Suspens, rebondissements, intrigues… La saga qui se joue actuellement en France autour de l’étiquetage nutritionnel simplifié des produits alimentaires a tout d’une grande oeuvre de… friction.
Les personnages
Le Ministère de la Santé et son bras armé, la Direction générale de la santé (DGS) pilotent l’élaboration de la Loi de Santé 2015, dont l’un des objectifs est d’améliorer l’information nutritionnelle sur les emballages alimentaires en la rendant plus simple, plus synthétique et plus accessible.Le Haut Conseil de la Santé Publique (HCSP) et l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) produisent des recommandations et des avis scientifiques et techniques à la demande de la DGS.L’Équipe de Recherche en Épidémiologie Nutritionnelle (EREN) conçoit et pilote des études scientifiques en population générale telles que SU.VI.MAX ou NutriNet-Santé. Elle teste notamment l’efficacité (usage, acceptabilité, compréhension) des différents systèmes d’information nutritionnelle.Les sociétés savantes, associations professionnelles, de consommateurs et de malades s’associent pour faire entendre la voix de la société civile et défendre ses intérêts.La Fédération des entreprises du commerce et de la distribution (FCD) et l’Association nationale des industries alimentaires [ANIA) représentent les enseignes du commerce et de la grande distribution soumises à l’obligation d’information nutritionnelle sur les produits alimentaires qu’elles commercialisent.
Si vous avez manqué le début
Le gouvernement français a entrepris de moderniser son système de santé. Pour ce faire, la Ministre de la Santé a engagé en 2013 une réflexion collective baptisée Stratégie nationale de santé. Les discussions ont abouti à la rédaction d’un projet de loi de santé, qui a été adopté par le Parlement en janvier dernier.L’un des articles de ce texte prévoit d’améliorer l’information nutritionnelle sur les emballages alimentaires en la rendant plus simple, plus synthétique et plus accessible. Objectif: permettre au consommateur lambda, lorsqu’il s’apprête à acheter de quoi manger, de comparer facilement et d’un coup d’oeil les produits alimentaires entre eux, à l’intérieur d’une même famille ou entre produits du même type mais de marques différentes.Il est vrai que seule la déclaration nutritionnelle incluant la composition du produit et sa valeur énergétique est obligatoire. Elle figure dans un tableau situé sur la face arrière des emballages et détaille les quantités de graisse, d’acides gras saturés, de glucides, de sucres, de protéines et de sel, pour 100 g, 100 ml ou par portion.La comparaison entre denrées alimentaires est donc théoriquement possible. Seulement voilà: les consommateurs ne comprennent pas grand chose à tous ces chiffres et n’en tiennent généralement pas compte. D’où l’idée d’inciter les producteurs et les distributeurs à afficher une présentation complémentaire et surtout plus abordable et intuitive (graphiques, symboles) sur la face avant des emballages.La démarche – volontaire et non obligatoire, au grand dam de la ministre qui a dû faire une concession sur ce point – se veut complémentaire de celle du Plan national nutrition santé (PNNS) qui a pour but de promouvoir une alimentation globalement équilibrée, via des repères de consommation notamment.De nombreuses sociétés savantes médicales, associations de consommateurs et de malades parmi les plus influentes du pays ont largement appuyé cette demande. «Cette mesure est d’un grand intérêt pour aider le consommateur à orienter ses choix et pour mettre en pratique la recommandation de ‘ne pas manger trop gras, trop sucré, trop salé’», argumentent-elles dans une lettre ouverte adressée au Ministère de la Santé.
