Octobre 2018 Par F. POUKENS-RENWART Heline ZABEAU L. GALANTI Pierre-Olivier ROBERT Données

E-cigarette et grossesse : pistes pour la promotion de la santé

En 2015, l’ONE comptait 22% de fumeuses au sein des consultations prénatalesNote bas de page. Le tabagisme durant la grossesse reste un problème de santé publique au vu de sa prévalence élevée et des risques encourus à court et à long terme pour la santé de la mère et de son futur enfant. A court terme, le comportement tabagique de la mère augmente le risque d’accouchement prématuré, de mort fœtale in utero et de retard de croissance intra utérin. Un syndrome de sevrage a également été identifié à la naissance chez le nouveau-né ainsi qu’un risque de mort subite accru. A long terme, d’autres risques pour la santé du futur enfant ont été soulignés tels que l’hypertension, l’hyperactivité et l’obésitéNote bas de page. Malgré que le métabolisme général de la femme enceinte est accéléré (donc le manque de nicotine se fait plus rapidement ressentir chez celle-ci), la grossesse reste un moment propice à l’arrêt du tabac. Actuellement, différents moyens d’aide à l’arrêt tabagique sont disponibles pour les femmes enceintes. Si le soutien comportemental des professionnels, du conjoint et de l’entourageNote bas de page est le premier moteur pour arrêter de fumer, les substituts nicotiniques peuvent également être utilisés même si leur efficacité durant la grossesse reste controversée et que le taux d’adhérence semble faibleNote bas de page.

Les cigarettes électroniques peuvent-elles aussi être utilisées comme moyen de substitution ?

On peut voir un intérêt croissant pour son utilisation notamment chez les femmes enceintes. En Belgique, le pourcentage de fumeurs utilisant la cigarette électronique est passé de 6 % à 13% de 2015 à 2017Note bas de page. Oncken a montré que la moitié des femmes enceintes qui avaient des difficultés à arrêter de fumer avaient essayé la cigarette électroniqueNote bas de page. Une étude du LancetNote bas de page a mis en évidence une adhésion plus importante à la cigarette électronique qu’aux substituts nicotiniques, sans avoir une puissance statistique suffisante pour montrer une efficacité supérieure à celle des substituts nicotiniques. 43% des femmes enceintes de l’étude de Mark percevaient la cigarette électronique comme moins nociveNote bas de page. Cette perception d’innocuité relative légitimise son utilisation dans la population générale et son acceptabilité sociale renforce son utilisation chez les femmes enceintes.En Belgique, le principe de prudence est actuellement de mise, vu la toxicité potentielle débattue au sein de la littérature. Le positionnement de la communauté scientifique par rapport à la cigarette électronique est d’autant plus compliqué dans le cadre de la grossesse où les enjeux en termes de santé ne sont plus uniquement centrés sur la personne qui fume mais concernent également le fœtus.ImageUne étude indique une exposition moindre aux métaux lourds10, une autre, au contraire, une exposition accrueNote bas de page. La toxicité des arômes pourrait également être délétère pour la santé au vu de leur nombre important et de la méconnaissance de leurs conséquences sur l’organisme. L’exposition au formaldéhyde serait plus élevée dans les cigarettes électroniques, ce qui pourrait potentiellement mener à des fausses couches ; mais cette hypothèse faite à partir d’expériences en laboratoire n’est pour l’instant qu’une piste de réflexion10. Une autre étude montre que la nicotine aurait un effet nocif sur la croissance des voies aériennes chez le fœtus. Les résultats de cette étude suggèrent que l’e-cigarette peut avoir le même effet néfaste sur le développement pulmonaire que les cigarettes traditionnelles. Ses limites sont l’utilisation de modèles animaux et le manque de données épidémiologiques concernant l’e-cigarette. Elle suscite cependant une réflexion concernant la toxicité potentielle des cigarettes électroniquesNote bas de page.Des études complémentaires sont dès lors nécessaires, en particulier durant la grossesse, en sachant toutefois que l’absence de monoxyde de carbone (CO) dans la vapeur de cigarette électronique constitue un avantage potentiel pour son utilisation durant la grossesse.Suite à ces différents constats, qu’en pensent les principales intéressées ? Quelles informations les femmes enceintes prennent-elles en considération ? Quelle conduite adopter en tant que professionnel de la santé, concernant la cigarette électronique durant la grossesse ?Cet article a pour objectif d’établir une analyse de la perception des femmes enceintes sur cette problématique et de mettre en évidence des pistes d’amélioration du dispositif de prise en charge des femmes fumeuses durant la grossesse.

