Février 2021 Par Sarah HASSAN Données

#Génération2020 est une enquête de grande ampleur sur les usages numériques des enfants et des ados en Fédération Wallonie-Bruxelles. Elle a sondé l’utilisation des applications et différents écrans par les jeunes (de 6 à 12 ans et de 12 à 18 ans), mais aussi leur rapport à l’information et la gestion de leurs interactions en ligne. Réalisée entre octobre 2019 et janvier 2020 (elle n’intègre donc pas les changements de comportements qui ont pu avoir lieu pendant la période de confinement qui a suivi) , #Génération2020 est le fruit d’une collaboration entre Media Animation et le Conseil Supérieur de l’Education au Média (CSEM) dans le cadre du projet européen BBICO3.

Teen Girl Holds Phone Sitting On Sofa Young Woman Looking At Cell Feeling Hopeless
crédit: Adobe

Cette enquête est l’équivalent francophone de « Apestaartjaren », réalisée en Flandre depuis 2008 qui sonde les jeunes néerlandophones. Grâce à cette enquête qui mêle entretiens qualitatifs et quantitatifs, différentes données concernant la consommation des outils numériques par les jeunes ont pu être mises en évidences. Dans cet article, nous nous intéresserons plus spécifiquement aux résultats qui affectent la vie relationnelle, affective et sexuelle (VRAS) des jeunes, mais aussi ce qui touche au cyberharcèlement, à la santé mentale et au stress.

Bases des usages

L’enquête commence par mettre en évidence la différence de traitement faite par les parents par rapport aux enfants en primaire et ceux en secondaire.

Pour les enfants à l’école primaire, le smartphone est présent chez 80% des élèves à partir de la 5ème ou 6ème primaire mais le temps passé sur l’écran reste majoritairement contrôlé par les parents. Cependant, peu d’entre eux savent exactement ce que leur enfant fait en ligne. Il ressort néanmoins que l’utilisation principale qui en est faite est de l’ordre du divertissement (top 3 : jouer, regarder des vidéos, écouter de la musique).

Chez les adolescents, les écrans sont principalement utilisés pour avoir accès aux réseaux sociaux. Il apparaît que les parents interviennent très peu dans la régulation de leurs activités en ligne. Un peu plus de 70% d’entre eux n’est pas limité par un ou des parents dans sa durée d’utilisation du smartphone. 80% d’entre eux ne discutent jamais avec leur.s parent.s de ce qu’ils font en ligne. Pour les élèves de secondaire, les plateformes les plus populaires sont : YouTube, Instagram, Snapchat, WhatsApp et Messenger et dans une certaine mesure Facebook et TikTok. Un ado sur deux reconnait d’ailleurs passer « trop » de temps sur son smartphone.

Stress numérique

#Génération2020 a sondé les jeunes sur la question du stress potentiellement généré par la surutilisation des outils numériques, et recueilli leurs opinions et ressentis sur les utilisations communément considérées comme problématiques. « La privation d’accès aux écrans provoque-t-elle une impression de manque(1) ? Plus de la moitié (55 %) des élèves déclare qu’ils ou elles ressentiront un certain manque (35 % ≪ oui, un peu ≫, et 20 % ≪ oui, certainement ≫) s’ils ou elles ne peuvent utiliser leur tablette pendant une journée. Mais les enfants s’estiment-ils·elles eux-mêmes trop attachés à leur tablette ? 61 % répondent par l’affirmative (28 % « parfois » et 33 % « souvent »). Le constat est le même en ce qui concerne le smartphone : 66 % des répondant·es disposant d’un smartphone ressentiront un manque (27 % « oui, certainement » et 39 % « oui, un peu ») s’ils·elles n’y ont pas accès pendant une journée. Ils sont 56 % à estimer l’utiliser avec excès (36 % « parfois » et 20 % « souvent »). » (Wiard, 2020 p.45). Mais surutilisation et stress ont des liens plus complexes qu’il n’y paraît car les enquêteurs mettent en évidence que si les jeunes disent surutiliser les outils numériques, en pratique et en creusant les discussions, ce « trop » est surtout admis comme une forme de désirabilité vis-à-vis de l’adulte.

Cyberharcèlement(2)

L’enquête met en évidence que, globalement, les jeunes ont tendance à veiller à la protection de leur vie privée en ligne. Le contrôle est réalisé a priori et consiste d’abord à ne pas accepter n’importe qui en ami.es sur les réseaux sociaux. Près de 80% des jeunes se diront d’accord ou tout à fait d’accord avec cette affirmation, quand 64% diront aussi se servir de la gestion des paramètres de confidentialité. En ce qui concerne le contrôle a posteriori : 56% reconnaissent avoir déjà supprimé une identification d’eux-mêmes sur une photo publiée sur un réseau social.

