Juin 2012 Par Anne LE PENNEC Vu pour vous

Né outre-Atlantique dans le sillage de son grand frère commercial, le marketing social intègre les pratiques en promotion de la santé à vitesse variable selon les pays. Dans le monde francophone, le Canada a beaucoup d’avance sur la Belgique et la France.
« Le marketing social est la conception , la mise en oeuvre et le contrôle de programmes conçus pour promouvoir une idée ou une pratique sociale auprès d’un groupe cible », définit Philip Kotler , éminent professeur américain de marketing à qui l’on doit d’avoir étendu, avec son collègue Gérard Zaltman , le champ de sa discipline à la sphère sociale au tout début des années 70. Puisque le concept vise le changement de comportement durable, il n’y aurait rien d’étonnant à ce que les acteurs engagés dans la promotion de la santé s’ intéressent de près à ses principes, ses outils et ses méthodes pour tenter de déployer des programmes et actions de prévention de l’obésité ou du paludisme aussi puissants et efficaces que celles qui vantent les mérites d’une marque de café.

De la méthode

Faire du marketing social en santé publique revient souvent à utiliser les techniques du marketing commercial à des fins de promotion de comportements favorables à la santé. Selon Karine Gallopel Morvan , enseignante-chercheuse française en marketing social à l’École des hautes études en santé publique (EHESP), l’étude des publics et l’analyse de l’environnement dans lequel s’inscrivent les comportements à modifier sont des préalables indispensables. « De nombreux indicateurs – les tendances fortes , les opportunités , les opinions , les croyances , etc .- renseignent sur les actions à déployer pour toucher le plus efficacement possible les comportements des individus », livrait-elle en 2011 à la revue française La Santé de l’Homme . La mise en place de la segmentation vient juste après et consiste à proposer un programme différent selon l’âge, le sexe ou le niveau de revenu des personnes. Peut alors être instaurée une offre adaptée à la cible visée, fondée sur les 4P: le produit (que propose-t-on à la population?), son prix (gratuit ou non, quels sont les coûts psychologiques de l’adoption du comportement par la cible visée?), sa mise à disposition (la place ) et la communication (la promotion , pour donner envie d’adopter le comportement).
Et l’évaluation? « Elle apporte des éléments de compréhension de l’échec ou du succès du programme », précise la spécialiste. Toute ressemblance avec des programmes connus de promotion de la santé n’est évidemment pas fortuite…
Les convaincus…

À en croire l’OnuSida, qui fut l’un des premiers à miser sur le marketing social pour ses campagnes de prévention de l’infection par le VIH partout dans le monde, les résultats sont spectaculaires: « C’est par des programmes de marketing social que l’on a réussi à assurer l’acceptabilité sociale des préservatifs et leur accessibilité dans le commerce à des prix abordables pour des populations à faible revenu et des groupes à risque élevé dans nombre de pays en développement . Dans plusieurs d’entre eux , cette approche a été étendue à d’autres produits de santé essentiels et elle est devenue un élément important des efforts pour améliorer la santé nationale », lit-on dans un rapport intitulé ‘Le marketing social: outil efficace de l’action mondiale contre le VIH/Sida’ publié en 1998. Dans ce cas, l’offre consiste à proposer des préservatifs à faible prix dans divers lieux fréquentés par les populations visées (bars, terminus routiers, commerces traditionnels, etc.) et à en assurer la promotion par voie de média, de brochures ou d’événements.
Au Canada, les autorités compétentes en matière de santé publique ont largement recours au marketing social pour mener leurs campagnes de prévention, et ce depuis trente ans. Et elles partagent volontiers leur expérience: Santé Canada, le ministère fédéral chargé de la santé, propose en accès libre sur son site internet sa ‘trousse du marketing social’ destinée à ceux qui voudraient se lancer. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) n’est pas en reste et depuis 2000 déploie à travers le monde bon nombre de programmes COMBI ( COMmunication for Behavorial Impact ) directement inspirés du marketing social. Citons notamment les campagnes de lutte contre la dengue en Malaisie en 2001 ou plus récemment, le programme de prévention du tétanos chez les femmes enceintes mené par l’Unicef au Cambodge.
… et les autres

En France, l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (Inpes) commence à l’utiliser et à se faire l’écho de l’activité de la discipline et de ses résultats. Lors du colloque scientifique sur l’impact des campagnes de prévention, plus de la moitié des interventions y faisaient référence.
Les messages sanitaires insérés dans les publicités alimentaires sont-ils efficaces ?

