Octobre 2004 Par N. MARECHAL Initiatives

Quelques chiffres montrent dans leur sécheresse toute l’étendue du problème.
Les statistiques INAMI indiquent une moyenne annuelle de 2.000 suicides. Le suicide représente 1,9 % de l’ensemble des décès, 2,7 % chez les hommes et 1,2 % chez les femmes.
En Communauté française, les suicides représentent pour les hommes de 15 à 24 ans la deuxième cause de décès (20%) et la troisième pour les filles du même âge (12 %). A Bruxelles, entre 1998 et 2000, on comptait 41 suicides chez les jeunes de cette tranche d’âge.
C’est la première cause de décès pour les hommes de 25 à 34 ans (21 %). L’idéation suicidaire concernerait 20 à 30 % des jeunes et il faut prendre en compte également les symptômes pré-dépressifs et les tentatives de suicide beaucoup plus nombreuses chez les filles (4 tentatives chez les filles pour une chez les garçons, mais 4 garçons pour une fille «réussissent» leur tentative).

Quelle prévention?

Beaucoup d’experts estiment, actuellement, que le suicide survient essentiellement chez des personnes souffrant de « troubles mentaux » (dépression, toxicomanie, troubles de l’identité, troubles du narcissisme).
Certains plaident pour des causes endogènes, génétiques et recommandent essentiellement un suivi psychiatrique et des traitements médicamenteux.
Les psychanalystes proposent davantage de voir, dans certaines de ces problématiques (dépression, usage problématique de substances psycho-actives, tentative de suicide), l’expression d’une souffrance psychique personnelle qui trouverait son origine dans l’histoire familiale du patient (ex: difficulté du lien mère-enfant qui débouche sur un trouble de l’attachement ou un trouble du narcissisme – contexte familial de type fusionnel ou incestueux ne laissant pas de place pour que l’enfant puisse y développer une personnalité propre…). Un travail de psychothérapie est recommandé.
D’autres encore estiment que cette souffrance psychique personnelle peut être accentuée par une souffrance qui trouve son origine dans une situation sociale (disqualification sociale, discrimination, sentiment d’échec, isolement, appartenance à une minorité sexuelle…). Ils demandent que les discriminations, les formes de harcèlement moral et sexuel soient fermement combattus.
Certains estiment, par ailleurs, que les tentatives de suicide sont, dans un certain nombre de cas, très impulsives et que la mise en place d’un certain nombre de freins (ex: freins physiques = interdiction de détenir des armes, surveillance des prescriptions médicales, barrières de protection placées sur les ponts… ou frein moral = interdit religieux ou frein psychique = lignes téléphoniques d’écoute dans l’anonymat 24H sur 24H…) peuvent éviter un certain nombre de passage à l’acte suicidaire.
Certaines études épidémiologiques à propos du suicide indiquent que:
– les régions économiquement « riches » semblent davantage touchées que les autres;
– les hommes sont davantage concernés par la problématique que les femmes;
– les jeunes homosexuels sont d’avantage concernés par cette problématique;
– l’interdit culturel (ex: religion) semble limiter le recours au suicide (ces données doivent cependant être considérées avec prudence car lorsque le suicide est tabou, les chiffres peuvent être très sous-estimés);
– parmi les jeunes qui ont vécu une ou plusieurs tentatives de suicide, on retrouve une majorité de jeunes ayant vécu une situation d’abus sexuel ou une rupture précoce du lien mère-enfant (les premières histoires d’amour peuvent raviver ces événements);
– parmi les personnes (y compris parmi les jeunes) ayant fait une tentative de suicide, trop peu semblent bénéficier d’un suivi. Trop peu semblent invitées à entreprendre un travail psychothérapeutique. Des experts estiment que cette manière de sous-estimer la gravité d’une tentative de suicide conduit certaines personnes à recourir à de nouvelles tentatives mettant directement en danger leur santé et leur survie.

