Novembre 2001 Initiatives

En matière de prévention des accidents, le décideur se trouve devant de nombreuses questions quant aux choix à faire: combien investir en prévention? Quel niveau de sécurité (et donc de victimes) est acceptable? La vie n’a pas de prix, dit-on, ne devrait-on pas alors viser ‘zéro victime’? Pour aider à répondre à ces questions, Claude Dussault a évalué différentes méthodes d’estimation de la valeur de la vie humaine (de type économique) et tenté de répondre à la question: ces méthodes peuvent-elle aider à la prise de décision en prévention?

Trois méthodes d’estimation de la vie humaine

Commençons par celle basée sur la valeur privée prenant habituellement comme référence le montant de l’assurance-vie. Pour Claude Dussault, cette valeur privée est d’une utilité quasi nulle en prévention et ce, pour plusieurs raisons: l’assurance-vie est une protection économique pour les proches au moment du décès de la personne et n’a pas grand chose à voir avec la valeur de la vie. En effet, si l’on n’est pas assuré, cela équivaut à n’avoir aucune valeur. Prenons l’exemple d’un enfant: celui-ci n’est pas assuré, s’il décède la perte économique est limitée; cependant quand un enfant est malade, la famille, l’entourage et même la communauté sont prêts à investir financièrement de façon illimitée. Une vie en prévention n’a donc rien à voir avec une vie en indemnisation.
Autre méthode d’estimation: l’approche du coût du capital humain. Celle-ci assimile l’humain à un appareil de production en termes d’années de vie perdues (de production). Mais cette approche est déconnectée de la demande en prévention notamment en ce qui concerne les enfants.
Troisième méthode présentée, celle qui se base sur la disponibilité à payer: «Combien êtes-vous prêt à investir pour réduire un risque?» L’utilité en prévention est là plus directe: la réponse qui en découle est plus représentative de la demande et varie selon les contextes.

En fait, la valeur de la vie humaine dépend de plusieurs paramètres:
– l’âge de la victime;
– le contrôle ou non que l’on peut exercer sur la situation;
– la finalité de l’activité
– la richesse d’une société

Des ceintures de sécurité pour les bus scolaires?

Pour illustrer son propos, Claude Dussault nous a présenté le cas du transport scolaire: au Québec, le transport scolaire en autobus est très développé. Avec seulement un décès par 3 années, c’est aussi le mode de déplacement routier le plus sûr si on le compare au déplacement en voiture.
Suite à un accident, il y eut un décès et des blessés parmi les passagers d’un autobus scolaire. Les parents et l’opinion publique ont fortement réagi: «les transports scolaires sont dangereux, il n’y a pas de ceinture de sécurité dans les autobus, s’il y en avait eu cet enfant ne serait pas mort,…»
Du seul point de vue économique, l’équipement en ceintures de sécurité de tous les autobus scolaires représentait quelque 48 millions de dollars canadiens, pour un décès tous les 3 ans. Selon une estimation économique de la vie humaine, la réponse est claire: non, une vie humaine tous les trois ans ne vaut pas 48 millions de dollars. Ce n’est pas un investissement prioritaire, il ne faut donc pas de ceinture de sécurité dans les autobus scolaires!
Mais cette approche économique ne prend pas en compte les attentes de la population.

Faire révéler les préférences de la population

L’approche préconisée a été de faire révéler les préférences de la population en donnant toutes les informations disponibles et en posant une question via un référendum: «êtes-vous prêt à payer 18 dollars par an pour des ceintures de sécurité dans les autobus scolaires?» Le public a répondu «oui» même si l’on sait qu’il y a très peu d’accidents (et d’accidents mortels) dans ce type de transport, même si l’on sait que le nombre d’accidents est bien plus important quand ce sont les parents qui conduisent individuellement leur enfant, même si l’on sait que les parents n’exigent pas souvent que les enfants mettent leur ceinture dans leur auto, même si l’on sait…
Mais voilà, dans ce cas-ci, le public a exigé une sécurité à 100% lors du transport collectif. Claude Dussault émettait une hypothèse pour expliquer cette «aberration» en termes de choix de priorité de prévention: «Avec moi, quand je conduis, mes enfants ne risquent rien (contrôle interne), et je ne peux pas admettre qu’il puisse leur arriver quelque chose quand ce n’est pas moi qui conduit (contrôle externe)(1).»

Conclusions

L’approche préconisée est une méthode référendaire de démocratie directe. Elle présente plusieurs avantages:
– elle se révèle plus efficace en réglant le problème;
– elle répond le mieux à la demande de la population;
– elle est plus équitable et plus prometteuse pour l’amélioration de la sécurité;
– cette approche débloquerait de nombreux dossiers…
L’utilité de l’approche économique est donc marginale, le point de vue des experts n’est qu’un des points de vue dans la prise de décision. La prise de décision est politique, il est donc normal qu’elle réponde au marché politique c’est-à-dire aux attentes de la population.

D’après l’intervention de Claude Dussault , études et stratégies en sécurité routière, Société de l’assurance automobile du Québec (1) Cette analyse me rappelait l’émotion et les mises en cause des conditions de sécurité du transport ferroviaire suite à l’accident ferroviaire de Pécrot. Cet accident, il est vrai, était spectaculaire et dramatique mais, si on prend un peu distance par rapport à l’événement, quel est le nombre de tués via le transport ferroviaire et quel est le nombre de tués sur les routes chaque année? Nous ne poussons pas (hélàs!) de grands cris chaque fois que quelqu’un se tue en voiture!