‘Together for Health Equity from the Start’. S’unir pour l’équité en santé dès le début de la vie… Un mot d’ordre ambitieux pour tenter de résoudre les inégalités sociales de santé. Ce fut aussi, en 2012, un des thèmes-phares d’«Equity Action», un programme européen d’analyse stratégique et d’action. La Belgique en est partenaire, de même que d’autres pays de l’Union européenne, dont la Hongrie et l’Allemagne (copilotes des deux rencontres internationales présentées plus bas), l’Espagne, la Grèce, la Pologne, l’Italie, la Norvège, la République tchèque, le Royaume-Uni…
Le niveau de santé de nos pays restant obstinément confondu avec la force de frappe biomédicale plutôt qu’indexé aux paramètres socio-économiques et environnementaux, les efforts menés en ce moment au niveau européen pour aborder la question des autres facteurs d’inégalités en santé sont d’autant plus appréciables. Ils n’étaient jusqu’ici guère plus visibles ni énergiques que les prises de conscience moyennes des milieux politique, scientifique, citoyen et médiatique, tous encore fort balbutiants dans ce domaine.
Un indice parmi d’autres: des acteurs plaidant en faveur de la réduction des inégalités sociales de santé situent le tournant des dynamiques de dégradation des statuts de santé parmi les populations vulnérables dans l’onde de choc de la crise financière internationale de 2008! Alors que nos observatoires socio-sanitaires et les enquêtes nationales périodiques par questionnaire suivent depuis près d’un quart de siècle les indices probants d’une dégradation d’abord discrète, puis de plus en plus accentuée de la santé tant physique que mentale de nos concitoyens (tempo coïncidant sans vraie surprise avec la montée des idéologies néo-libérales ne jurant que par les principes de compétition et de dérégulation). Sans oublier la nature extensive du phénomène qui, une fois laminés les plus démunis, a atteint en une ou deux décennies l’échine des classes moyennes dans maints pays d’Europe et d’ailleurs.
Raison de plus pour s’intéresser à ces nouveaux programmes soutenus par l’Union européenne, peu reflétés dans les médias en dépit de leurs qualités: ils impulsent des démarches essentiellement pragmatiques, adossées très souvent à des processus participatifs dont les noms de code, à rebours de ceux qu’on accole aux opérations militaires, résonnent ici comme autant d’impératifs humanistes fondamentaux: «Determine» , «Closing the gap» , «Health for All Policies» , «Progress» … La priorité qu’ils accordent aux inégalités sociales de santé est aussi en phase avec l’OMS, plusieurs États membres déjà mobilisés, voire des régions, telle l’Écosse, qui semble des plus proactives en la matière.
Néanmoins, s’interroger sur la ligne du temps de ces projets et par ailleurs sur la persistance des inégalités sociales de santé ne fait que renforcer la conviction qu’il n’est pas facile de contrer l’impact du fameux «gradient social» sur la santé.
Du côté belge
Aux niveaux fédéral et régional, l’engagement a été pris de participer à cet élan selon la méthodologie proposée en créant divers groupes de travail sur: la sensibilisation des parties prenantes et les stratégies pour les mobiliser; la question de l’évaluation fine de la situation de santé au niveau du pays et de ses régions; les sources et les modes de financement pour mener à bien des politiques réductrices d’inégalités. Ces groupes se réunissent deux à trois fois par an au niveau international parallèlement à des échanges qui ont lieu au niveau national et interrégional sous la houlette du ministère fédéral de la Santé publique.
Pour la Belgique, participent l’ONE, Kind en Gezin, la Fondation Roi Baudouin et l’asbl Cordes, comme membre du Conseil supérieur de promotion de la santé ayant l’école pour principal champ d’action.