Favoriser la santé mentale

Face à ces constats, se pose nécessairement la question de la prévention: «certains suicides d’adolescents auraient-ils pu être évités?», «certains adolescents en souffrance sont-ils suffisamment vite aiguillés vers des équipes soignantes (centres de santé mentale, centres de guidance…)» ?
Dans ce premier cas de figure, la prévention consisterait à:
– mettre en place un meilleur «repérage» des adolescents en souffrance afin qu’ils soient parfois plus rapidement aiguillés vers des équipes soignantes ou accompagnantes;
– inciter les équipes confrontées à un adolescent qui a fait une tentative de suicide à mettre en place un suivi.
Dans cette optique, le rôle de la Communauté française (promotion de la santé) consisterait surtout à veiller à ce que les intervenants en contact quotidien avec les jeunes (enseignants, éducateurs, animateurs, médiateurs, PSE, PMS…) soient sensibilisés à la problématique du suicide et connaissent le réseau d’intervenants auquel ils peuvent adresser les adolescents en difficulté.
Il serait certes réconfortant de penser qu’il existe un moyen infaillible de détecter les jeunes «à risque», mais il n’existe pas de réponse simple au risque du suicide et tous les adolescents en souffrance ne font pas de tentative de suicide.
La formation des intervenants en contact avec les jeunes est importante mais n’est qu’une des nombreuses stratégies à développer.
De manière générale, la Communauté française a choisi de privilégier une approche positive et globale de la santé des jeunes . C’est pourquoi, dans le cadre de la réforme scolaire, j’ai notamment décidé de charger les anciennes équipes d’Inspection Médicale Scolaire (IMS), devenues maintenant des équipes de Promotion de la Santé à l’Ecole (PSE) de favoriser la mise en place de projets-santé dans l’enseignement primaire, secondaire et supérieur. A terme, l’objectif est d’élaborer des projets-santé basés sur les spécificités de chaque école. Un autre but de cette approche est de mettre en place des projets-santé qui prendraient davantage en compte les facteurs qui seraient à l’origine de ces problèmes (facteurs sociaux, économiques, culturels, environnementaux…).
Dans une telle optique, il ne s’agit pas tant de mettre en place des outils permettant la détection de jeunes à risque mais de réfléchir collectivement à ce qui peut favoriser la santé mentale des jeunes, comme par exemple:
– mettre en place des projets pédagogiques qui favorisent la coopération entre jeunes plutôt que la compétition qui entraîne la disqualification et l’exclusion des plus fragiles;
– encourager la solidarité entre jeunes et déjouer les mécanismes de bouc émissaire , c’est-à-dire refuser fermement le harcèlement, le racket et la violence à l’égard des plus faibles. C’est essentiel, mais il est également indispensable de travailler avec l’ensemble des jeunes sur ce qu’ils imaginent être les causes de ces différentes formes de violence et de réfléchir avec eux à ce qui pourrait intelligemment réduire de tels phénomènes. Le maître-mot de cette démarche reste la participation de tous les acteurs concernés, les jeunes en priorité;
encourager une attitude positive à l’égard de la différence , qu’elle soit physique, sociale, culturelle, sexuelle afin de favoriser l’intégration en déjouant les mécanismes qui entraînent la discrimination, la disqualification, la honte, l’isolement, l’exclusion.

Des projets

La Communauté française a financé différents projets contribuant à promouvoir la santé mentale des jeunes: des projets de formation destinés aux professionnels, des projets d’animations en vie affective et sexuelle dans le cadre scolaire, des projets de prévention des assuétudes et de la maltraitance.
Il n’existe pas de réponse simple à la problématique du suicide et donc, comme d’autres, j’ai cherché à trouver d’autres réponses. La Communauté française a participé notamment dans ce but à l’organisation du deuxième Congrès international francophone «Prévention du suicide et pratiques de réseaux».
Il existe, en Communauté française, un nombre important d’acteurs ayant dans leurs compétences la prise en charge d’adolescents ainsi qu’un rôle de prévention (centres PMS, équipes PSE, centres de guidance, centres de santé mentale, centres de planning familial, équipes pluridisciplinaires de prise en charge d’adolescents au sein de certains hôpitaux…).
Il existe également diverses structures d’aide par téléphone (Télé Accueil, Centre de Prévention du Suicide, SOS Jeunes…).
A côté de ces structures, il existe également un réseau d’associations ayant l’aide à la jeunesse pour mission (AMO, SAJ…). D’autres associations (écoles de devoirs, maisons de jeunes, mouvements de jeunesse…) jouent également un rôle de prévention, en créant du lien social, auprès des jeunes.
J’ai donc pris l’initiative de lancer un appel à projets à l’intersection de mes compétences en santé et en aide à la jeunesse. Cet appel à projets, lancé en octobre 2002, a été réalisé sur base des critères définis par un groupe d’experts (promotion santé et santé mentale, PMS, PSE ). Il ciblait le public jeune de 12-18 ans en milieu scolaire et en milieu de vie des jeunes.
Les stratégies choisies devaient privilégier:
– l’approche globale, intersectorielle et pluridisciplinaire;
– la concertation d’acteurs et la création de consolidation de partenariats;
– l’amélioration des contextes de vie scolaire et extra scolaire (réduction du sentiment d’isolement, participation et implication des jeunes dans des projets);
– la promotion des facteurs de protection (amélioration des compétences des jeunes en termes de résolution de problèmes, de capacités d’expression et de communication…).
Les projets retenus se sont achevés en octobre ou novembre 2003.