Vie Relationnelle Affective et Sexuelle 2.0

Un biais qu’il faut prendre en considération lorsqu’il est question d’interroger les adolescents sur leur vie sexuelle en ligne réside dans le fait même qu’un adulte conduise l’entretien. Yves Collard, responsable des entretiens qualitatifs, explique que « les adolescents parlent surtout des autres adolescents et ont du mal, c’est normal à en parler pour eux-mêmes».³

Genre

Lors des entretiens, lorsqu’il est question de contrôle de la sexualité, la question de genre s’impose d’elle-même. Yves Collard souligne que « le contrôle de l’image de la sexualité repose essentiellement sur les filles ». « Régulièrement dans les entretiens il était question du contrôle de la sexualité des filles. […] Pour les ados, exposer son corps, c’est en quelques sortes indiquer son niveau de moralité. ». Pour les filles, il s’agit aussi de se rendre désirable tout en indiquant aussi sa « respectabilité », « et donc c’est une zone extrêmement compliquée à négocier pour les adolescentes », explique toujours Yves Collard, et ce en dépit de l’aide et des normes du groupe (extrêmement drastiques dans certains cas).
Certains chiffres mettent très fort en évidence ces différences entre les genres. Notamment dans le cadre de la réponse à la question « Quelqu’un t’a-t-il forcé.e ou mis la pression pour que tu envoies une photo coquine ? ». 93% des filles répondent par l’affirmative, contre seulement 7% des garçons. Ces derniers seront par contre plus nombreux à faire des photos sur lesquelles ils sont clairement identifiables.

Sexto et photos coquines

S’il est certain que les jeunes du secondaire exploitent les outils numériques à leur disposition pour explorer et nourrir leur vie sexuelle, affective et relationnelle, #Génération2020 s’est demandé comment ils le faisaient plus précisément. Il ressort sans vraiment de surprise que les applications et réseaux sociaux sont souvent utilisés par le ou la jeune pour dialoguer avec son ou sa partenaire. Mais qu’en est-il des fameux sexto et photos coquines ?

« Au cours des deux derniers mois, seuls 15 % des jeunes interrogés expriment avoir pris une photo coquine d’eux-mêmes avec l’intention de l’exploiter dans un sexto. Cela ne signifie pas que les jeunes l’ont effectivement envoyée » (Wiard, 2020 p.54). Seules 76 % d’entre elles seront finalement envoyées. Cependant, ces chiffres sont à prendre avec un certain recul car il s’agit d’un sujet qui semble difficile à aborder pour les jeunes. Les enquêteurs.trices précisent qu’ils observent « surtout une pudeur des jeunes à s’exprimer sur ce sujet, comme en témoigne le faible taux de participation à la question relative à cette pratique ».
Le fait de pouvoir mettre une interface numérique entre soi et son, sa ou ses partenaires, peut fournir à certains jeunes une alternative pratique pour « tenter progressivement l’aventure des rencontres amoureuses, mais aussi parfois, pour explorer, voire construire, sa sexualité » (Wiard, 2020 p.54).

Contrairement à ce que l’on pourrait penser, la plupart des adolescent·es considèrent que la question de photos coquines est quelque chose de préoccupant et non une norme. Néanmoins, ils estiment que cette dérive a peu de poids en comparaison des enrichissements affectifs que les interfaces leur procurent.

Graphe Génération 2020 (1)

Graphe Génération 2020 (2)

Comme l’illustre le graphique ci-dessus, la moitié des photos coquines est prise en sous-vêtements, en exposant donc une nudité partielle, avec une différence marquée entre les genres. Quand les garçons se disent susceptibles de poser nus, les filles répondent de façon moins tranchée.

« Ça dépend un peu de l’expérience de chacun.
Depuis qu’il y a les réseaux, tout le monde le fait.
C’est devenu une habitude […] moi j’ai déjà reçu
[…] si la personne me plaît, voilà je suis content.
Mais si c’est une personne que je ne connais pas,
je serais choqué. Si c’est une personne que t’aimes
beaucoup, pourquoi pas. Mais envoyer des choses
de moi, je ne l’ai jamais fait […] mais, pour moi, c’est
pas un problème. Y’a pas que les jeunes qui le font !
Des parents aussi le font ! Je dirais que c’est un truc naturel, des envies de l’homme et de la femme. » (S6)

Verbatim issu du livret #Génération 2020, les jeunes et les pratiques numériques (Wiard, 2020 p.54)

Si les informations qui ressortent de cette enquête apportent un éclairage très intéressant sur les pratiques numériques des jeunes dans les domaines de l’EVRAS et de la santé mentale liée aux problèmes de cyberharcèlement et de stress numérique, elles doivent être prises avec recul. En effet, les auteurs et autrices rappellent à de nombreuses reprises les biais auxquels ils et elles ont fait face. Il appartient à ceux qui travaillent sur le terrain, avec et pour les jeunes (que ce soit dans le cadre de la création d’outils qui leurs sont destinés, ou d’animations) de se saisir de ces données et de les confronter à leur réalité de terrain.

Nous vous invitons vivement à prendre connaissance des résultats complets de l’enquête #Génération2020 sur le site internet qui lui est dédié, ou encore en téléchargeant le livret en pdf. Il vous est aussi possible d’accéder à des analyses des résultats (5, par thème).

(1) Cette impression de manque n’a pas de valeur diagnostique sur une quelconque addiction, il s’agit uniquement du ressenti des repondant・es.

(2) Les questions sur ce thème ont été posées de façon aléatoire en secondaire (environ 1/3 des élèves y ont répondu) et en primaire (avec pour les primaires une diffusion de ces questions à partir de la 3ème primaire).