Nous avons participé à la rencontre de Budapest en mai et à celle de Berlin en novembre 2012. Une des tâches qui a mobilisé les énergies pour la première rencontre a été de dresser ensemble une liste des différentes instances et niveaux de pouvoir impliqués dans des politiques de santé au niveau de la petite enfance, avec quelques exemples d’actions visant à réduire les inégalités sociales de santé. Les participants belges ont présenté à Budapest un poster donnant un aperçu de la situation en Belgique, ce qui n’est pas une mince affaire vu la complexité de nos niveaux de pouvoirs.
Des actions de prévention et de promotion de la santé ont illustré ce qui se fait au niveau de la petite enfance dans notre pays tant du côté francophone que flamand. Exemples : les consultations pré- et postnatales, les cours d’alphabétisation, le support parental, ainsi que les efforts de sensibilisation menés en Flandre vers les gynécologues pour agir sur les inégalités sociales de santé, en actant in fine toute la lenteur de ce type de processus.
Deux conférences restreintes sont prévues chez nous début 2013 : l’une vise à sensibiliser à la question des inégalités sociales de santé les administrations concernées par les déterminants de santé dans le but d’initier un dialogue; l’autre vise à tisser des liens intersectoriels pour être en mesure de créer des politiques cohérentes et synergiques susceptibles d’agir sur les atouts de santé.
Échanges internationaux
À Budapest, les experts ont surtout pointé ce qui peut favoriser ou non l’engagement des parties prenantes pour prendre en compte l’impact des déterminants sociaux sur les inégalités sociales de santé. Le défi dans cette bataille pour l’équité en santé est d’une part d’intéresser ceux qui ont un pouvoir de décision et d’autre part de donner du pouvoir (d’agir) aux intéressés. La méthodologie proposée par les coordinateurs du projet HAPI (voir l’encadré «Sur le net» ) est de mobiliser des parties prenantes dans chaque pays en partant de la prise de conscience du secteur santé de la nécessité d’agir en intersectorialité, sans pour autant dicter leurs choix aux autres secteurs.
La rencontre de Berlin a permis des échanges autour d’expériences impliquant différents secteurs et s’attaquant aux inégalités qui affectent la petite enfance. Deux ateliers ont mis avant tout en évidence la grande diversité des situations et des acquis entre pays. En Hongrie par exemple, le système éducatif précédemment en charge du niveau local est en train de se réorganiser au niveau national pour contribuer à plus d’équité de moyens et mettre en place un suivi médical des élèves et introduire des cours relatifs à la santé.
La différence de situation avec ce qui se passe en Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB) est flagrante: les PSE mènent de longue date des bilans de santé tout au long de la scolarité de l’élève, le suivi psycho-médico-social est assuré par les PMS et différentes actions santé sont menées à leur initiative et/ou par différents intervenants dans le but d’agir sur des déterminants de santé, le collectif se mêlant de la sorte à l’individuel. Cet état de situation pour le suivi des enfants depuis la naissance et tout au long de la scolarité en Belgique peut paraître idéal en regard d’autres pays européens mais la Belgique présente tout autant d’inégalités sociales de santé, que chacun a eu l’occasion de constater dans ses pratiques. L’action intersectorielle sur les déterminants de santé est sans doute moins ancrée que les campagnes de prévention. Où le bât blesse-t-il alors ?
L’éducation comme déterminant de santé comprend des défis majeurs : au niveau de l’école, les taux de réussite scolaire démontrent un gradient social qui se vérifie aussi au sein même des régions et des écoles et ce malgré des programmes de discrimination positive et de soutien scolaire et parental. À l’image de la société consumériste, l’école produit ou reproduit aussi des inégalités sociales (1). Autre déterminant majeur de la santé et en particulier chez les enfants et les jeunes, l’alimentation est prise en compte depuis plusieurs années dans les écoles; principalement dans des actions de mobilisation, de sensibilisation et de mise en place d’environnement nutritionnel adéquat… Les taux de surpoids, d’anorexie ou d’obésité en sont-ils modifiés pour autant ? Ils ont en tout cas justifié des prises de position ministérielles aux niveaux régional et fédéral qui se concrétisent encore tout récemment par la diffusion à l’initiative de la Fédération Wallonie-Bruxelles d’un cahier spécial des charges permettant aux pouvoirs organisateurs et aux restaurateurs de présenter dans les écoles et dans les lieux de vie d’enfants de 2,5 à 18 ans une offre de repas équilibrés sur le plan nutritionnel et davantage respectueux de l’environnement, les cuisiniers bénéficiant d’une formation gratuite (voir l’article de Christian De Bock dans ce numéro). Malgré son caractère non obligatoire, l’intérêt de cette initiative réside surtout dans ce qu’elle est le fruit d’une volonté de collaboration intersectorielle au niveau ministériel et sans nul doute, la suite d’une mobilisation continuée de la société civile et des acteurs éducatifs et de santé pour une alimentation durable et de qualité à l’école.
