Ce titre résume le défi redoutable de l’enseignement de la prévention durant les 4 dernières années de la formation initiale des étudiants en médecine à l’UCL.
Pourtant la promotion de la santé fait partie intégrante des compétences à acquérir par les médecins. Le Collège Royal des Médecins et Chirurgiens du Canada le précise d’ailleurs dans le cadre des compétences CanMeds 2005, tant pour les médecins spécialistes que pour les médecins généralistes. Ce document est une référence internationale pour la formation des médecins. De même, la WONCA (1), dans sa définition européenne de la médecine générale, précise qu’il convient de «favoriser la promotion et l’éducation pour la santé par une intervention appropriée et efficace» (WONCA Europe, 2002). Dans l’actuelle réforme des cours en médecine et le passage de 7 ans à 6 ans pour la formation de base, la promotion de la santé est toujours présente.
Depuis 2006, progressivement, les étudiants en médecine de l’UCL ont dans leur formation de base des cours obligatoires de «prévention», et ce chaque année de master 1 (4e année d’études, anciennement 1er doctorat) à master 3 pour tous les étudiants, futurs chirurgiens ou futurs psychiatres. Et un approfondissement en master 4 pour les futurs généralistes. Aux concepts de base à maîtriser concernant les vaccins, le dépistage des cancers et autres facteurs de risque cardiovasculaires, ces étudiants ont dès le master 1 la perspective d’apprendre à négocier des démarches préventives validées et pertinentes pour un patient en particulier. Et de découvrir par la même occasion que tous les patients ne sont pas égaux devant la santé, que les facteurs de risque des maladies pèsent plus lourd suivant le niveau d’éducation des patients, leur insertion sociale et autres déterminants de la santé.
Concrètement, cette sensibilisation, cet apprentissage de l’importance des déterminants de la santé sont appliqués aux facteurs de risque des maladies du cœur et des artères en master 1, et par la découverte de l’éducation thérapeutique, de la Charte d’Ottawa et du Grand Jeu de la Santé en master 2. Il y a aussi des travaux de groupe de master 1 à master 3 en allant interviewer des personnes-ressources, y compris des patients, ainsi qu’un stage d’un mois à option à la pluridisciplinarité en master 4… Et parfois des travaux de fin d’étude qui creusent davantage ces pistes découvertes précédemment.
Le Grand Jeu de la Santé
Intéressons-nous maintenant à cet outil didactique idéal (même si un brin caricatural) pour découvrir les déterminants de la santé.
Ce jeu est proposé par nos collègues canadiens à l’adresse suivante: http://www.passeportsante.net/fr/VivreEnSante/Tests/Test_DeterminantsSante_Index.aspx
Le jeu ne dure que quelques minutes. Il consiste pour le participant, après avoir sélectionné son pays dans une liste, à répondre à 25 questions au total portant sur 12 thèmes: enfance, hérédité, instruction, travail, position sociale, discrimination, habitudes de vie, compétences d’adaptation, réseau de soutien, environnement social, environnement physique, services de santé.
Les réponses reflètent le jugement que le participant porte sur sa santé personnelle et sur les politiques mises en œuvre dans son pays. À la fin, il obtient son score personnel, et celui de son pays (le score de ce dernier est mis à jour suite à ses réponses).
Il s’agit donc d’une évaluation subjective, néanmoins relativement fiable pour les pays souvent activés par les participants (191 réponses pour la Belgique au moment de notre test). Évidemment, lorsqu’un pays (la Russie par exemple) n’est cité qu’une fois, il vaudrait mieux ne pas afficher son score, comme c’est le cas pour les pays n’ayant jamais été ‘activés’.
Donc le ‘Grand Jeu de la Santé’ a ses limites, mais c’est un outil de sensibilisation plutôt sympa et actif, complété utilement par un dossier explicatif sur les 12 déterminants mesurés par le test.
En master 2, les étudiants sont invités à participer à ce jeu. Quels sont leurs sentiments après avoir joué, après avoir évalué leur propre score ou celui d’un patient d’origine moins favorisée qu’eux? Voici des extraits du témoignage de deux étudiantes ayant «joué le jeu», complété par un exercice de plaidoyer professionnel en faveur de la promotion de la santé réalisé par la seconde.