Méthodologie

Nous avons opté pour une méthode qualitative afin de tenter d’analyser la perception des femmes enceintes. En effet, l’éducation à la santé sur le tabagisme devrait avoir comme point de départ les connaissances et le point de vue des femmesNote bas de page. Douze entretiens semi directifs ont été réalisés en région namuroise dans deux centres de consultation prénatale de l’ONE.L’analyse de ces entretiens a été réalisée à partir des cadres conceptuels de TodNote bas de page et KarhNote bas de page. Les catégories prédéfinies utilisées pour ce travail sont l’expérimentation de la cigarette électronique, le rôle et le sens du tabac, l’influence du réseau. Au fil de l’analyse, des catégories émergentes (l’influence du professionnel de santé, la littératie en santé et la culpabilité) sont venues renforcer le modèle d’analyse.

Ce que les femmes enceintes en disent…

L’influence du professionnel est apparue comme un facteur clé, un conformisme à l’avis médical a été observé chez les femmes enceintes.

« Je pensais que c’était plus serein pour mon bébé de vapoter avant que j’aie l’avis de mon médecin. Et quand j’ai eu l’avis de mon médecin, je me suis dit si mon médecin le dit c’est qu’il sait mieux que moi. »

La diminution du tabac conseillée par le professionnel de santé a légitimé le comportement tabagique durant la grossesse. Alors que la place du professionnel de santé apparaît comme particulière, on peut observer que des informations erronées sont perçues par les patientes. La prise en charge du tabac n’est pas apparue comme une priorité au sein de l’ONE, un manque de réaction de la part des professionnels a été relevé par les participantes.La littératie en santé (la recherche d’information, la prise de décision, la résolution de problèmes, la pensée critique et la communication se rapportant à la santéNote bas de page) est influencée par les professionnels de santé. L’interprétation et la compréhension des faits concernant le tabac et la cigarette électronique est très influencée par l’avis de professionnels.

« Ils (professionnels de santé) m’ont dit de pas arrêter parce que c’était pas bon pour le bébé si j’arrêtais comme ça. Le bébé, il allait être comme moi, il allait être trop nerveux. Ils m’ont dit de diminuer si je savais ».

Dans tous les entretiens réalisés, on peut remarquer l’importance de l’avis des professionnels concernant la perception de la dangerosité de la cigarette ou de la cigarette électronique.Le gradient de gravité a été utilisé par les participantes pour légitimer leur comportement en le comparant à d’autres comportements perçus comme plus nocifs. De fausses croyances telles que la nocivité d’un arrêt brutal du tabac sur le fœtus ou encore le bénéfice d’un fœtus de petit poids pour l’accouchement ont pu être identifiées tant chez les professionnels que les participantes, les femmes enceintes s’appropriant alors les injonctions erronées des professionnels.

« Ils m’ont dit de pas arrêter parce que c’était pas bon pour le bébé si j’arrêtais comme ça. Le bébé, il allait être comme moi, il allait être trop nerveux. Ils m’ont dit de diminuer si je savais ».

L’expérience personnelle ou celle de l’entourage a pu mener à une minimisation des risques.

« De toute façon pour le bébé, pour moi personnellement, il n’y a pas de risque quoi. Je dis bien personnellement car on a déjà eu 3 enfants ils sont en pleine forme ». ,

ImageLes participantes peuvent être confortées dans leur choix concernant le tabac par leur propre expérience vécue, lors des grossesses précédentes ou celle de leur entourage, notamment par le fait qu’il n’y ait eu aucun effet sur le fœtus malgré une consommation tabagique. Ces expériences positives concernant le tabac mènent alors à une minimisation des risques de celui-ci, voire à un certain fatalisme concernant les risques.Par rapport à la dangerosité de la cigarette électronique, le risque d’explosion est apparu dans plusieurs entretiens comme un risque majeur. La méconnaissance des liquides a été mise en avant. La nicotine a été perçue comme un élément nocif ainsi que l’eau et l’alcool contenus dans les e-liquides.Les participantes ont mis en évidence un rôle particulier du tabac dans leur vie et en particulier pendant la grossesse, notamment au niveau de la gestion du stress et d’un plaisir perçu comme unique.L’expérience de l’entourage a pu conférer une valeur positive ou négative à la cigarette électronique et constituer une porte d’entrée vers celle-ci. Le conjoint peut être un facteur de rechute de la cigarette électronique vers le tabac mais également un appui pour l’utilisation de la cigarette électronique.

