéciles…
Avec l’aide d’associations de terrain subventionnées par la Communauté française, les écoles travaillent à un règlement d’ordre intérieur, à l’élaboration duquel tout le monde est invité à participer. «Les jeunes ont évolué, on ne peut pas les contraindre s’il n’y a pas pour eux une légitimité liée à la règle. Donc il faut vraiment discuter avec eux de cette légitimité et quand on y arrive, on peut avoir un règlement qui, soit interdit la cigarette dans certains lieux, soit l’interdit totalement. C’est vraiment le résultat d’un dialogue et d’un débat.»
Une vaste campagne de prévention du tabagisme à destination des jeunes devrait par ailleurs être lancée dans le courant de cette année.

La drogue: un risque à éviter ou à réduire

Pour Nicole Maréchal, la prévention en matière de drogues, c’est avant tout faire en sorte que les jeunes n’essaient même pas d’utiliser des produits, qu’ils soient licites ou illicites. «C’est tout un travail qui se fait de plus en plus autour de la question du comportement des jeunes à un moment charnière de la vie» , indique-t-elle. «On pourrait même aller jusqu’à, en même temps que ces questions-là, évoquer les questions de suicide, de vie affective et sexuelle… la question du bien-être en gros. Je pense que tout tourne autour de ça et avec un petit groupe d’adolescents, c’est un débat qui peut bien prendre. A partir de là, je crois qu’il y a moyen de construire des projets intéressants.» Un travail discret, de proximité, qui se déroule dans les écoles et dans les lieux où se rassemblent les jeunes.
La deuxième mission préventive, plus controversée, est celle de réduction des risques. En la matière, la position de la ministre est claire: «C’est lucidement reconnaître que de tout temps, l’être humain a cherché à modifier son état de perception ou son état de conscience et qu’il n’y a pas de raison que ça s’arrête. Ca fait sans doute partie de l’être humain aussi. Il ne suffit pas d’espérer qu’on ne les consommera pas. Certains les consomment. Et par rapport à ces personnes-là, la responsabilité d’un ministre de la santé, ce n’est pas de les considérer comme des justiciables, mais bien comme des citoyens dont la santé est menacée. Or il y a toute une série de comportements qui diminuent les risques. Je crois très fort à cette approche-là parce qu’elle est pragmatique, franche, honnête. Elle n’est pas hypocrite et lâche.»
Au cœur de cette controverse, les opérations de ‘testing’ des pilules d’ecstasy, lors de concerts, rave party ou dans les mégadancings du Tournaisis, considérées par certains comme apportant un label de qualité à un produit potentiellement dangereux. Aujourd’hui, ce projet a fait ses preuves et est considéré à la cellule ‘drogues’ comme un projet pilote, affirme Nicole Maréchal. Par ailleurs, un travail de grande proximité est également effectué auprès d’un public très ciblé. Des brochures sur différents produits (héroïne, cocaïne…) ont été créées afin de servir de base de discussion entre les utilisateurs et les travailleurs de terrain.

Police à l’école, à chacun ses ‘maux’

Face aux problèmes de drogue, il n’est plus rare de croiser au détour d’un couloir d’école, un policier venu ‘prévenir’ de certains dangers. «Tout le monde fait de la prévention aujourd’hui. C’est la tarte à la crème totale» , s’exclame Nicole Maréchal. «Je trouve que la police a un rôle légitime à jouer dans un état de droit, elle est utile et nécessaire, mais il faudrait qu’on n’utilise pas tous les mêmes mots parce qu’ils ne veulent pas dire la même chose. Je trouverais plus utile que la police dise qu’elle fait de la dissuasion. La dissuasion, c’est du court terme, c’est empêcher une action qui troublerait l’ordre public et donc là on est en plein dans la mission de la police. C’est vraiment pertinent. La prévention, elle, est à plus long terme, elle est plus lente, elle a des visées plus émancipatrices, elle fait confiance, elle n’est pas là pour réprimer ou pour empêcher, c’est une autre approche. Je trouve que sémantiquement, en utilisant des termes différents, on s’y retrouverait mieux.»
Une brochure, éditée en 2001, rappelle aux écoles que différents services de prévention des assuétudes mettent leur longue expérience à leur disposition (4).