C’est ce caractère intersectoriel de l’action et cette complémentarité des différents niveaux de pouvoir qui ont été mis en exergue lors de la rencontre de Berlin comme une des étapes incontournables pour avancer dans les politiques visant à réduire les inégalités sociales de santé.
Forte de l’expérience de son Observatoire national de l’enfance, l’Espagne met à disposition un guide méthodologique pour collaborer entre niveaux de pouvoir et avec différents types d’organisations mêlant la société civile, les scientifiques et les structures de décision de divers secteurs. Leur bilan du processus en cours a mis en évidence des freins et des atouts à prendre en compte: par exemple – et cela nous interpelle comme promoteurs de santé – l’impact négatif du manque de relais des résultats de la participation sociale auprès des professionnels, et par conséquent la nécessité d’une communication à tous les niveaux pour partager un objectif commun sur un sujet aussi crucial que l’équité en santé. Ce guide, disponible en espagnol et en anglais (2), est testé actuellement par l’OMS dans quelques pays.
Un outil sans doute précieux aussi dans nos collaborations locales et centrales, présentes et futures, pour tout ce qui touche au bien-être et à la justice sociale dès le plus jeune âge. Mais tous les âges sont importants, signalons donc la conférence «Working for Equity in Health» tenue à Bruxelles ce 26 novembre 2012 sous l’égide du gouvernement écossais et du réseau HAPI déjà cité. Une journée centrée davantage sur le droit au bien-être et en particulier à l’impact du marché du travail sur la santé.
Sur le Net
De nombreux rapports, documents, recommandations, recueils de bonnes pratiques, offres de newsletters, diaporamas et autres vidéo-conférences récentes sur la question des inégalités sociales de santé sont consultables sur les sites suivants (où les moteurs de traduction ne sont pas médiocres): http://eurohealthnet.eu (un réseau d’environ 5.000 experts européens en santé publique), http://www.hapi.org.uk/ (conférence intégrale du 26/11/2012 en ligne) et http://www.health-inequalities.eu/ (le site du programme «Equity Action», où figurent aussi les avis de Sir Michael Marmot et son équipe de l’UCL – University College London!).
Rappelons aussi qu’Éducation Santé aborde très régulièrement cette problématique et que son numéro 245, entièrement consacré en mai 2009 aux inégalités sociales de santé, est toujours consultable à l’adresse http://www.educationsante.be/es/sommaire.php?dem=245.
Souvenirs, souvenirs…
Récemment, un journaliste de santé publique ultra-conservateur (de papiers, rassurez-vous…) est tombé sur une farde de presse des plus intéressantes et complète de surcroît, n’ayant subi ni les outrages de l’humidité ni les attaques de petits rongeurs outrecuidants. Datée de novembre 1979, elle émanait du Mouvement chrétien d’action culturelle et sociale Vie Féminine.
Pour les moins de 33 ans, rappelons que l’année 1979 avait été sacrée «Année internationale de l’enfant» , un événement ayant mobilisé chez nous quelque 80 ONG «oeuvrant spécialement en faveur de l’enfance la plus démunie et des enfants du Tiers-Monde» . La farde de presse comportait trois sections: un cahier de charges à l’adresse des autorités, intitulé fort opportunément «L’inégalité commence avant la naissance» (128 pages), l’annonce d’un colloque sur le sujet et pas moins de cinq communiqués complémentaires (13 pages au total) éclairant la démarche de Vie Féminine sous divers angles.
