Entre 1997 et 2004, la prescription des antidépresseurs a presque doublé en Belgique, passant de 109 millions à 199 millions de doses journalières. En 2004, 11,3% des Belges se sont vus prescrire un antidépresseur. Ce phénomène n’est pas spécifique à notre pays, nos voisins européens sont confrontés à la même situation.
Paradoxalement, les études soulignent à la fois une prise en charge insuffisante des troubles dépressifs et en même temps un recours parfois trop rapide au traitement médicamenteux et une prescription parfois en dehors des indications. Les spécialistes s’accordent pour parler plutôt d’un «dysfonctionnement» de la prescription que de surconsommation.
Un partenariat pour une plus grande performance
Les mutualités disposent d’informations précises et d’une expertise qui peuvent se révéler utiles dans le cadre d’une aide à l’évaluation tant sur le plan global qu’au niveau individuel. La volonté de la Mutualité socialiste est de se positionner en partenaire des prestataires de soins et des administrations concernées de manière à contribuer à améliorer les performances de notre système de soins de santé tant au niveau de l’accessibilité aux soins que de leur qualité.
C’est dans cet esprit que s’inscrit cette étude: apporter des éléments complémentaires d’évaluation de la prescription d’antidépresseurs sur base des données relatives aux affiliés de la Mutualité socialiste.
Des résultats intéressants et surprenants
Dans un premier temps, l’étude souligne que les antidépresseurs coûtent cher à l’INAMI (7,2% du budget des spécialités pharmaceutiques) et au patient qui prend à sa charge 24% du coût total des antidépresseurs (contre 19% pour l’ensemble des spécialités). Le coût important à charge du patient s’explique en partie par un taux relativement faible de prescription de molécules «bon marché» (génériques, copies ou originaux ayant diminué leur prix): 17,2% alors que potentiellement 49% des prescriptions pourraient être des molécules moins chères. Cinq molécules concentrent 70% des volumes et 79% des dépenses. Ces dernières années, on assiste même à une substitution vers des molécules plus chères.
Les résultats montrent ensuite que la croissance des antidépresseurs est essentiellement une croissance en volume qui s’explique à part égale par une augmentation des patients traités et des quantités prescrites par patient. Ainsi,11,5% de la population affiliée à la Mutualité socialiste se sont vus prescrire au moins un antidépresseur en 2004. Pour la population de 18 ans et plus, la proportion est de 14,5%. Or, selon les enquêtes, 2 à 4 % de la population belge adulte, seraient traités par antidépresseurs dans les indications de dépression.
L’analyse des caractéristiques socio-économiques et démographiques des patients sous antidépresseurs révèle des résultats globalement cohérents avec les enseignements de la littérature quant aux prévalences de dépressions parmi la population.
Ainsi, par exemple, il y deux fois plus de femmes que d’hommes sous antidépresseurs et ce pour toutes les tranches d’âge de la vie. 37% des invalides sont sous antidépresseurs, soit quatre fois plus que pour la population active sans période d’invalidité, ce qui est cohérent avec le constat fait par ailleurs que les troubles mentaux sont la première cause d’entrée en invalidité. Il y a plus de chômeurs sous antidépresseurs que d’actifs et cette proportion augmente avec la durée du chômage.
Il y a également davantage de patients sous antidépresseurs parmi les personnes bénéficiant de l’intervention majorée, ce qui au-delà d’une plus grande morbidité, reflète probablement également un problème d’accessibilité financière des populations socio-économiquement défavorisées aux traitements alternatifs non médicamenteux (psychothérapie, thérapie cognitive, comportementale…). Enfin, une personne sur deux hébergées en maison de repos se voit prescrire des antidépresseurs, soit quatre fois plus que pour les personnes non institutionnalisées. Même en corrigeant pour l’âge, le sexe et le statut BIM, il subsiste un rapport de un à trois.
Enfin, l’étude a suivi pendant trois ans la prescription d’antidépresseurs à 129.322 patients ayant commencé un traitement en 2002. Les chiffres montrent que 60% de ces patients ont arrêté leur traitement avant trois mois et que 49% se sont vu prescrire une seule boîte, ce qui correspond généralement à un mois de traitement. Pour le traitement d’un épisode aigu de dépression, on suggère un traitement d’une durée de 6 à 7 mois minimum. Le fait que la moitié des patients qui commencent un traitement par antidépresseurs se voient prescrire une seule boîte pose de nombreuses questions et invite dès lors à s’interroger soit sur le diagnostic posé, soit sur le type de prise en charge de la dépression.
Relevons enfin que l’on observe deux fois plus de prescriptions uniques chez les médecins généralistes que chez les médecins spécialistes. Ceci traduit la difficulté de la prise en charge de la dépression en première ligne davantage confrontée que la deuxième à des patients atteints de formes de dépression légère ou modérée plus difficiles à diagnostiquer qu’une dépression sévère répondant à un ensemble de critères précis.
Quelques pistes
Ces résultats montrent qu’il serait indiqué de rappeler que les antidépresseurs n’ont pas prouvé leur efficacité dans le traitement de la dépression mineure et que la plupart des auteurs préconisent en première intention une période d’observation avec entretiens réguliers d’accompagnement du patient. Par la suite, la préférence va aux traitements non médicamenteux, notamment de courtes périodes de thérapie cognitive comportementale.
La première ligne joue un rôle important dans la prise en charge des troubles dépressifs. Trois quarts des patients traités par antidépresseurs se voient prescrire leur médicament par leur médecin généraliste. Il importe d’encourager la prise en charge non médicamenteuse de la dépression en première ligne. Ceci passe notamment par le renforcement de la formation des médecins généralistes dans le domaine des techniques de thérapie cognitive non comportementale. Il serait également utile de développer au niveau local des services d’appui multidisciplinaire à la première ligne dans la prise en charge de la dépression – et plus largement des troubles mentaux – mettant à disposition des médecins généralistes toutes les informations tant théoriques que pratiques sur les soins et facilitant l’accès aux ressources thérapeutiques existantes.
Référence: Michel BOUTSEN, Jean-Marc LAASMAN, Nadine REGINSTER, Données socio-économiques et étude longitudinale de la prescription des antidépresseurs,Unms Direction Etudes, mai 2006. Etude téléchargeable sur le site http://www.mutsoc.be .
D’après un communiqué de presse de la Mutualité socialiste