Médecine préventive

En juillet 2003, la médecine préventive prend sa place au sein de la promotion de la santé, avec notamment la création de programmes de médecine préventive à vocation communautaire destinés à être réalisés par les médecins généralistes en collaboration avec les acteurs de terrain (ONE, PSE, pédiatres, secteur ambulatoire et services de proximité d’aide aux personnes), et sous le pilotage d’un centre de référence. «Je crois que c’était important puisqu’on avait déjà toute une série d’activités de médecine préventive, mais totalement éparses et très autonomes, chacune fonctionnant selon sa logique. Ce nouveau principe peut être utile dans le cadre de campagnes où plusieurs compétences doivent intervenir.»
Egalement prévu dans la révision du décret en 2003, le ‘plan communautaire opérationnel’ sommeille encore. Il devrait être construit dans les mois qui viennent, assure la ministre.
Le Système d’informations sanitaires, le SIS, se fait attendre lui aussi. «L’objectif de ce projet est de permettre à la Communauté française de disposer d’une bonne base de données, utilisable et enfin utilisée. Les données proviendraient de nos différents partenaires, on en a déjà énormément. Je pense à la tuberculose, à la promotion de la santé à l’école, on a maintenant le dépistage du cancer du sein… A chaque programme viendraient s’ajouter des données, mises à la disposition de tous via l’administration. Mais je n’ai malheureusement pas pu aboutir sous cette législature» , regrette Nicole Maréchal.
Les banques de données, ce n’est manifestement pas le fort de la Communauté française. Les retards en matière de statistiques de décès ne datent pas d’hier. Ils seraient dus, selon la ministre, à des problèmes techniques et de personnel. Pour combler ce vide, et repartir sur de bonnes bases, il vient d’être convenu de traiter en priorité et complètement (codage et encodage avec causes de mortalité) les années 2002 et 2003. Pour les années précédentes, on verra, en fonction du personnel… Les données actuelles sont, elles, ô miracle, traitées au fur et à mesure.

Vaccination: qualité, confort, éthique?

Avec l’apparition cette année du vaccin hexavalent (combinant 6 vaccins et permettant de protéger les enfants contre 10 maladies), mis gratuitement à la disposition des parents, c’est un travail sur la qualité de la vaccination qui vient d’aboutir, rappelle la ministre de la santé. Mais sa réflexion va plus loin: «D’ici dix ans, chaque nourrisson recevra 15 doses de vaccins sur un an. Je pense qu’à un moment, on doit quand même se poser la question de l’effet à long terme de ces combinaisons vaccinales.» Elle voit par ailleurs dans cette évolution de la vaccination une «course au risque zéro» .
«On imagine qu’on pourrait répondre à tout par un vaccin. Etre malade ça fait aussi malheureusement partie de la vie. Je ne suis pas anti vaccin du tout, la preuve. J’ai vraiment fait de gros efforts dans cette matière-là. Mais je pense qu’il faut aussi avoir une réflexion éthique et stratégique face aux lobbies pharmaceutiques. Les pouvoirs publics ne doivent pas être dupes. Et c’est au ministre de la santé d’initier cette réflexion.»