Vous comprendrez aisément pourquoi cette précieuse relique a tôt fait de fasciner son propriétaire et (re)découvreur inopiné (les extraits en italiques sont tirés des communiqués).
Premier constat : on est saisi par l’actualité du propos. Oyez, donc ! «Dans les sociétés capitalistes développées, les inégalités touchent les enfants dès la naissance et même avant la naissance. Les mécanismes d’exploitation du Tiers-Monde engendrent l’exploitation de millions d’enfants (…). Les sociétés socialistes, plus égalitaires mais réductrices de liberté, conditionnent aussi la liberté des enfants. Disons de suite que s’indigner du travail des enfants dans le Tiers-Monde est un leurre, si par ailleurs nous ne sommes pas convaincus de la nécessité de transformer les relations de domination économique, culturelle et politique que nous exerçons sur le Tiers-Monde. De même chez nous, se préoccuper des besoins de tendresse et d’attention du jeune enfant est un leurre si, en même temps, nous ne sommes pas convaincues que la crise économique, les pertes d’emploi, le chômage sont autant d’éléments d’insécurité qui touchent durement les familles de travailleurs et risquent de perturber gravement le climat d’accueil et d’attention aux enfants.»
Deuxième constat : bien avant l’essor des notions d’ empowerment, d’evidences (preuves) et autres bottom-up, dans les milieux populaires militants, on ne boudait pas les données factuelles: tantôt issues des savoirs clinique et épidémiologique (pour contribuer à réduire la prématurité par exemple); tantôt recueillies auprès des jeunes femmes de milieu populaire (démarche d’éducation permanente et de valorisation de leurs expertises de la vie quotidienne, susceptibles de pointer des facteurs de stress non médicaux). Toutes choses reliées et mises en lumière ensuite pour faire remonter des priorités d’actions: «Vie Féminine réclame un programme de politique communale touchant au logement et à l’aménagement de l’environnement, la réforme de l’école en faveur de l’enfance populaire et particulièrement des jeunes immigrés, une politique familiale marquée notamment par le développement des services collectifs: consultations de nourrissons, consultations pré- et postnatales, services de gardiennes encadrées, d’aides familiales, services psychologiques (…)».
Troisième constat : l’exigence de mesures politiques de justice sociale accrue comme facteur d’intégration et de paix, soit un thème au cœur de la bataille pour une «nouvelle donne économique», développée notamment cette année par le Collectif Roosevelt 2012 ( http://www.roosevelt2012.be) et tant d’autres économistes lanceurs d’alerte.
En novembre 1979, Josette Thibeau, Secrétaire nationale de Vie Féminine, observait pour sa part : «Le bilan général de ‘l’Année internationale de l’enfant’ est maigre en ce qui concerne les responsables politiques. Elle a été portée essentiellement par des organisations de volontaires, sans soutien des pouvoirs publics» . Concluant alors sur «la crainte que les services aux personnes et les mouvements d’éducation permanente soient lésés sous le prétexte de la crise économique. Le mal fait à l’enfance par ces carences politiques coûte cependant plus cher qu’une vraie politique de l’enfance» .
(1) Lire par exemple «Égalité: trois pas en avant, trois pas en arrière» (http://www.changement-egalite.be/spip.php?article2249 ).
(2) En espagnol, version 1 (juin 2012, 139p): http://www.msssi.gob.es/profesionales/saludPublica/prevPromocion/promocion/desigualdadSalud/jornadaPresent_Guia2012/GuiaMetodologica_Equidad.htm
En anglais, version 1 (octobre 2012, 139p): http://www.msssi.gob.es/profesionales/saludPublica/prevPromocion/promocion/desigualdadSalud/jornadaPresent_Guia2012/Methodological_Guide_Equity_SPAs.htm