Septembre 2007 Par M. WANLIN Stratégies

A côté du Programme quinquennal de promotion de la santé, la Communauté française s’est dotée d’un Plan communautaire opérationnel (PCO) (1). Tout en rappelant un ‘fondamental’ de la promotion santé, à savoir l’importance d’une approche globale de la santé, de la prévention, de la médecine préventive, le PCO décline sept problématiques prioritaires. Nous vous proposons de faire le point à leur propos au départ de la réflexion du Conseil supérieur de promotion de la santé. Après la politique de vaccination (n° 224) et le dépistage du cancer du sein (n° 225), nous abordons aujourd’hui la tuberculose.

Introduction

La tuberculose est une maladie ancienne qui revient régulièrement sur le devant de la scène. Dernièrement sa forme ultra-résistante a fait la «une» des médias. De par son expansion importante et son caractère difficilement curable, ce nouveau problème de santé publique est au centre des préoccupations aussi bien des managers de programmes locaux que des instances internationales comme l’OMS (Organisation mondiale de la santé) ou l’ECDC (European Centre for Disease Prevention and Control).
La tuberculose est en recrudescence dans le monde, particulièrement dans les pays en développement, en Europe de l’Est et dans l’ex-URSS. Les pays développés subissent les retombées de cette situation. C’est ainsi qu’en Belgique l’incidence de la maladie stagne depuis une quinzaine d’années. La proportion de patients d’origine étrangère répertoriés dans le registre de la tuberculose est passée de 18% en 1990 à 51% en 2005.
L’OMS met tout en œuvre pour contrôler la tuberculose dans le monde; elle a défini un «Plan global» qui vise à diminuer la morbidité et la mortalité de la maladie de moitié entre 2006 et 2015. Un mouvement (Stop TB Partnership for Europe) impliquant les partenaires potentiels a été créé en 2006 pour mobiliser toutes les ressources existantes afin d’atteindre ces objectifs.
C’est également dans ce contexte particulier qu’une stratégie de contrôle et d’élimination de la tuberculose a vu le jour en 2002 pour répondre aux souhaits des pays européens les moins touchés par la maladie (2). C’est cette stratégie qui sert de référence en Belgique et plus spécifiquement en Communauté française.

Organisation du contrôle de la tuberculose

La lutte antituberculeuse est une vieille histoire dans notre pays puisque les premiers sanatoriums remontent à la fin du 19e siècle. La découverte de médicaments antituberculeux et l’amélioration des conditions socio-économiques ont été à l’origine de changements parfois majeurs dans la prise en charge de la maladie qui, progressivement, a été intégrée dans les soins de santé préventifs et curatifs. Un organe de coordination a toutefois été maintenu (ONBDT: Œuvre nationale belge de défense contre la tuberculose). Au moment de la communautarisation, en 1982, cette institution d’utilité publique a été scindée en deux asbl, le FARES (Fonds des affections respiratoires) et la VRGT (Vlaamse Vereniging voor Respiratoire Gezondheidszorg en Tuberculosebestrijding).
Les premiers textes légaux organisant la lutte antituberculeuse datent des années 1970 et prônent la décentralisation de la gestion de la tuberculose en créant des équipes de terrain chargées du recueil des données et du dépistage des contacts de malades tuberculeux contagieux (ce que l’OMS recommandera au cours des années 90). La mise en place d’un dépistage ciblé vers les groupes à risque a été le challenge des 15 dernières années.