Sida englobé mais pas oublié

Le sida est un secteur qui a été choyé durant quelques années, rappelle la ministre. Avec la disparition de l’Agence de prévention du sida, il a fallu le restructurer et l’intégrer dans le cadre plus global de la promotion de la santé. Le sida est un risque parmi d’autres maladies sexuellement transmissibles; une approche de la vie sexuelle et affective ne doit pas se limiter aux risques encourus. «Chacun a à gagner d’une approche plus globalisante» , estime Nicole Maréchal.
La preuve vient d’en être donnée au travers de la conférence de lutte contre le sida qui vient tout juste de se dérouler et qui rassemblait tous les niveaux de pouvoir et tous les publics concernés. Nous vous en reparlerons dans les prochaines éditions.
La preuve devrait encore en être donnée au travers d’un projet pilote de sensibilisation à la vie affective et sexuelle à l’école, prévu à la prochaine rentrée scolaire. «Le sida sera un des points abordés évidemment, l’homosexualité aussi mais pas seulement. L’idée est que chaque enfant, dès l’école primaire et avec des approches adaptées à chaque âge, ait accès à des moments où on évoque la vie affective et sexuelle. Je crois qu’on peut très tôt parler de ce qu’est un corps, ce qui distingue un homme d’une femme, ce qui fait que parfois on voit deux hommes marcher main dans la main dans la rue, on peut expliquer comment faire respecter son corps, comment le protéger, comment respecter les autres… Et on peut ainsi évoluer jusqu’à aborder des problèmes plus techniques, les MST, le sida.»
Une approche qui existe déjà dans une école primaire sur deux et dans près de 80% des écoles du secondaire mais qui reste quasiment absente dans l’enseignement professionnel, explique la ministre qui se base sur une étude effectuée à sa demande par l’ULB. Or c’est au sein de cette population qu’on retrouve le plus de conduites sexuelles à risque ou de relations sexuelles précoces.
S’inspirant d’une expérience réalisée à Genève, Nicole Maréchal a donc mis autour de la table les acteurs de terrain concernés (professionnels PSE, plannings familiaux, PMS) et décidé de lancer ce projet dans lequel il est prévu que chaque établissement qui le souhaite passe une convention avec une équipe professionnelle agréée qui se rend alors dans les classes, deux fois en primaire, deux fois en secondaire (2 x 4h). «A Genève – où les enfants ne sont pas devenus pour autant des pervers sexuels ou des homosexuels! – ça se passe très bien. Ils constatent une baisse de l’incidence du sida et une baisse du nombre de grossesses non désirées et d’interruptions volontaires de grossesse chez les jeunes femmes. Ce qui me paraît déjà être de bons indices.» Dans un premier temps, une cinquantaine de classes seront choisies. «Là, on lance un projet pilote. Ce que j’espère, c’est que dans deux ans on travaillera un projet de décret pour rendre cette expérience accessible à tout élève.»

Un bilan positif

«Je suis vraiment très contente d’avoir travaillé de manière cohérente à une approche promotion de la santé généralisée» , conclut Nicole Maréchal. «Je me dis en tout cas qu’on laisse derrière nous un secteur qui est remis en ordre de marche, qui a des lignes de conduite, des balises pour bien avancer, une administration renforcée mais pas assez de moyens. Nous sommes dans une logique qui est en train de montrer ses limites. Elle a été intéressante pendant plus d’un siècle, elle a permis d’avoir un état de santé publique générale plutôt bon et c’est bien. Mais la santé ne se limite pas aux soins de santé. Une des approches pour arrêter l’emballement des coûts des soins de santé, c’est la prévention.»
Des regrets? «Ne pas avoir pu aller jusqu’au bout de certains projets, comme la conférence communautaire. Tout ce qui n’a pas pu aboutir évidemment c’est toujours une insatisfaction.» Reste à espérer que les nombreuses balles lancées depuis cinq ans seront attrapées au bond.
Myriam Marchand
(1) Voir ‘Le ‘nouveau’ Conseil supérieur de promotion de la santé’ , par Christian De Bock, dans Education Santé n°189, avril 2004, pp. 15-16.
(2) Le Plan national d’action environnement-santé (National Environment and Health Action Plan – NEHAP) a comme objectif de remplir les engagements de la Belgique vis-à-vis de la communauté internationale, en particulier l’Organisation mondiale de la santé, mais aussi et surtout de présenter l’état de la question au sein de l’Etat fédéral belge et de rassembler un maximum d’informations pour tous les acteurs concernés. Vous trouverez le plan sur le site http://www.fanc.fgov.be/fr/news_nehap_2003.htm .
(3) PIRARD A-M, Promotion de la santé à l’école, Ed. Labor, 2003, 96 pages.
(4) Drogues, assuétudes : quelle prévention ?, Question Santé, 2001.