Décembre 2002 Par A. LACHANCE Initiatives

Les jeunes Africains sont dans le collimateur des multinationales du tabac, qui associent cigarette et activités culturelles et ludiques. La même logique qu’à Francorchamps. Les gouvernements ferment les yeux et refusent de dénoncer le lien entre tabac et mortalité. Pourtant 2 millions d’Africains en meurent par an.
C’est fête au village! De tous les hameaux, les jeunes ont accouru, vêtus de leurs plus beaux habits. Devant l’écran géant qui rediffuse le dernier match de la Coupe du monde, un présentateur affublé d’une casquette aux couleurs Marlboro fait gagner des GSM. Dans la foule enthousiaste, de jolies filles distribuent gratuitement des cigarettes allumées. Des centaines de mains se tendent…
À quelques nuances près, cette scène se répète tous les jours en Afrique subsaharienne, offerte par les multinationales du tabac qui tentent de convaincre les Africains, en particulier les jeunes, que ‘fumer, c’est cool!’ . Et ça marche: en dix ans, le nombre de fumeurs, notamment chez les jeunes et les citadins, y a progressé de 33 %, le taux le plus élevé du monde!
Malmenées en Occident par des réglementations anti-tabac de plus en plus restrictives, les grandes firmes se rabattent sur l’Afrique, un marché de 700 millions de consommateurs potentiels, constitué pour moitié de jeunes de moins de 20 ans. “ Pour elles, l’Afrique est un territoire vierge , affirme Mahamane Ibrahima Cissé , président de SOS Tabagisme-Mali, qui a dénoncé les manœuvres des multinationales du tabac en Afrique lors de la 1ère Conférence internationale francophone sur le contrôle du tabac, en septembre à Montréal. Il n’y a pratiquement pas de règlements et très peu de programmes publics de lutte anti-tabac. En Afrique francophone par exemple, seuls le Sénégal et le Mali ont adopté des lois, peu respectées. Les jeunes, victimes d’une forte exposition médiatique, succombent de plus en plus. Le quart d’entre eux fume déjà au Niger et au Burkina Faso, près du tiers au Mali et en Mauritanie .”

L’art de se faire des amis

Les compagnies de tabac mènent une politique agressive de parrainage d’activités culturelles et ludiques, facilitée par le plan d’ajustement structurel imposé par la Banque mondiale et le Fonds monétaire international, qui force les États à pratiquer des coupes claires dans leur budget. “ Les manifestations culturelles et sportives ont besoin de sponsors mais les ministères n’ont pas d’argent , dit Elhadj Adam Daouda , secrétaire général de l’Association de défense des consommateurs du Tchad. Elles se tournent vers les fabricants de cigarettes!”
Les gouvernements ferment les yeux. Et empochent, justifiant leur peu d’empressement à s’engager dans la lutte anti-tabac par le fait que les cigarettiers donnent du travail à beaucoup de monde: cultivateurs, employés de manufacture, vendeurs à la criée, etc. Ces emplois, qui aident à résorber un chômage endémique, n’expliquent pas tout, selon Inoussa Saouna , président de SOS Tabagisme-Niger, lui-même victime d’intimidation pour avoir osé assigner cinq multinationales du tabac en justice en février dernier. “ Il y a beaucoup d’affinités entre les compagnies de tabac et les politiciens, dit-il. Avec les brasseries, elles sont les plus importants bailleurs de fonds des partis politiques en Afrique. Elles exercent aussi une forte influence sur l’administration publique.”
Les pratiques de l’industrie sont à la base d’un florissant trafic. Ainsi le Togo, qui ne compte aucune manufacture de cigarettes, est bizarrement l’un des grands exportateurs de produits du tabac de la région, signe que le pays exporte des marchandises entrées illégalement. Au Mali, où plus de 70% du marché est dominé par la contrebande, c’est par camions entiers que les cigarettes sont acheminées illégalement vers l’Algérie. “ La contrebande est très importante , confirme Mahamane Cissé, qui refuse de se laisser entraîner sur le terrain glissant de la corruption des élus. Au Mali, l’industrie du tabac approche tout le monde, y compris les responsables politiques. Ils se font des amis… Est-ce pourquoi ceux-ci sont si souples avec l’industrie du tabac?”

Les devises avant la santé

La santé des populations est rarement prise en compte. Pourtant, tous les indices sont au rouge: l’OMS estime que près de 2 millions d’Africains meurent chaque année à cause du tabac! “ Les gouvernements ne se préoccupent que des entrées fiscales , accuse Elhadj Adam Daouda. Au Tchad, le tabac rapporte à l’État 4 milliards de francs cfa par an (ndlr : environ 6 millions d’euros), soit pas grand-chose si on compare au coût des soins de santé imputables au tabac. Mais il n’y a bien sûr aucune étude. Jusqu’à tout récemment, il n’y avait même aucune mention du caractère dangereux de la cigarette sur les paquets…”
Quand elle existe, cette mention reste sans effet puisque la grande majorité de la population est illettrée. Pire, les médecins n’y voient rien de mal. “ En RDC, bien des médecins ne savent même pas que le tabagisme est un problème ”, affirme le Dr Anik Mulwane , qui a exercé 15 ans à Kinshasa avant de s’établir au Québec.
Beaucoup de fumeurs sont fatalistes. “ Après tout, on doit bien mourir de quelque chose ”, disent-ils. Le cow-boy américain de Malboro risque de galoper longtemps dans les plaines calcinées du Sahel.
André Lachance , InfoSud-Syfia