Ligue wallonne pour la santé mentale

Le projet consistait en la réalisation d’une recherche-action sur la création d’outils de prévention du suicide chez les jeunes. Les promoteurs ont ainsi mis en place un comité d’accompagnement composé de professionnels maîtrisant la problématique du suicide, de professionnels de la santé et de la santé mentale.
Leur objectif: expérimenter concrètement une action de prévention du suicide auprès d’un groupe de jeunes et en tirer des repères et enseignements.
Comment ? En privilégiant la promotion de la santé mentale comme outil de prévention du suicide des jeunes, en travaillant avec les jeunes et les adultes qui les entourent.
Le projet est réalisé dans des Maisons de Jeunes de Namur via une animation en deux phases:
1) Pendant plusieurs jours, un groupe de paroles, constitué de jeunes et de deux animateurs, a planché sur ce qui, d’après eux, contribue au bien-être et au mal-être, dans l’objectif de présenter un projet à un public. Huit séances en un mois ont ainsi permis de dégager un projet.
2) Après quoi, il a fallu déterminer une technique pour communiquer ce qui avait été dit.
Cette démarche a abouti, pour la Maison de Jeunes de Plomcot, à un spectacle basé sur des portraits, agrémentés de poèmes et d’un jeu de percussions.
A la Maison de Jeunes de Basse-Enhaive, le choix s’est porté sur un outil existant « Sacado » qui est axé autour de 7 dimensions:
– chercher son identité;
– surmonter les situations;
– entrer en relation;
– trouver son équilibre;
– construire son espace;
– s’échapper au quotidien;
– avoir de grands rêves.
Après avoir discuté autour de ces 7 thèmes, les jeunes ont réalisé des panneaux, ont écrit des chansons.
Des rencontres avec des représentants des PMS, PSE, Centres de planning , services de santé mentale et services d’accueil ont eu lieu afin de présenter les deux projets de Maisons de jeunes. Ces moments de rencontre ont été l’occasion d’échanges sur le travail et la place de ces intervenants dans la problématique du suicide.
Une journée, avec pour thème, «Le mal-être des jeunes nous questionne» a été organisée avec la participation des acteurs habituels mais aussi des représentants de la police, d’écoles, de responsables de l’hébergement, du monde culturel et de l’Institut belge de la sécurité routière.
Ces rencontres ont permis de faire germer un début de réseau et de définir des pistes d’actions afin de:
– mieux situer chaque service et chaque intervenant;
– veiller à l’accessibilité des services;
– rendre chacun plus compétent dans le décodage des situations;
– apprendre à verbaliser;
– soutenir les parents et les futurs enseignants.
L’idée de départ était de réaliser avec les jeunes une brochure informative à l’usage d’autres jeunes mais il est très vite apparu que les jeunes avaient plutôt besoin de parler, de se rencontrer et de rencontrer d’autres acteurs.
Si les outils sont utiles, ils ne doivent jamais se substituer à l’animateur, ils doivent être généralistes pour ouvrir une discussion.

CAP-S Verviers AMO en collaboration avec le centre scolaire St François Xavier (SFX)

Le projet intitulé «Besoin d’avis – Envies de vies» a pour objet de renforcer la parole et le bien-être des jeunes au Centre scolaire Saint-François Xavier.
C’est suite au suicide d’un jeune élève, que l’école a décidé d’organiser une large réflexion débouchant sur des actions concrètes. Un groupe composé de professeurs, d’éducateurs et de membres de la direction ont décidé de travailler en partenariat avec l’AMO Cap-S.
La décision a ainsi été prise de réaliser une enquête et d’en faire un outil de participation. 74 questions ont été élaborées et posées à tous les étudiants du secondaire (800 élèves). Les résultats ont été présentés dans chaque classe et les élèves ont réagi. Leurs remarques ont été collectées.
Dans le cadre d’une journée pédagogique, l’enquête a ensuite été présentée à tous les professeurs dans la dynamique de 4 ateliers:
– écoute, conseil de classe, délégués, conseil de participation;
– bien-être, solidarité;
– pédagogie, relation professeur/élève: les exigences;
– pédagogie, relation professeur/élève: stress, agressivité, violence.
Les nombreux groupes de travail existant déjà dans l’établissement ont été mis en réseau. Pour que l’ensemble de la communauté scolaire se sente impliquée, des informations sur le travail effectué circulent tant vers les professeurs, par le biais d’un journal et l’utilisation des valves, que vers les parents via le journal de l’association de parents.
Six objectifs ont été définis:
– fournir une aide aux élèves en difficulté;
– lutter contre le décrochage dans la relation adulte/élève (3e);
– garder le souci permanent de la parole du jeune;
– favoriser et clarifier la relation professeur/élève;
– favoriser et clarifier la relation avec la direction;
– favoriser «l’appropriation» de l’école par les élèves.
Un objectif global d’ouverture vers l’extérieur a également été fixé. Le partenariat entre l’école et l’AMO trouve ici une autre concrétisation.
Ces objectifs ont été poursuivis en:
– élaborant un protocole d’aide aux élèves en difficulté, comprenant un programme de réaction d’urgence, un code et une cellule de déontologie des enseignants et une urne de confidences relevées chaque jour par l’AMO;
– organisant un périple à vélo pour les élèves de 3e (relation élèves/adultes). Il s’agissait de préparer l’activité, en y incluant des moments privilégiés pour permettre des débats;
– créant des moments d’expression et de dialogue en 1e, 2e et 3e , en renforçant le rôle du délégué de classe et l’information relative au conseil de participation, en développant des outils de communication (les outils existent, mais devraient être optimalisés: radio, site internet, journal) et en organisant un théâtre-forum pour les 5e sur le thème de la violence;
– informant les élèves sur les questions d’évaluation, afin de faire baisser le sentiment d’injustice, en définissant mieux le rôle du titulaire et en renforçant la communication et la collaboration entre les enseignants;
– informant mieux sur ce qu’est la gestion d’un établissement;
– réalisant, sur base des propositions des élèves, des projets internes au collège (aménagement d’un espace vert, peinture murale, aménagement d’un local pour les 4e et 5e, aménagement de la cour, organisation du temps du midi, activités sportives, ou issues de la passion d’un professeur désireux de la faire partager).

