Regard sur les déclarations de politiques régionales et communautaire
En mars dernier, lors de la rencontre proposée par l’APES-ULg, le débat a porté, brièvement, sur la place réelle de la promotion de la santé au sein des politiques menées par la Communauté française… Une grenouille qui voudrait se faire aussi grosse qu’un bœuf?
S’il est possible d’identifier un dispositif administratif et professionnel (législation, budget, instances, services, projets…), il semble bien plus difficile d’analyser la contribution de ce dispositif d’une part aux politiques mises en place et, d’autre part, à la ‘capacité des populations à prendre en charge leur santé’. Néanmoins, on peut avancer, sans grand risque de se tromper, que le débat public et les enjeux politiques négligent la promotion de la santé, comme dispositif.
Pourquoi cette absence d’influence? On peut évoquer plusieurs raisons qui mériteraient développements et analyses nuancées en d’autres lieux:
-la dispersion des compétences en matière de santé entre le fédéral et les entités fédérées;
-la place relative (modeste, voire très modeste) de la prévention dans le système de soins (dit de santé), mais aussi cette même place relative au regard des principaux dispositifs de la Communauté, l’enseignement et la culture;
-la représentation sociale de la santé parmi la majeure partie de la population et donc de ses représentants, qui reste pour l’essentiel l’absence de maladie;
-une difficulté réelle pour la promotion de la santé, au vu de la complexité de son objet, de clarifier ses modalités d’action et ses effets dans le temps et dans l’espace pour faire valoir son efficacité et rendre des comptes sur son action;
-la dispersion des acteurs spécialisés et leur manque d’identité professionnelle (corpus de connaissances et de pratiques entre autres). Pour différentes raisons à approfondir, il n’y a pas de regroupement professionnel, mais une offre de formation initiale dispersée, des origines professionnelles multiples, une offre de formation continuée faible, pas ou peu de recherche scientifique… Certains acteurs, dans le dispositif lui-même, revendiquent d’ailleurs ce manque d’identité au nom d’une approche globale et transversale de la santé;
-la ‘prétention’ de la promotion de la santé (de son dispositif?) à l’universalisme (tout serait matière à santé) au regard de ses moyens et de ses méthodes. La promotion de la santé érige en principes incontournables des finalités sociétales louables telles que la lutte contre les inégalités de santé ou le renforcement du pouvoir de dire et d’agir des citoyens sur leur santé. Cependant le caractère universel et global de ces principes pousserait certains à considérer qu’ il ne serait pas possible, voire contre nature, de se professionnaliser. A force de courir après un modèle holistique de la santé et la multiplicité des déterminants de la santé, le risque est grand de se diluer totalement et de devenir transparent. A force d’être soluble dans la société, la promotion de la santé est devenue indiscernable.
Le manque de participation au débat public
C’est ce dernier point que nous voudrions traiter en proposant de remettre au goût du jour une des pistes déjà bien présente dans la charte d’Ottawa en 1986: le plaidoyer.
Que faire?
Lors de notre rencontre en mars, les représentants politiques nous ont encouragés à interpeller le parlement et sa commission santé et pas seulement le gouvernement. Six mois et une élection plus tard, examinons les déclarations de politique générale de la Communauté et des Régions pour identifier quelques points à leur soumettre sur une contribution du référentiel et du dispositif de la promotion de la santé, mais aussi quelques enjeux de société susceptibles d’interpeller les assemblées.
Premier enjeu: la régionalisation de la promotion de la santé
Poser la question de la place de la promotion de la santé dans le futur paysage institutionnel belge a au moins le mérite d’oser un débat d’actualité. Mais c’est plus que cela!
