Genèse du projet
L’aventure débute le 5 décembre 2009. À cette date l’asbl Promo Santé et Médecine Générale (PSMG) organise un colloque ayant pour thème ‘Médecine générale, situations de précarité et interdisciplinarité’.
De cet événement qui rassemble un peu plus de 70 personnes, parmi lesquelles 51 médecins généralistes, ressortent les constats suivants:
- les médecins, par manque de connaissances, et travaillant peu en réseau, font rarement appel aux acteurs sociaux;
- individuellement, ils sont confrontés à des situations complexes rencontrées notamment au sein des familles précarisées où l’état de santé des personnes est, de manière évidente, influencée par un ensemble de facteurs ne relevant pas exclusivement de la médecine.
Pour pouvoir répondre à ces situations, les médecins généralistes ont donc besoin de collaborer avec les acteurs sociaux locaux présents sur le territoire. Mais qui sont-ils, où sont-ils et comment les contacter ?
Sur base de ces constats, cinq médecins ont souhaité prendre l’initiative d’organiser une rencontre de professionnels s’intéressant à la santé des personnes en situation de précarité dans sept communes de la Région du Centre dans le Hainaut.
Pour les aider dans cette démarche, ils font appel à l’asbl PSMG qui, de son côté, y voit une opportunité de développer un projet pilote au niveau local. Pour l’accompagner dans ce projet, l’asbl, financée par la Communauté française de Belgique et plus tard par la Région wallonne et la Cocof, se tourne vers différentes associations.
D’une part, une collaboration se met en place avec l’Institut Cardijn, afin de ne pas s’enfermer dans le seul point de vue du médecin généraliste et pour garantir une prise en compte du secteur social et, d’autre part, un partenariat se développe avec les CLPS de Mons-Soignies et de Charleroi-Thuin, apportant une aide méthodologique et une connaissance spécifique du tissu associatif local.
Constitution du groupe de travail
Le projet se concentre sur deux entités, La Louvière et Manage, car les médecins porteurs du projet sont majoritairement issus de ces deux communes.
Tout d’abord les acteurs locaux de ce territoire pouvant constituer le groupe de travail chargé de co-construire le projet sont identifiés et il est décidé de prendre contact avec les organisations suivantes:
- des institutions actives sur le terrain: les CPAS des deux communes, les Plans de cohésion sociale, le Relais Santé de La Louvière, le projet communal Objectif Santé de Manage, les services sociaux des deux hôpitaux de la région (Jolimont et Tivoli);
- des institutions de deuxième ligne: La Louvière Ville Santé, l’Observatoire de la Santé du Hainaut.
La plupart de ces institutions répondront présentes et le Réseau Local Multidisciplinaire du Centre viendra rejoindre rapidement ce groupe de travail. Cet acteur étant reconnu par les médecins généralistes, il allait être un atout sur le terrain de la communication avec ces derniers.
Enfin, pour s’assurer de leur soutien et de la participation des institutions dont ils sont responsables (CPAS, Relais Santé Louviérois, La Louvière Ville Santé, Plans de Cohésion sociale de Manage et de La Louvière), une lettre officielle est envoyée aux bourgmestres et échevins de la santé, co-signée par les médecins généralistes participant au groupe.
Apprendre à se connaître et définir les actions à mener
Les deux premières réunions donnent l’opportunité aux médecins généralistes et aux acteurs sociaux d’échanger, d’entendre les avis des uns et des autres sur la manière dont ils voient leur rôle social et de comprendre ce que l’un attend de l’autre.
Partant de cas concrets, les constats se confirment: il y une méconnaissance de ce qui existe au niveau social mais également une mauvaise, voire une absence de communication entre les deux secteurs. Le problème est donc bien réel. Le groupe se définit comme objectif de créer et/ou d’améliorer la collaboration entre médecins généralistes et acteurs sociaux.