Le Plan communautaire opérationnel

Bien qu’une stratégie de contrôle de la tuberculose existe déjà en Communauté française depuis plusieurs années, le PCO a permis de recadrer les objectifs et de mettre l’accent sur le fait que cette maladie pouvait être considérée, à l’heure actuelle, comme une priorité de santé publique.
En 2005, 1.144 nouveaux tuberculeux on été déclarés en Belgique, ce qui correspond à 11 cas pour 100.000 habitants (3). La Belgique est donc considérée par l’OMS comme un pays en voie d’éradication de la tuberculose (incidence  20/100.000).
Les deux objectifs généraux poursuivis par le programme sont de limiter la transmission de la tuberculose (pour contrôler la maladie) et de limiter le réservoir des sujets infectés, futurs malades potentiels (pour éradiquer la tuberculose) (4).
La stratégie mise en place pour arriver à remplir ces objectifs s’articule autour de quatre axes.
Diagnostiquer rapidement et traiter adéquatement les malades tuberculeux . Il s’agit du volet prioritaire de la stratégie. Il est principalement du ressort du secteur curatif. En 2005, par exemple, 83% des cas de tuberculoses déclarés dans le registre (88% à Bruxelles, 78% en Wallonie et 83% en Flandre) ont été découverts chez des sujets qui se sont présentés spontanément, pour plaintes, dans un service médical.
Organiser le dépistage dans les groupes à risque de tuberculose . En Belgique, nous considérons qu’il est pertinent d’organiser un dépistage ciblé lorsqu’un taux de détection (ou une incidence) d’au moins 50/100.000 est découvert dans une population à risque. Les deux populations visées prioritairement sont les demandeurs d’asile (taux de détection > 300/100.000) et les prisonniers (taux de détection compris entre 100 et 200/100.000). Ce volet de la stratégie nécessite une identification des groupes à risque potentiels, l’élaboration d’une procédure de dépistage, la mise en place de celle-ci sur le terrain en collaboration avec les partenaires préalablement sensibilisés et informés, ainsi qu’une évaluation des actions menées.
Les instances concernées sont multiples et appartiennent aussi bien au secteur curatif que préventif. Le FARES joue un rôle de coordination et d’évaluation mais ses infirmières sont aussi directement impliquées dans la réalisation de ce type de dépistage. En 2005, 10% des cas du registre ont été dépistés, en Belgique, par le biais de ce dépistage actif.
Organiser le dépistage parmi les contacts de malades contagieux . Ils représentent un groupe à risque de tuberculose particulier (taux de détection de 110/100.000 en 2006). En Communauté française, cette activité peut être du ressort des secteurs curatif ou préventif. La mission de socioprophylaxie confiée au FARES permet de garantir que le dépistage de l’entourage est effectivement réalisé, qu’il est exhaustif et que le malade a été mis sous traitement antituberculeux. En 2005, 5% des patients déclarés dans le registre belge ont été diagnostiqués à l’occasion d’un dépistage de l’entourage.
Organiser le dépistage parmi les travailleurs soumis à un risque majoré de contamination par le bacille de la tuberculose . Cette approche a été adaptée ces dernières années aux exigences européennes via la promulgation en Belgique de plusieurs législations relatives au milieu du travail. Les Services de Protection et de Prévention sur le lieu du travail (SPPT) sont chargés de l’opérationalisation de ce dépistage en collaboration avec les employeurs. Une des missions du FARES a été d’élaborer des directives en collaboration avec les partenaires concernés.

En dehors de ces quatre axes, le programme s’attache également à développer la surveillance épidémiologique – des cas actifs de tuberculose et de la résistance aux médicaments antituberculeux – ainsi que la collecte de données sanitaires ( monitoring ) nécessaires à l’évaluation des actions.
L’optimisation de la communication est une des clés de voûte d’un programme performant.
Le développement de partenariats implique des efforts constants en matière de sensibilisation, d’information et de formation ainsi que l’élaboration de lignes de conduite nécessaires à une approche standardisée. Au fil du temps, un « réseau pluridisciplinaire et intersectoriel » s’est développé en Communauté française.
Le schéma ci-dessous résume l’approche stratégique appliquée en Belgique ainsi qu’en Communauté française. La pyramide permet de visualiser l’importance donnée à chaque axe particulier.

Trois exemples d’actions prioritaires développées

L’accès aux soins n’étant pas garanti pour tous les tuberculeux, un projet innovant a été mis en place en décembre 2005 avec l’aide financière de l’INAMI. Ce modèle particulier de prise en charge des malades tuberculeux en Belgique (AR du 10 mars 2005) est coordonné par le FARES et la VRGT (5). Il cible plus particulièrement deux types de malades: ceux dépourvus d’aide sociale et ceux infectés par des bacilles tuberculeux multirésistants pour lesquels les médicaments antituberculeux ne sont pas (ou partiellement) remboursés même s’ils sont couverts par la sécurité sociale.
Ce projet, intitulé BELTA-TBnet, a inclus 159 patients au cours de sa première année de fonctionnement, essentiellement des illégaux (62%) et des demandeurs d’asile (14%); 29 cas de multirésistance ont été répertoriés. En plus d’assurer un traitement pour tous et donc un moindre risque de transmission de la tuberculose, ce projet représente une opportunité de développer le partenariat déjà existant avec le secteur curatif et d’optimiser la surveillance de la multirésistance dans notre pays.
Les demandeurs d’asile constituent le groupe à risque prioritaire. La mise en place d’un dépistage coordonné a nécessité plusieurs années de concertation avec pas moins de 6 ministres! Un dépistage radiologique à l’entrée en Belgique est organisé depuis 1999 à l’Office des Etrangers où sont centralisées toutes les demandes d’asile.
En 2006, la couverture de ce dépistage était de 98% et 39 tuberculoses actives ont été dépistées à cette occasion (taux de détection de 353/100.000). Le risque de tuberculose persistant plusieurs années après l’arrivée sur le territoire, un dépistage périodique (selon l’âge, intradermo-réaction ou radiographie du thorax) a été mis en place dans les centres d’accueil en 2003 et dans les Initiatives locales d’accueil dépendant des CPAS en 2004.
Si la pertinence d’organiser un dépistage à l’Office des Etrangers est clairement démontrée, elle doit être encore évaluée au niveau des autres instances. Les primo-arrivants de pays à haute prévalence de tuberculose (dont les demandeurs d’asile et les illégaux) peuvent être pris en charge à d’autres niveaux comme par exemple via le FARES, les services de santé scolaire (PSE et CPMS) ou l’ONE. Dans ces deux derniers cas une procédure de dépistage a été établie en concertation, il y a quelques années. Elle est actuellement revue sur base des résultats de l’évaluation.
L’information des sujets à risque est un challenge surtout lorsque ceux-ci ne sont pas scolarisés ou ne parlent pas le français. Les infirmières du FARES, régulièrement confrontées à ce problème, ont pris l’initiative de produire un outil pédagogique très simple ayant pour objectifs la sensibilisation au dépistage et le développement d’un certain degré de connaissance sur la tuberculose. En 2006, une formation des services de santé scolaire à l’utilisation de cet outil a été organisée.
Dans un pays à basse incidence comme la Belgique, la perte d’expertise des professionnels est un autre défi du programme de contrôle et d’éradication de la maladie. La formation des partenaires est essentielle pour atteindre les objectifs poursuivis. Le FARES s’investit régulièrement dans des séances formatives surtout lorsque de nouvelles procédures doivent être appliquées. L’élaboration de directives fait également partie de ses missions. Actuellement, celles relatives au diagnostic et au traitement des malades tuberculeux sont actualisées.