Nous y voyons de nombreux avantages et, en particulier, une approche cohérente de la lutte contre les inégalités sociales de santé. Les politiques sociales sont régionales. La meilleure manière d’y contribuer, c’est d’en faire partie. Les plans de cohésion sociale des communes initiés, financés et pilotés par la Région ont un volet sur l’accès à la santé. De plus, la régionalisation permettrait d’envisager un renforcement global du dispositif ‘santé publique’ en y associant la santé mentale, le secteur de prise en charge des assuétudes, des centres collectifs de santé, des soins à domicile, des hôpitaux… Un échelon de moins dans la dispersion des compétences. Plus de cohérence, des économies d’échelle, plus de leviers, plus de visibilité, plus d’intérêt de la population, des médias… du politique.
Sur le modèle d’une proposition faite à propos de l’enseignement, la Communauté pourrait garder des prérogatives normatives, mais le pouvoir organisateur serait la Région.
La Région bruxelloise a déjà défini une politique de promotion de la santé et s’est inscrite dans le réseau OMS des ‘villes santé’. Nous attendons, au minimum, que le parlement de la Région wallonne organise un débat au cours de la législature sur son rôle en matière de santé, en particulier dans le cadre de sa politique sociale. La promotion de la santé pourrait y montrer sa contribution en tant que référentiel et que dispositif (en particulier le rôle des centres locaux de promotion de la santé).
Que trouve-t-on sur cette question dans les déclarations de politique?
Au niveau wallon:
‘ Une Fédération Wallonie – Bruxelles consacrant la solidarité francophone dans un Etat fédéral belge moderne basé sur trois Régions fortes et égales . […] Un réel pilotage commun qui reposera sur deux Régions fortes composant ensemble une Fédération Wallonie – Bruxelles tout aussi forte .’
La Région wallonne propose un chapitre santé (partie II). Son introduction ouvre la voie à un réel débat au parlement sur une région promotrice de santé :
« Prévenir , soigner , guérir les maladies et promouvoir la santé , telles doivent être les missions essentielles de notre système de santé […]. Le Gouvernement s’attellera dans ce cadre à travailler en synergies étroites avec la Fédération Wallonie – Bruxelles . […] Il contribuera à la réduction des inégalités devant la santé en développant une réelle politique intersectorielle destinée à embrasser l’ensemble des facteurs déterminants de la santé : ceux d’ordre sanitaire ( le système de soins ) mais aussi ceux qui contribuent à l’amélioration du bien – être et de la qualité de vie ( revenu et statut social , environnement social et physique , éducation et formation , habitudes de vie et de santé , emploi , réseaux de soutien social …). […] Le Gouvernement veillera également à promouvoir des lieux de vie favorables à la santé ( villes , villages et communes , hôpitaux , entreprises etc .) en veillant à la participation des populations dans la mise en oeuvre des projets . […]»
La déclaration de la Région bruxelloise (Cocof) propose un chapitre qui joint ‘les politiques sociales et de santé’.
Deuxième enjeu: le réchauffement climatique et plus largement l’environnement voire le développement durable
Si le premier enjeu est surtout institutionnel et belgo-belge, voici un enjeu planétaire, brûlant d’actualité et qui sert de toile de fond à l’actuelle coalition politique. Y a-t-il ici une place pour la promotion de la santé?
Pour faire court, il est évident que les modifications climatiques ont déjà et auront encore plus dans l’avenir un impact important sur la santé des populations. Il est aussi évident que les stratégies de modification des cadres et des modes de vie pour prévenir le réchauffement climatique et préserver notre environnement vont de pair avec celles qui visent à promouvoir la santé.
Les propositions de développement durable abondent dans les déclarations de politique régionale et communautaire, mais la contribution de la santé y est peu apparente. Or, dès la déclaration de Rio, la santé figure comme un enjeu du développement durable dans les textes onusiens.
Une piste parmi d’autres. Dans la troisième partie de la déclaration régionale (point 4), le gouvernement souhaite ‘ une administration qui intègre le développement durable ‘ et propose de ‘ mettre en place une cellule administrative spécifique chargée de formuler des avis sur base d’un examen « développement durable ».’ Voilà une voie possible pour une démarche EIS (évaluation de l’impact santé) telle qu’appliquée au Québec. Il suffirait (!) que le critère ‘santé’ soit reconnu comme faisant partie d’un examen ‘développement durable’.