Une première piste d’action émerge alors de ce constat partagé: éditer un vade-mecum à destination des médecins généralistes comme préalable à une rencontre entre les acteurs sociaux et les médecins généralistes de la région. Ce vade-mecum se voudrait non exhaustif et se présenterait plutôt comme un recueil des associations/institutions clefs pouvant éventuellement orienter le public vers d’autres relais s’ils ne sont pas les plus aptes à pouvoir répondre à la demande.
La réalisation de ce travail a pris un peu moins d’un an, pour identifier les institutions à référencer, définir la forme et la structure du vade-mecum, sélectionner les données qui seront publiées, etc.
Ce travail effectué, la deuxième étape a été d’organiser un événement pour présenter le vade-mecum et pour réunir un maximum d’acteurs locaux. Cette soirée a eu lieu en octobre 2011 et a permis à 22 médecins généralistes et 39 acteurs sociaux de se rencontrer.
La soirée s’est construite autour de trois temps forts:
- présentation en plénière du vade-mecum, de son contenu et de ses objectifs;
- organisation de moments de rencontre pour permettre aux médecins généralistes et aux acteurs sociaux d’échanger sur leur vision de l’action à mener en direction de personnes en situation de précarité. Ces moments de rencontre ont été organisés en petits groupes, sous la forme de ‘speed dating’ structurés autour de stands thématiques: aide sociale générale, aide aux étrangers, assuétudes, aide à l’enfance et à la jeunesse, aide aux familles et aux seniors, handicaps, maltraitance, sans-abrisme, santé mentale et surendettement. Cette formule a permis, en un minimum de temps, de générer des discussions entre un maximum de personnes;
- retour en plénière pour un échange d’avis sur le vade-mecum et son utilisation potentielle, ainsi que sur les perspectives de projets communs. De nombreuses idées ont été émises et il appartient au groupe de partenaires d’en étudier la pertinence et la faisabilité. En voici quelques exemples: un référent, une personne ou un numéro unique qui pourrait renseigner tous les services; un site interactif; l’animation de Glems et Dodécagroupes; la concertation entre travailleurs sociaux et médecins généralistes; l’évaluation du vade-mecum.
Suite à cette rencontre et aux perspectives évoquées, la troisième étape portée par les partenaires a été d’organiser des rencontres entre acteurs sociaux et médecins généralistes au sein des Glems locaux. Ces réunions ont eu pour objet de continuer à diffuser le vade-mecum, notamment auprès de médecins qui n’étaient pas présents lors de la rencontre d’octobre 2011, mais également de poursuivre les relations entre ces deux types d’acteurs.
La méthode a été de partir d’analyses de cas concrets pour montrer l’intérêt de l’usage du vade-mecum, mais surtout de continuer de créer et/ou renforcer les liens entre médecins généralistes et acteurs sociaux. Le bilan de ces soirées est très positif. La rencontre entre les deux mondes s’étend pour dépasser l’existence du groupe de travail. Les acteurs sociaux découvrent des médecins généralistes plus accessibles qu’il n’y paraît tandis que ces derniers engrangent des informations qui leur seront directement utiles dans leurs pratiques.
Le temps des bilans
Une première évaluation est réalisée 18 mois après la soirée et concerne la pénétration et l’utilisation effective du vade-mecum par les médecins généralistes. Elle s’effectue dans deux groupes de médecins (sur 27 médecins, 26 le connaissent, et 21 le possèdent). Parmi ceux-ci, 8 l’ont utilisé plus d’une fois et 7 d’entre eux ont trouvé un interlocuteur adéquat. Les médecins qui ne l’ont pas utilisé ont leurs propres réseaux, ou n’en ont pas eu besoin, ou n’y ont pas pensé, ou ne savaient plus où il était…
Nous avons retenu de ces résultats que le vade-mecum était parfaitement connu et qu’il était utile à ceux qui en avaient besoin. À chaque rencontre avec des groupes de médecins généralistes, nous continuons de le distribuer. Le stock de brochures est épuisé mais le vade-mecum reste accessible sur le site du Réseau Local Multidisciplinaire.