Où le système 5 couleurs sort du peloton
Le principe d’un étiquetage simplifié étant posé, reste à en définir les modalités. Les solutions ne manquent pas. Différents systèmes ont été mis en place en Angleterre, au Danemark, aux Pays-Bas ou encore en Suède. Les uns ont opté pour une coche verte, d’autres pour des feux tricolores. D’autres systèmes ont été proposés dans la littérature scientifique.Dans un rapport remis en 2014 au Ministère de la Santé, le Pr Serge Hercberg, président du PNNS 2011-2015, défend l’idée de recourir à une échelle à cinq couleurs (vert, jaune, orange, rose, rouge), aussi appelée système 5-C et qui repose sur le calcul d’un score de qualité nutritionnelle mis au point par la Food Standards Agency (FSA). Cet indicateur tient compte des calories, des quantités de sucres simples, d’acides gras saturés, de sodium, de fibres, de protéines et du pourcentage de fruits et légumes pour 100g de produit, autant d’informations disponibles sur l’étiquetage nutritionnel. Il serait apposé sur la face avant de l’emballage, la plus visible quand les produits sont en rayon.Pour déterminer la couleur attribuée à chaque produit, il faut calculer un score nutritionnel mis au point par la FSA à partir des données disponibles sur l’étiquetage obligatoire et l’interpréter au regard de seuils préalablement définis pour savoir dans quelle cartégorie se range le produit. Est-on réellement en mesure de le faire? La question a d’abord été posée à l’ANSES, qui a tenté d’y répondre dans un long avis technique publié en mars 2015. Sa réponse: oui le calcul est faisable. Il est pertinent pour la plupart des catégories d’aliments mais pour d’autres, comme les fromages, les compotes ou les boissons rafraichissantes sans alcool, quelques adaptations sont nécessaires pour prétendre recourir à ce mode de classement.Le HCSP a lui aussi été sollicité pour y voir plus clair. Plus précisément, pour fixer les seuils permettant d’orienter la population vers des achats alimentaires plus favorables à son équilibre nutritionnel et pour évaluer la pertinence des différents scores nutritionnels utilisés dans le monde, au regard de leur faisabilité et de leur intérêt en termes de santé publique. Ses recommandations, parues en août 2015, vont dans le sens du score à cinq couleurs et insistent sur la nécessité d’élaborer le visuel avec les consommateurs, en particulier les plus éloignés de l’information et de la prévention santé. Et les auteurs de rappeler que l’objectif principal de la mise en place d’un système d’information nutritionnelle synthétique est d’intervenir sur les déterminants de la santé et de souligner leur attachement à ne pas aggraver les inégalités sociales et territoriales.
La réplique – épisode 1
Les enseignes du commerce et de la distribution allaient-elles rester les bras croisés et attendre que d’autres acteurs fixent les règles du jeu? C’eût été surprenant! De fait, à peine les rapports de l’ANSES et du HCSP étaient-ils rendus publics que l’ANIA dénonçait «un dispositif d’étiquetage nutritionnel simpliste reposant uniquement sur un code de couleurs et une approche médicalisée de l’alimentation». Dans la foulée, la FCD annonçait être parvenue à un consensus pour adopter son propre système d’information nutritionnelle basé sur le modèle proposé par l’un de ses membres: un visuel composé de quatre pictogrammes en forme de triangle violet, jaune, bleu et vert, complété d’une indication de fréquence de consommation (1 à 2 fois par semaine, plusieurs fois par semaine, tous les jours).Une proposition qui, aux yeux des sociétés savantes de santé publique et de pédiatrie, ne tient pas la route, tant sur le plan scientifique que de la santé publique. «Il est (…) totalement impossible de fournir, pour les aliments transformés de telle ou telle marque, une précision sur sa fréquence de consommation optimale, qu’elle soit journalière ou hebdomadaire», affirment-elles.Par ailleurs, ce système, omet d’indiquer la catégorie d’aliments dont la qualité nutritionnelle est la plus défavorable pour la santé, à la