Entre le 26 avril et le 6 juin 2004, les chaînes de télévision du pays ont diffusé une série de 6 spots proposés par la Fondation Rodin qui montraient de façon très explicite les dangers de la consommation du tabac (1). L’évaluation de la campagne par le CRIOC a porté sur les jeunes de 13 à 15 ans, et visait à mesurer l’impact d’images présentant des organes humains détruits par le tabac.
Les interviews ont été réalisés selon un plan expérimental précis: 222 jeunes furent interrogés avant la campagne et à la fin de celle-ci; 107 jeunes n’ont été interrogés qu’à la fin de la campagne. Au total donc, 551 interviews ont été réalisés, tant au Nord qu’au Sud du pays. La marge d’erreur est d’environ 5%.
Cette campagne a été remarquée par 2 jeunes sur 3 (notoriété aidée). Le caractère provocateur et choquant est souligné par les jeunes. Lorsqu’on leur demande ce qu’ils en ont retenu plus précisément, un grand nombre d’entre eux répond ‘les conséquences mortelles du tabac’ (soit 25% des réponses du côté francophone et 40% des réponses du côté néerlandophone). 4% des jeunes répètent littéralement le commentaire de campagne, ‘chaque cigarette vous détruit’.
Les jeunes interrogés attribuent l’intérêt pour les spots à leur caractère dérangeant et convaincant, parce que les spots montrent les risques réels de la consommation de tabac. Le rejet de ces images par moins d’un répondant sur quatre est en général dû au fait qu’elles provoquent le dégoût ou que les jeunes n’ont pas compris le slogan de la communication.
A peine un tiers des répondants (mais 58% des filles!) comprend le slogan ‘La vérité sans filtre’. Certains l’interprètent même de manière erronée (ex. ‘La cigarette avec filtre est moins nocive’). Ce slogan passe moins bien auprès des garçons et des jeunes de l’enseignement technique et professionnel.
Pour un jeune sur deux, les mises en scène sont crédibles. Pour la majorité des répondants, les situations proposées sont plausibles (elles racontent la vie de tous les jeunes, elles arriveront un jour à tous les fumeurs) et interpellantes (elles donnent l’impression que les fumeurs vont mourir) sans tomber dans l’exagération. Un quart des interrogés pensent que les spots exagèrent la nocivité de la cigarette.
Si la mise en scène provoque et dégoûte, ce rejet semble s’inscrire dans la logique de rejet de la cigarette et non du message. A ce titre, l’alchimie semble bien fonctionner. La vision des spots provoque des modifications de perception en ce qui concerne les risques liés au tabac. Les jeunes qui ont vu la campagne sembleraient incités à arrêter de fumer à court terme.
Curieusement, la perception du risque de dépendance dès la première cigarette est moins nette après la campagne qu’avant, et ce tant dans le Nord que dans le Sud. Même si la campagne ne portait pas sur les dangers liés à la dépendance, et à l’installation rapide de celle-ci, c’est un résultat un peu malheureux, que les promoteurs envisagent de ‘corriger’ lors d’une future campagne.
Selon la Fondation Rodin et le CRIOC, la campagne semble avoir modifié positivement les attitudes envers la cigarette et contribué à diminuer la consommation de tabac chez les jeunes sans avoir incité de nouveaux jeunes à fumer. Cette modification de comportement doit toutefois être nuancée vu la taille limitée de l’échantillon et être confirmée à plus long terme.
Nos commentaires
Les promoteurs de la campagne ont fait appel à des spots particulièrement ‘gore’, d’origine australienne, qui ont été utilisés plutôt dans le monde anglo-saxon jusqu’à présent. En Belgique, ce type de communication brutale semble d’ailleurs mieux passer en Flandre qu’en Communauté française.
Le caractère provocateur des messages a deux résultats en termes d’efficacité: acceptation (75%) et rejet (25%). Certains en concluent que les campagnes qui mobilisent affectivement le spectateur sont les plus efficaces. D’autres pensent au contraire qu’en mobilisant le cœur et les tripes plutôt que le cerveau, ces campagnes n’ont qu’un effet limité dans le temps sur la consommation de tabac.
Les résultats en termes de modification de la consommation des jeunes fumeurs portent sur un sous-échantillon trop faible (moins de 30 individus) pour pouvoir être considérés comme acquis. En effet, la prévalence du tabagisme dans la classe des 13 – 15 ans, est – heureusement – faible, de l’ordre de 8%.
En même temps que les spots de la Fondation Rodin, la Communauté française a diffusé une autre campagne antitabac, jouant quant à elle sur la dénormalisation de l’industrie. Le spot a été diffusé en télévision et radio (dans le cadre des espaces gratuits concédés aux messages de promotion de la santé) et dans les salles de cinéma (2). Nous n’avons pas d’élément d’évaluation de cette campagne.
Christian De Bock
(1) Les spots sont toujours visibles sur le site http://www.rodin-foundation.org : attention les yeux! Le rapport d’évaluation peut aussi y être téléchargé.
(2) Voir le site http://www.avotreinsu.be