Jean Laperche , Maître de conférence invité à la Faculté de Médecine de l’UCL, vice-président de l’asbl PromoSanté et médecine générale, avec Christian De Bock
Une approche pertinente de la ‘bonne’ ou ‘mauvaise’ santé
«À vous d’évaluer votre espérance de vie! Comparez-la à l’espérance globale de votre pays!» me crie l’écran. L’interface infographique est claire, simple et attrayante. En bas s’affichent des cartes colorées qu’accompagnent de croustillantes colonnes de chiffres et de pourcentages…
Me voilà entrée dans le récent domaine de la promotion de la santé. Je lis, je réfléchis. Je réponds, je me pose des questions. Je reste critique: le domaine est politique. Quels sont, pour ce site, les déterminants de la santé? Suis-je d’accord avec lui? Quels sont les autres déterminants que je rajouterais? Quelles sont les solutions que je proposerais pour bonifier les points qui ne me paraissent pas encore au point?…
Alliant publicité persuasive et cause honorable, ce jeu met l’accent sur l’impact de notre environnement, nos habitudes, notre vécu, notre place dans la société… sur notre espérance de vie. De quoi permettre une prise de conscience rapide et efficace des différents paramètres en relation avec notre santé, des paramètres tellement évidents qu’ils passent inaperçus, et qui pourraient faire l’objet de recherches en vue de moduler leur incidence (négative ou positive).
La promotion de la santé agit encore plus en amont que la prévention, et est destinée, à la grande surprise de certains, à augmenter notre espérance de vie! La prévention prévient l’apparition de maladies en réduisant au mieux les facteurs de risque supposés.
Important aussi, la promotion de la santé agit aussi bien à l’échelle individuelle comme collective. Pour être revendiquée, la santé doit d’abord être enseignée. Vient ensuite la mise en application des mesures optées (des exemples: mise à disposition d’une alimentation saine en milieu scolaire, création de lieux de travail conviviaux, d’espaces aérés dans les quartiers surpeuplés, de groupes de soutien pour des populations en difficulté, etc.
Cette mise en place est facilitée lorsque chaque membre du groupe apporte son aide au bénéfice de la santé commune. C’est un projet de santé publique. Elle permet la réinstauration des valeurs d’entraide et soude les groupes humains.
Ce jeu met aussi en évidence des disparités de perception de confort de vie au sein d’un même pays. On remarque cependant une certaine correspondance entre la qualité de vie perçue et l’espérance de vie réelle (en tout cas là où les échantillons sont les plus fiables) argumentant en faveur de l’impact des facteurs en jeu sur la qualité de vie réelle. Nous pourrions même poser l’hypothèse suivante: une qualité de vie meilleure serait un moteur pour le développement et par conséquent, allongerait l’espérance de vie…
Les facteurs questionnés me semblent pertinents: sommes-nous satisfaits de la façon dont nous sommes instruits puis formés à travailler? Avons-nous déjà été victime ou témoin de discrimination (non-parité? Racisme? Gérontophobie?)? Comment évaluons-nous notre cadre de vie, physique, social (amis, famille, copains, couple…) et professionnel? Nous sentons-nous suffisamment soutenus et valorisés dans notre société? Comment évaluons-nous nos systèmes de santé et leur accessibilité?
Je rajouterai un paragraphe sur le sentiment de sécurité que l’on ressent chez soi: est-il très fort, fort, moyen, faible, nul? Par ailleurs, je n’ai pas trop saisi la question de l’hérédité, qui selon moi, a comme unique avantage de tester l’estime que l’on a de soi… Mais comment peut-on juger de la qualité des gènes reçus? Quels sont les «bons gènes», sinon le reflet d’une vision eugéniste de l’être humain? Ce sont là quelques questionnements que m’a suscité cet apprentissage ludique des déterminants de la santé.
Claire Cammas
La santé au Pérou et en Belgique: pas la même chose !
J’ai joué deux fois au «Grand Jeu de la Santé». La première fois en tant que «moi» en Belgique, étudiante en médecine, vivant dans un milieu économiquement et socialement privilégié par rapport à beaucoup d’autres personnes de ce pays. La seconde fois, j’ai joué en tant qu’étudiante vivant dans une petite ville des Andes, au Pérou, où j’ai habité pendant 6 mois (je suis péruvienne). Au Pérou, il y a des gens très riches et des gens très pauvres. Le fossé entre les deux est immense. J’ai choisi de répondre aux questions en tant que personne issue de la «classe moyenne», il faut savoir qu’elle est beaucoup plus réduite au Pérou qu’en Belgique.
D’un point de vue individuel, j’ai obtenu 77/100 en Belgique et 50/100 au Pérou. En ce qui concerne le pays, j’ai attribué 68/100 à la Belgique et 41/100 au Pérou, ce qui est proche de la moyenne obtenue par ces pays sur le site du Grand Jeu de la Santé.
Étant donné mon choix de rester «moi» dans les deux situations (même héritage génétique, même niveau d’instruction, même réseau de soutien social, mêmes habitudes de vie…), la différence importante entre les résultats des deux pays est donc principalement due aux conditions de vie, aux politiques et aux possibilités qu’ils offrent à leurs citoyens.
Le principal enseignement que je retiens, c’est que pour améliorer la santé générale d’une population, il est nécessaire d’agir prioritairement dans des domaines différents de la santé: l’éducation, le travail, les conditions de vie… bien que l’accès à des soins de santé de qualité garde toute son importance.