Cap Sud: AMO de Stavelot

Le projet est basé sur le développement de moyens d’expression comme outils de prévention du suicide.
Un documentaire, réalisé en France par une vingtaine de «suicidants», a permis des échanges entre professionnels, parents et enseignants.
Un théâtre-forum a été mis sur pied en mars 2003 avec différents volets portant sur les conflits avec les parents, la solitude, la tentative de suicide…
Un appel pour la rédaction d’articles et des dessins à publier dans un magazine a été lancé. Un groupe de rédaction s’est constitué et a donné naissance à un journal qui est distribué dans les Maisons de Jeunes de Stavelot, à Infor-Jeunes et dans cinq écoles.
Les thèmes exploités: témoignages anonymes, suicide, cannabis, jeunes mères.
Un après-midi d’échanges, avec les professionnels du sud de l’arrondissement de Verviers, a été coordonné. La cinquantaine de professionnels présents ont débattu autour du documentaire «C’est dur de trouver les mots». Cette rencontre a également permis d’avoir une meilleure connaissance du réseau abordant la problématique du suicide.

CPAS de Tintigny

Le budget est ici consacré à la formation des professionnels sur les conduites à risque et la prévention du suicide chez les jeunes (Province du Luxembourg). Plus de 100 personnes ont été concernées par cette formation.
Un élément me semble important dans cette initiative: la grande diversité des secteurs d’activités représentés ( CPAS, CPMS, Maisons de jeunes, maisons médicales, télé accueil, police…).
Cette rencontre peut être à l’origine de la mise en place d’un premier réseau en Communauté française.

La FAGL (Fédération des Associations Gayes et Lesbiennes)

Rosine Horincq présente dans un autre article l’étude qu’elle a réalisée concernant les jeunes d’orientation sexuelle minoritaire que j’avais commandée dans le cadre d’animations en vie affective et sexuelle en milieu scolaire. Le travail de la FAGL me permet d’attirer l’attention sur des phénomènes collectifs comme l’homophobie et l’hétéronormativité, qui sont sources de préjugés pouvant générer un malaise voire des idées de suicide chez les jeunes.

En conclusion, je préciserai que le travail réalisé par les promoteurs est remarquable et riche d’expériences et d’enseignements. Ces projets qui privilégient le bien-être, le mieux-être, permettent de libérer la parole et d’aborder le mal-être. En effet, aucun des projets, sauf dans le cadre de la formation de professionnels, n’aborde le suicide en tant que tel.
Créer du réseau entre jeunes peut se faire au nom de la promotion de la santé, du bien-être, du mieux-être, mais pas au nom de la prévention du suicide. Favoriser la communication, la tolérance, le respect de la différence au nom de la prévention du suicide, risquerait d’être trop lourd à porter en cas de suicide ou de tentative de suicide de l’un d’entre eux.
A l’avenir, il conviendra de mettre en évidence la démarche participative, la création de lieux de paroles encadrés par des professionnels, la formation des acteurs relais et le partenariat ainsi que la mise en réseau d’acteurs différents (promotion santé et santé mentale, éducateurs, animateurs, enseignants…)
D’autre part, il me paraît indispensable que les différents niveaux de pouvoir travaillent ensemble et créent, eux aussi, un réseau de collaboration.
Nicole Maréchal
Ce texte a été rédigé alors que Nicole Maréchal était encore en charge de la santé et de l’aide à la jeunesse en Communauté française.