Après la réalisation, la diffusion et l’évaluation du vade-mecum, le groupe n’avait plus d’objectif précis de travail et il a souhaité évaluer l’ensemble de la dynamique partenariale. Un processus d’auto-évaluation est mis en place en 2013 (via un questionnaire individuel et puis discussion sur les données recueillies). Les résultats de l’évaluation sont sans équivoque. Les membres du groupe veulent poursuivre la collaboration, sous certaines conditions:
- travailler à des réalisations concrètes;
- mettre à jour le vade-mecum;
- continuer d’informer et de mobiliser les acteurs sociaux et les médecins généralistes en veillant à ne pas trop solliciter ces derniers.
Sur base de cette évaluation, le groupe décide de mettre en chantier la réalisation d’un carnet de communication entre intervenants sociaux et médecins généralistes, au bénéfice du bien-être du patient et de la qualité des interventions qui le concernent.
Quatre étapes sont identifiées pour la construction de ce projet:
- organisation d’une récolte des besoins des professionnels: médecins généralistes, acteurs sociaux, aides familiales et acteurs exerçant en milieu hospitalier;
- identification des outils déjà existants. Pour ce travail, le coordinateur du Service intégré de soins à domicile (SISD) de la région du Centre et Soignes rejoint le groupe;
- élaboration de l’outil;
- phase de test.
Suite à un premier constat de l’existence de nombreux supports de communication utilisés avec plus ou moins de réussite, de manière plus ou moins pluridisciplinaire, il est décidé de réaliser un outil de communication simple intégrant les messages de tous les intervenants à domicile: médecins, paramédicaux, aides-à-domicile ainsi que l’entourage du patient. Cet outil n’avait pas la prétention de remplacer les différents outils existants. Il a été testé sur une période de 3 mois par 80 aides familiales et 10 infirmières d’un Centre d’Aide à Domicile auprès de 500 patients. Les travailleurs du CSD et non les autres intervenants au domicile remplissent le document qui reste cependant peu utilisé. L’évaluation du pré-test indique que le questionnaire est vécu comme un rajout, comme un outil de contrôle. Les travailleurs n’en perçoivent pas l’intérêt et ont des difficultés à sortir de leurs habitudes. Quant aux infirmières elles déclarent ne pas avoir le temps. Face à cette sous-utilisation il est décidé d’abandonner l’outil.
Notre souhait d’élargir l’utilisation d’un tel outil de communication à d’autres acteurs que ceux du monde médical et paramédical (le patient et son entourage proche) amenait par ailleurs régulièrement des freins sur la question du secret professionnel.
Face à la diminution importante du nombre de médecins généralistes présents au sein du réseau, les partenaires sont allés à leur rencontre pour mieux cerner leurs attentes et besoins. Une réunion a eu lieu avec le Dodécagroupe de Manage en janvier 2016. Si les médecins généralistes avaient différentes demandes en termes de communication, entre autres, vis-à-vis des CPAS ou des hôpitaux, ils n’étaient pas prêts à s’engager dans un nouveau projet. Une demande a également été faite pour une rencontre avec le Dodécagroupe de La Louvière mais le responsable a décliné la proposition, car aujourd’hui la priorité est mise sur l’e-health.
Le réseau s’est réuni une dernière fois en mars 2016, pour prendre une décision sur son avenir. Il a été constaté que l’objectif initial de créer et/ou d’améliorer la collaboration entre médecins généralistes et acteurs sociaux reste d’actualité. Cependant, sans la présence d’un minimum de médecins, il est difficile de mettre en place des projets spécifiques. Sur les quatre généralistes qui ont été actifs dans le réseau, l’un est décédé et deux autres ont pris leur pension et avec la pénurie de médecins généralistes dans la région, il est difficile de trouver de nouvelles recrues.
Les partenaires ont donc pris la décision de mettre fin au réseau, en s’organisant toutefois pour réaliser une mise à jour du vade-mecum et en se promettant de réactiver le groupe au besoin.