Je ne me rendais pas compte à quel point les autres politiques jouent un rôle essentiel dans la santé de la population. La possibilité de s’instruire, d’éduquer ses enfants, de participer à des activités sociales, de choisir librement un travail nous est donnée en Belgique grâce à des choix politiques d’offrir des allocations de chômage, des congés parentaux, un enseignement (presque) gratuit… Je ne me doutais pas que tout cela avait un tel impact sur la santé.
Marisel Mendez Yepez
Un peu de pédagogie
Autre exercice demandé aux étudiants, à côté du Grand Jeu de la Santé: comment expliqueriez-vous les notions de promotion de la santé et de déterminants de la santé à votre professeur de neurochirurgie?
Je me lance.
«Monsieur,
Dans votre pratique quotidienne vous rencontrez des patients qui ont une souffrance physique et/ou morale, des questions sur l’origine de cette souffrance et sur l’avenir qu’ils peuvent espérer. En plus de tout cela, ils viennent avec leur histoire, les liens relationnels qu’ils ont tissés autour d’eux, leur situation sociale.
Vous n’êtes pas sans savoir que de nombreux facteurs influencent grandement la santé de la population générale, et donc de vos patients: l’enfance, l’hérédité, l’instruction, le travail, la position sociale, la discrimination, les habitudes de vie, les capacités d’adaptation personnelles, le réseau de soutien, l’environnement social, l’environnement physique et les services de santé.
Ces déterminants mènent à une construction, objective et subjective, de l’image que le patient a de sa santé. Lors de vos consultations, des explications que vous donnez aux patients, des traitements proposés, il est important d’en tenir compte. Le patient ne voit peut-être pas sa santé de la même manière que vous, il importe de le laisser s’exprimer pour trouver ensemble un chemin négocié pour la suite du processus thérapeutique.
En regardant les déterminants de la santé, vous vous dites peut-être que vous avez peu de marge de manoeuvre pour agir sur eux. Vous pensez peut-être que la seule chose que vous pouvez faire est d’éduquer le patient à avoir de «meilleures» habitudes de vie. Il semblerait pourtant que ce ne soit pas une solution efficace: changer les habitudes est un processus difficile, il ne peut pas être imposé ainsi de l’extérieur. Il faudrait, au contraire, après une discussion «d’égal à égal» (mais en gardant vos spécificités de médecin) et en posant la question de la santé dans sa complexité (pas simplement en disant au patient: si vous faites ça, vous allez de nouveau devoir être opéré ) arriver à une solution négociée avec le patient.
La promotion de la santé , via la Charte d’Ottawa, propose des pistes pour agir en tant que soignant sur les déterminants de la santé. Il est possible d’agir sur beaucoup de facteurs (enfance, instruction, travail, discrimination, environnement social et physique, services de santé) en commençant par interpeller le politique par rapport aux problèmes de santé que cela amène et pourquoi pas en intervenant directement sur l’environnement concret pour le rendre plus favorable à la santé .
Vous pourriez également agir sur le réseau de soutien, l’environnement social, et peut-être grâce à cela sur les capacités d’adaptation personnelles en renforçant l’action communautaire : créer des groupes de soutien entre personnes opérées et personnes qui vont subir l’opération, ou bien pour les familles des patients atteints de pathologies neurologiques.
Par rapport au déterminant travail, vous pourriez, dans le même sens, veiller à ce qu’il y ait des réunions d’équipe dans votre service pour parler des situations difficiles vécues sur le lieu de travail.
En tant que neurologue, vous avez certainement des connaissances en manière de développement d’aptitudes personnelles : vous pourriez les partager avec de futurs parents, dans des écoles, des maisons de jeunes, des maisons de repos.
Enfin, la création de liens entre les services hospitaliers ayant suivi les patients, mais également avec les institutions extérieures à l’hôpital (centres de revalidation, maisons de repos pour les patients plus âgés, services d’accompagnement psychologique ou social…) serait bénéfique pour les patients.
Bien sûr, vous ne pourrez pas tout faire. Seul, vous ne pourrez pas réduire la pauvreté, les inégalités qui ont un impact négatif sur la santé de vos patients. Ce que vous pouvez néanmoins faire, c’est donner les outils aux patients pour qu’ils deviennent acteurs de leur propre santé. Cela demande d’abord d’écouter, sans imposer le point de vue biomédical comme l’ultime vérité. C’est une démarche difficile, mais la complexité des facteurs qui déterminent la santé la rend totalement indispensable.»
M M Y
(1) WONCA: acronyme de World Organization of National Colleges, Academies and Academic Associations of General Practitioners/Family Physicians, association mondiale de la médecine générale pour faire court!