différence de l’échelle 5-C qui prévoit dans ce cas une pastille rouge. Cette information est pourtant nécessaire pour indiquer clairement qu’il est préférable, dans la même catégorie d’aliments, de choisir celui d’une autre marque dont la composition nutritionnelle est plus satisfaisante; ou encore choisir de manger l’aliment ‘rouge’ plus occasionnellement ou en plus petite quantité. Plusieurs travaux épidémiologiques et d’économie expérimentale soulignent d’ailleurs l’intérêt et l’absence de culpabilisation de la pastille rouge.Enfin les sociétés savantes pointent le risque de défiance des consommateurs vis-à-vis de l’étiquetage si celui-ci émane de l’industrie agro-alimentaire elle-même et si son mode de calcul n’est pas totalement transparent. Alors qu’elles campent sur leur position en faveur du système 5-C, elles s’en expliquent une nouvelle fois: «Un produit appelé de la même façon, par exemple ‘Muesli croustillant au chocolat’ (il en existe 35 sur le marché français) peut avoir des différences de qualité nutritionnelle aisément mises en évidence par le logo à 5 couleurs. La question n’est pas de recommander la fréquence quotidienne du muesli au chocolat ou la fréquence hebdomadaire de la pizza au fromage, mais de permettre au consommateur de voir les différences de qualité nutritionnelle d’une marque à l’autre et ainsi de lui permettre d’orienter ses choix vers des produits qui lui font plaisir mais de meilleure qualité nutritionnelle.»
La réplique – épisode 2
Prenant actes de ces critiques, la FCD a donc revu sa copie et mis au point un nouveau visuel qui ressemble au premier, a le goût du premier mais n’est pas le premier. Celui-ci a même un nom: SENS (Système d’Étiquetage Nutritionnel Simplifié) et ne manque ni d’arguments scientifiques, ni de références internationales.«Le ‘SENS’ est fondé sur le système ‘SAIN, LIM’ développé dès 2008 dans le cadre du groupe de travail de l’AFSSA sur les profils nutritionnels, et ayant fait l’objet de nombreuses publications scientifiques», met en avant la Fédération. «Le système ‘SAIN, LIM’ classe les aliments selon leurs défauts (score LIM) et leurs qualités nutritionnelles (score SAIN). Il a été adapté de manière à s’appuyer sur les valeurs nutritionnelles de référence européennes et est applicable partout en Europe par l’ensemble des opérateurs de manière autonome, quels que soient les produits, et cohérent avec les repères de consommation du PNNS. Ouvert à tous, l’algorithme obtenu permet de valoriser l’intérêt nutritionnel de chaque catégorie d’aliments, tout en conservant une approche transversale car applicable aux différentes catégories d’aliments.»À noter que la pastille rouge, elle, n’y est toujours pas.
Bientôt la fin du bras de fer
On en est là, en plein bras de fer entre la grande distribution d’une part, les autorités de santé, la communauté scientifique et les associations de consommateurs de l’autre. Une étude de l’EREN menée sur un échantillon de 14 230 adultes participant à l’étude NutriNet-Santé et publiée l’été dernier dans la revue Nutrients a certes mis en évidence que le système d’information nutritionnelle 5-C est le plus efficace pour permettre aux consommateurs de reconnaître et comparer la qualité nutritionnelle des aliments y compris dans des populations dites ‘à risque’, telles que les sujets âgés, à bas revenus, de faible niveau d’éducation ou de faible niveau de connaissance en nutrition, telles aussi que les personnes en surpoids ou obèses.Mais c’était avant que la grande distribution ne propose le SENS. À l’heure où nous bouclons cet article (le 29 février 2016), la Loi de Santé vient d’être promulguée. Elle pose le principe d’un étiquetage nutritionnel simplifié. Même en l’absence d’obligation faite aux fabricants et aux distributeurs qui pourront décider en toute légalité de ne pas jouer le jeu, nul doute que cela constitue un grand pas vers la mise en place du dispositif. Le match n’est toutefois pas complétement terminé car c’est un décret d’application attendu en juillet qui précisera le modèle retenu par la Ministre.