« C’est un peu à cause de monsieur aussi car il a repris avant moi… Il a fumé dans la maison comme on n’a pas de jardin. Du coup, il a fumé dans la cuisine et rien que l’odeur ben ça m’a donné envie. »

Au niveau sociétal, la e-cigarette peut être perçue comme un moindre mal. Un climat favorable à son sujet a ainsi pu être observé alors que d’autres mettaient en avant une norme sociétale par rapport au tabac.

« Ça montre aussi que je fais un effort… Ma famille aurait été plus conciliante si je fumais la cigarette électronique car dans l’imaginaire des gens la cigarette électronique est moins nocive que la cigarette. »

La notion de légitimité est apparue au travers des différents entretiens. Friedson permet de faire un parallèle entre le rôle du malade et le rôle de mère. Elle doit se traiter car elle est responsable de la vie du fœtus pas uniquement de la sienne. Ce n’est plus une question de choix personnel. La stigmatisation ou la culpabilité qui peut parfois être ressentie en réponse au tabac est liée à ce rôle, la notion de compromis entre l’arrêt et la poursuite du tabac en utilisant une e-cigarette ou en diminuant sa consommation prenant alors tout son sens.

Pistes pour la promotion de la santé

La cigarette électronique doit être prise en considération dans la prise en charge des femmes enceintes fumeuses. Quelle attitude adopter en tant que professionnel de la santé ? Ne pas décourager une patiente qui souhaite vapoter durant sa grossesse mais aborder la question des substituts nicotiniques, l’informer de l’existence de centres d’aide aux fumeurs (CAF), de tabacologues, et des risques du tabac et des risques potentiels de la cigarette électronique durant la grossesse.Au vu de l’importance de l’avis médical dans l’adoption d’un comportement chez les femmes enceintes15, il est nécessaire d’arriver à des pratiques uniformisées des différents professionnels de santé. La place spécifique des professionnels de santé dans la légitimité auprès des femmes enceintes peut être expliquée par son fondement scientifique se basant donc sur des données probantes et évitant les jugements moraux. Les femmes enceintes pensent donc se référer à des données probantes sur le tabac ou la cigarette électronique quand elles suivent l’avis du professionnel de santé.Pour faciliter la transmission d’un message adapté, un module de formation régulier et obligatoire pourrait être en mis en place pour tous les professionnels travaillant en consultations prénatales. Par ailleurs, un tabacologue pourrait être intégré aux consultations ONE afin de favoriser la diffusion d’un message juste par le professionnel représentant le savoir scientifique en la matière. En outre, l’item « e-cigarette » pourrait être ajouté au dossier de consultation dès la période préconceptionnelle et une information aux futures mamans devrait être envisagée, axée sur la prévention des risques. Par la formation des professionnels de santé, on peut aider à lutter contre les nombreuses fausses croyances sur le tabagisme durant la grossesse. En effet, pour un certain nombre de gynécologues, la diminution du tabac est encore préconisée. Conforter les patientes dans le bénéfice d’une diminution pourrait mener à l’amoindrissement de l’effort d’arrêt tabagique.Concernant la cigarette électronique, il pourrait être utile de relativiser le risque minime d’explosion souvent amplifiéNote bas de page.La littératie en santé chez les femmes enceintes et leur entourage est également apparue comme un élément clé de la perception. Les informations en santé étant maintenant à la portée de tous, le modèle traditionnel de transmission d’information doit être adapté. Internet semble largement utilisé par les femmes enceintesNote bas de page, or les informations qui y sont présentes peuvent être de qualité médiocre. Un site internet centralisé et contrôlé voire l’utilisation d’applications contrôlées pourrait constituer des pistes de solutionNote bas de page.La transmission d’une information juste ne doit pas se faire uniquement auprès des femmes enceintes mais également en impliquant le réseau social de la femme enceinte. Impliquer le conjoint pourrait alors lui permettre d’avoir une place privilégiée dans le suivi de la prise en charge.Notre responsabilité en tant que professionnels de la santé est de mettre fin aux nombreuses fausses croyances en apportant une information de qualité et un soutien inconditionnel à nos patientes, leur partenaire de vie et leur entourage. L’éducation à la santé concernant le tabac dans les soins prénataux doit être développée davantage dans les années à venir en partant des besoins, des idées reçues et des demandes des femmes au travers d’un dialogue avec le professionnel de santé.

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