Trois questions à Carolina Werle, chercheur en marketing social Grenoble École de Management (France)
Éducation Santé: Pourquoi avoir mené une étude sur les effets des messages sanitaires de prévention de l’obésité associés aux publicités alimentaires?
Carolina Werle: Une partie de mes recherches porte sur les mécanismes de compensation entre activité physique et consommation alimentaire appliqués au contexte des recommandations pour la prévention de l’obésité. Cela consiste à établir les circonstances dans lesquelles nous nous autorisons à adopter certaines attitudes alimentaires à connotation négative au prétexte que nous sommes physiquement actifs ou le seront bientôt.
Lorsque les messages de prévention ont été insérés dans les publicités, j’ai pensé qu’il y avait peut-être un paradoxe à présenter simultanément un produit hédonique (un soda, un hamburger) et la solution pour limiter ses effets néfastes sur la santé. J’ai donc voulu savoir si la présence de messages comme ‘Mangez cinq fruits et légumes par jour’ pouvait servir de justification aux individus par un mécanisme compensatoire. Pour cela, nous avons conçu un protocole expérimental original pour tester l’effet de ces mentions sur le comportement alimentaire de 130 participants.
ES: Qu’en ressort-il?
C.W.: Les données recueillies entre fin 2009 et début 2010 montrent que les individus ayant vu la publicité avec le message sanitaire font des choix alimentaires moins sains que ceux qui ont vu le spot seul. Ils choisissent plutôt un sundae ( dessert proposé par une célèbre chaîne de restauration rapide, ndlr) tandis que les seconds se tournent plus volontiers vers un sachet de fruits à croquer. Ce constat laisse à penser que les messages sanitaires insérés dans les publicités alimentaires encouragent la consommation hédonique, ce qui est le contraire de l’effet souhaité. D’autres travaux sont nécessaires pour affiner ces résultats obtenus dans des conditions expérimentales qui ne reflètent pas exactement celles de la vie réelle.
ES: Envisagez-vous des prolongements à cette recherche?
C.W.: Oui. Nous préparons actuellement une nouvelle étude pour définir le type de messages de prévention de l’obésité qui pourrait mieux fonctionner dans les publicités, c’est-à-dire induire le comportement alimentaire escompté. Les messages sanitaires associés aux publicités passent après celui pour le produit alimentaire. Des travaux rapportés dans la littérature scientifique indiquent que dans ce cas, il vaut mieux recourir à des images qui véhiculent plus d’informations que du texte seul. Les arguments à caractère émotionnel ont également plus d’impact. Nous voulons construire ce genre de messages pour la prévention de l’obésité et devrions être en capacité de les tester courant 2012.
Propos recueillis par Anne Le Pennec

Mais force est de constater que l’usage du marketing social dans l’Hexagone est encore timide, sous cette appellation tout au moins. Et Karine Gallopel-Morvan de sourire au souvenir de cette anecdote: « Lorsque nous avons publié en 2008 un livre sur le sujet , un gros éditeur français a préféré titrer ‘ Le marketing des associations’ de peur de ne pas trouver assez sa cible si on employait le terme de marketing social .» Le fait est qu’en France le marketing social et ses techniques ont mauvaise presse et souffrent d’a priori à la peau dure. « Les gens ne savent pas ce qu’est le marketing social . Beaucoup pensent d’emblée communication , manipulation , publicité . La connaissance des publics , la compréhension des comportements passent à la trappe . En France , la pensée marketing social = campagnes de prévention = il faut faire peur pour pousser les gens à agir a prédominé pendant longtemps .» Preuve de l’évolution des mentalités, le marketing social sera cité dans le titre du nouvel ouvrage de cet éditeur sur le sujet, actuellement en cours de rédaction.
Ces représentations expliquent aussi pourquoi la recherche dans ce domaine peine à émerger de ce côté de l’Atlantique. Les spécialistes français ou belges du marketing social sont rares et beaucoup moins nombreux qu’aux États-Unis et au Canada. « Les débuts là – bas n’ont pas non plus été faciles . Dans les années 70 là – bas comme ces dernières années en France , certains diabolisaient l’intrusion du marketing dans le social », explique Karine Gallopel-Morvan. « Mais les liens étroits entre chercheurs américains de disciplines variées et leur ouverture naturelle vers le terrain ont eu raison de ces obstacles .»
Les francophones européens seraient-ils à leur tour en train d’accepter le marketing social? Réponse de la chercheuse: « En France , un grand nombre de chercheurs et acteurs en santé publique sont positionnés sur l’éducation pour la santé . Ils conçoivent le marketing social comme une approche concurrente , inadaptée au secteur non marchand et ne perçoivent pas la complémentarité des deux disciplines .» Encore un peu de patience et nos dernières réticences tomberont peut-être…
Références

http://www.ism.stir.ac.uk (Institut de marketing social)
http://www.hc-sc.gc.ca/ahc-asc/activit/marketsoc/tools-outils/index-fra.php (guide interactif de Santé Canada
http://www.phac-aspc.gc.ca/canada/regions/ab-nwt-tno/resources-ressources/documents/f_trousse_du_marketing_social.pdf (trousse du marketing social de santé Canada)
http://data.unaids.org/publications/IRC-pub01/jc167-socmarketing_fr.pdf (rapport OnuSida)