D’autres pistes régionales: le PCDR (plan communal de développement rural) qui serait plus transversal pourrait intégrer l’approche de la promotion de la santé et de la qualité de vie. La même intégration pourrait être tentée en regard du plan stratégique communal qui doit inclure un volet ‘promotion des lieux de vie favorables à la santé’: aménagement du territoire, environnement, logement, mobilité, accueil des enfants, des jeunes et des seniors, etc.
Au niveau de l’enseignement, pourquoi ne pas croiser le module d’initiation à la citoyenneté, l’éducation à l’environnement et au développement durable, l’éducation à l’interculturalité, l’éducation aux médias, l’éducation à la vie affective et sexuelle, l’éducation à la prévention des assuétudes avec la demande à chaque école d’intégrer dans son projet la notion de promotion du bien-être de l’enfant dans toutes ses dimensions (organiser des cellules ‘bien-être’) avec, en plus, la demande de développer des projets participatifs. Une vision et une approche plus globale des attentes sociétales vis-à-vis de l’école et de l’enseignement, par exemple dans le cadre d’un agenda 21 scolaire alliant développement durable et promotion de la santé, apporterait de la cohérence.
L’action plus transversale dans une dynamique de développement territorial global des centres culturels en introduisant une approche de la qualité de vie et de la santé.
Troisième enjeu: le vieillissement de la population
Cet enjeu occupe peut-être moins la scène médiatique pour l’instant, mais est tout aussi inéluctable, surtout en période d’austérité budgétaire.
Ici aussi la promotion de la santé devrait jouer un rôle essentiel dans la prévention de la dépendance, dans l’ajout de la qualité de vie aux années de vie. Remarquons aussi que les politiques en la matière sont fédérales et régionales et interagissent avec les enjeux de la régionalisation et du développement durable. La Communauté, historiquement orientée vers l’enfance et la jeunesse, a négligé cette population.
Quels leviers trouver dans les déclarations de politique?
Dans le volet régional, au chapitre ‘Assurer une vraie place pour les aînés’, le point 3 porte sur ‘ une politique de prévention des risques de santé liés à l’âge . Favoriser , chez les aînés , toutes les activités leur permettant de conserver une bonne santé physique , […] pratique régulière et adaptée d’un sport […] alimentation équilibrée , sensibilisation au danger de l’automédication et à l’importance de la participation à la vie sociale et culturelle .’ Et pour la première fois, un paragraphe sur la santé des aînés apparaît dans le chapitre ‘santé’ (point 8) de la déclaration de la Communauté (un copié-collé de la déclaration régionale).
Le vieillissement de la population apparaît aussi comme un thème majeur pour la recherche wallonne: ‘ Le vieillissement de la population constitue une thématique de recherche transversale par excellence . Il s’agit d’étudier les nouveaux rôles des personnes âgées dans la société , d’établir les besoins en matière de support aux personnes âgées ( notamment en matière d’autonomie et de soutien aux familles ) et de soutenir la recherche sur le traitement des maladies liées au vieillissement .’ Mais pas de place pour l’instant (et c’est là un enjeu fort) pour une approche large du vieillissement intégrant la prévention et la promotion de la santé. La Région n’envisage la recherche que dans le cadre de ses compétences sociales et économiques (volet pharmaceutique!).
Actualiser la promotion de la santé passe par la confrontation des concepts et des méthodes avec les enjeux sociaux vécus par la population, amplifiés par les médias et saisis par les représentants politiques. Le secteur de la promotion de la santé et les professionnels qui y travaillent doivent amplifier leur plaidoyer. Ce n’est pas une question d’opportunité, la mobilisation sociale fait partie intégrante du concept et des méthodes: renforcer notre pouvoir de dire et d’agir comme acteur, diversifier et approfondir les réseaux, trouver des alliés.
Michel Demarteau , Docteur en santé publique