Conclusions

La prise en charge des publics précarisés tant au niveau du dépistage que de l’accès aux soins est un des éléments importants de la stratégie d’élimination de la tuberculose; ceci rejoint un des objectifs majeurs du Programme quinquennal de promotion de la santé.
Le ralentissement de la décroissance de la tuberculose requiert une vigilance accrue de la part des pouvoirs publics et des partenaires du programme.
Une vision globale, rationnelle et cohérente du programme est indispensable. Ceci implique la création de «ponts» aussi bien au niveau politique, qu’entre les différents partenaires de la Communauté française et des autres Communautés de notre pays. Dans le même ordre d’idée, des partenariats doivent être développés avec des instances ou réseaux situés en dehors de la Belgique.
Contrairement à ce que l’on peut penser en première analyse, une situation de basse incidence de la tuberculose s’accompagne d’une charge de travail accrue résultant de la complexification de la prise en charge des sujets infectés et des malades. Le «profil» de la tuberculose change car les populations atteintes sont différentes (proportion croissante de personnes originaires de pays à haute prévalence et de sujets socio-économiquement précarisés). L’élimination de la tuberculose implique par ailleurs une stratégie de dépistage plus ciblée qui demande un investissement important étant donné la difficulté d’atteindre certains groupes à risque. Il ne serait donc pas opportun de diminuer les ressources humaines et financières sur base du simple raisonnement «moins de cas, moins de moyens».
L’engagement politique est essentiel pour se donner les moyens nécessaires à l’éradication de la maladie. Toutefois, celle-ci ne sera possible que si, parallèlement, des mesures sont prises pour améliorer le contrôle de la tuberculose dans les parties du monde où cette maladie est un problème de santé publique majeur.
L’intégration du programme de contrôle de la tuberculose dans le PCO est une étape qui peut contribuer à faire progresser la Communauté française dans la voie de l’élimination de la maladie.
Pour plus d’informations, consultez http://www.fares.be .
Dr Maryse Wanlin , directrice médicale FARES
Adresse de l’auteure: FARES, rue de la Concorde 56, 1050 Bruxelles. Tél.: 02 512 29 36. Courriel: maryse.wanlin@fares.be.

(1) Voir BOUCQUIAU A., LONFILS R., TREFOIS P., Le Plan communautaire opérationnel de la Communauté française , Education Santé n° 214, août 2006.
(2) European framework for tuberculosis control and elimination in countries with a low incidence. Broekmans J., Migliori G.B., Rieder H., Lees J., Ruutu P. Loddenkemper R., Raviglione M. Eur Respir J 2002 ; 19 : 765-775.
(3) En 2005, déclaration de 343 cas en Région bruxelloise, 299 en Wallonie et 502 en Flandre; incidence de respectivement 34,1 – 8,8 – 8,3 /100.000).
(4) Un sujet infecté par le bacille tuberculeux a une probabilité de 10% de développer une tuberculose active au cours de sa vie; l’instauration d’un traitement préventif peut limiter ce risque de l’ordre de 70 à 90 %.
(5) Sous l’égide de leur association-mère BELTA (pour Belgian Lung and Tuberculosis Association)