Le rire, dit-on, est le propre de l’homme. Même quand une situation n’a, en soi, rien d’amusant, l’humour permet de prendre distance, de saisir la drôlerie involontaire et de s’en amuser, de dédramatiser, de reprendre courage… Fous Alliés , une bande dessinée consacrée aux troubles mentaux et plus particulièrement à la schizophrénie, est l’incarnation même de cette démarche. Elle a été réalisée par une soixantaine de patients de l’hôpital du Petit Bourgogne, à Liège, en collaboration avec un jeune dessinateur professionnel, Benjamin Parent . Leur objectif est de dédramatiser et de déstigmatiser la maladie mentale et de permettre au grand public, aux malades et à leurs proches de comprendre mieux les personnes qui souffrent de troubles psychiques.
Casser les stéréotypes
Ce projet de BD est né dans une équipe de soins pluridisciplinaires du Centre hospitalier psychiatrique de Liège. Au cours de leur pratique hospitalière, les intervenants de la salle 13 avaient souvent constaté la profonde méconnaissance de leur maladie par les patients: ils ne connaissent que la souffrance qu’elle engendre et ne réussissent pas à la gérer par manque d’information et d’éducation. Une BD, en dédramatisant la maladie, permettait de diffuser dans le public un message constructif. Elle donnait aussi la possibilité aux patients de s’exprimer et de travailler en collaboration avec les soignants pour créer ensemble un outil prophylactique.
Le projet s’est inscrit dans le cadre de 2001, Année de la santé mentale . Il fournit un témoignage à la fois incisif et tendre, toujours haut en couleurs, de la réalité des troubles psychiques. Le résultat est bien loin de l’image stéréotypée et des préjugés liés au «fou» et au «malade mental».
Des talents propres
« J’ai bien vécu la réalisation de la bande dessinée. Cela m’a permis d’exprimer ma maladie par le dessin. Je me suis extériorisé en racontant ma propre pathologie. Je pense que le dessin est plus facile à faire passer que la parole , explique Alain, l’un des patients-auteurs. Le dessin nous rappelle qu’on a des talents propres à soi. La maladie est plus facile à dessiner qu’à exprimer de soi-même. Le dessin m’a apporté beaucoup de bonheur ».
Et Jacqueline témoigne : « Pour moi, cela a été le déclic. J’ai pu enfin m’exprimer. J’ai commencé à avoir confiance en moi, j’ai vu que j’étais capable de faire quelque chose de mes dix doigts. Pour finir, on m’a laissée choisir et faire moi-même les personnages et leur emplacement dans les cases. Et depuis bientôt un an, je reviens au dessin deux fois par semaine. Je peux dire que cela m’a changée».
Avec le personnel, une vingtaine de patients, souffrant de diverses pathologies, ont en effet participé, de près ou de loin, à l’élaboration du scénario, des dessins, de l’encrage et du coloriage. Au préalable, aucun d’eux ne savait vraiment dessiner! Mais ils ont bénéficié de l’aide et du soutien d’un dessinateur professionnel, Benjamin Parent, frais émoulu de Saint-Luc. Durant un an et demi, il a animé l’atelier, écouté les patients, leur proposant certaines tâches en fonction de leurs désirs et du travail restant à effectuer. Deux d’entre eux ont suivi le projet de l’origine à la fin, continuant leur contribution une fois sortis de l’hôpital, lors d’une post-cure.
Connaissances et tranches de vie
La BD est conçue en trois parties: la première, plus théorique, rappelle sur le mode humoristique les symptômes et les causes de la schizophrénie. Elle a été conçue par Benjamin Parent sur base d’ouvrages traitant du sujet. Toutes les planches ont été soumises à l’approbation d’une ergothérapeute, d’une psychologue, de médecins et d’infirmiers afin d’en valider et d’en compléter le contenu. La deuxième partie, «Quelques personnes vous parlent», rassemble des portraits réalisés par des patients hospitalisés, déjà assez «stabilisés» pour prendre un certain recul par rapport à leur pathologie. Ils se présentent en quelques lignes et, parfois, expliquent la raison de leur présence à l’hôpital. Enfin, la dernière partie, «Coup d’blues pour Oscar», propose un récit de vie conçu par une ergothérapeute, une psychologue et quelques patients. Il raconte l’arrivée à l’hôpital, les premières impressions, les visites…
Fous Alliés s’adresse aux personnes malades, à leurs familles et à leurs proches afin que tous puissent mieux comprendre ce qui leur arrive. Mais la BD concerne aussi le plus large public: en effet, grâce aux textes réalisés par les professionnels, elle permet d’acquérir des connaissances et grâce à l’apport des patients, elle aide à réaliser que les troubles psychiques concernent des personnes ordinaires, des hommes et des femmes comme vous et moi.
L’album peut être commandé à Murielle Nuyts, CHP site Petit Bourgogne, 84, rue Professeur Mahaim, à 4000 Liège. Renseignements : tél. : 04 – 254 78 31 et 04 – 254 78 56 ou 0494 – 21 55 34.