Août 2007 Initiatives

La Fondation Roi Baudouin a mis en place un groupe de travail sur les inégalités en matière de santé. Ce groupe vient de commencer ses activités, notamment en collectant un maximum de données statistiques.
Mais la Fondation est tellement interloquée par l’ampleur des inégalités que révèlent ces chiffres qu’elle a décidé d’en faire part au grand public et aux décideurs quelques jours avant les élections législatives, avant même d’approfondir la recherche ou de songer aux éventuelles solutions qui pourraient être proposées.

Tous les Belges sont égaux devant la loi. Le sont-ils également en ce qui concerne leur santé? La réponse est non. Et l’ampleur de ces inégalités est choquante.
Quelques données concrètes suffisent à prendre la mesure de ces inégalités.
Une personne avec un faible niveau d’études meurt trois à cinq ans plus tôt qu’une personne ayant un niveau d’étude supérieur. Elle peut s’attendre à vivre en bonne santé de 18 à 25 années de moins qu’une personne avec un haut niveau d’étude (1).
Dans les couches sociales les plus basses, seules 60% des personnes estiment être en bonne santé, contre 87% dans les couches sociales les plus hautes (2).
Un enfant dont les deux parents sont chômeurs court presque 2 fois plus de risques d’être prématuré et d’avoir un faible poids à la naissance. Il court 2 fois plus de risques d’être mort-né qu’un enfant dont au moins un des parents travaille comme fonctionnaire (3).
Tous les Belges ne sont donc pas égaux en matière de santé. La santé se répartit inéquitablement, plus inéquitablement encore que la Fondation ne s’y attendait. De plus, cette répartition se fait systématiquement au désavantage des couches sociales les plus basses: elle suit de près celles de l’argent, de l’éducation, du statut social; couche par couche, classe par classe. La pyramide de la santé se révèle être une copie conforme de la pyramide des inégalités de la société.
Le nombre d’années de vie en bonne santé (espérance de vie en bonne santé) des personnes ayant un faible niveau d’études diminue principalement à cause des maladies suivantes: arthrite, maux de dos, maladies cardiaques, attaques, asthme et maladies chroniques des poumons (4).
La réduction de l’espérance de vie est principalement à attribuer à des causes de décès sur lesquelles la prévention a une influence importante, notamment la cirrhose du foie, le cancer de l’intestin, le suicide et les accidents (5).

La prévention, parent pauvre de notre système de santé

Les hommes âgés de 40 à 49 ans et n’ayant qu’un faible niveau d’études courent environ 2 fois plus de risques de mourir d’un cancer du poumon que les hommes possédant un diplôme plus élevé (6).
Dans les quartiers les plus défavorisés, plus du double de personnes meurent de cirrhose du foie que dans les quartiers plus aisés(7).
L’espérance de vie n’est donc pas uniquement liée au niveau d’étude mais également au quartier d’habitation, à la profession exercée, etc. Les hommes qui, à la cinquantaine, sont locataires de leur logement ont un risque de décès près de 2 fois supérieur à celui des hommes de la même catégorie d’âge qui sont propriétaires de leur logement(8).
Et on pourrait multiplier les exemples.
Ces grandes inégalités en matière de santé ne peuvent que nous interpeller. La Belgique ne s’est-elle pas toujours vantée d’avoir un système de santé accessible et abordable? N’était-ce pas là justement un point qui différenciait la Belgique des autres pays? C’est ce que nous pensions jusqu’ici.
Depuis des décennies, “des soins de santé accessibles et abordables pour tous” a été le slogan de tous les gouvernements, de tous les partis politiques, de tous les groupes qui sont concernés par la gestion des soins de santé.
De nombreuses mesures ont été mises en place pour les personnes ayant un faible revenu; par exemple l’extension de l’intervention majorée avec le statut Omnio ou le Maximum à facturer qui veille à ce que les frais de santé ne dépassent pas un certain montant par an.
Les efforts réalisés comme les budgets qui y sont consacrés sont importants. Le but poursuivi est-il pour autant atteint?
Notre système de santé si renommé garantit effectivement une large offre de médecins et d’hôpitaux, dispensant des soins de haute qualité, sans délais d’attente, pas trop chers comparativement à d’autres pays et avec une série de mesures spéciales pour les groupes disposant d’un faible revenu. Pourtant, notre système de soins de santé ne parvient pas à réduire les inégalités en matière de santé.
La Belgique n’a pas l’espérance de vie la plus élevée au monde. Selon le Rapport mondial de la santé (2006), 25 pays font mieux qu’elle.
Certaines indications montrent qu’en matière d’égalité de santé, nous faisons également moins bien que nos voisins. Une illustration de ce point peut se trouver une récente étude sur l’obésité, l’un des problèmes les plus importants actuellement en Europe tant en matière de santé qu’en matière d’inégalités socio-économiques (9). Ainsi, en 1997, en Belgique, les femmes issues des classes sociales les plus basses avaient 14% plus de risque de devenir obèses.
La Fondation Roi Baudouin souhaite étudier le sujet plus avant. Elle croit aux atouts de notre système de santé. Ce système est-il trop centré sur le traitement des maladies au détriment de leur prévention? Cette dernière n’est-elle pas trop peu orientée vers des groupes spécifiques? D’innombrables questions sont à éclaircir. C’est pour en savoir plus que la Fondation Roi Baudouin a mis en place un groupe de travail réunissant les acteurs concernés, qui va approfondir la problématique des inégalités de santé au cours des prochains mois.
La Fondation encourage d’ores et déjà les différents niveaux de pouvoirs politiques et tous les acteurs de la société civile à placer les inégalités de santé plus haut sur leur agenda. Avec eux, elle souhaite chercher de nouvelles mesures qui influenceront effectivement et positivement le niveau de la santé en Belgique.
Les deux équipes scientifiques qui appuient la Fondation sont pour l’UGent le Vakgroep Huisartsgeneeskunde en Eerstelijnsgezondheidszorg ( Prof. Jan De Maeseneer ), et pour l’ULB le Département de Médecine Générale ( Prof. Michel Roland ).
D’après un communiqué de la Fondation Roi Baudouin

(1) Bossuyt N. en H. Van Oyen, (2000), Gezondheidsverwachting volgens socio-economische gradiënt in België , IPH/EPI Reports Nr. 2000-003, Bruxelles: Institut Scientifique de Santé Publique. Département Epidémiologie.
(2) ISSP, (2002), Enquête de Santé par interview Belgique 2001 , IPH/EPI Reports Nr. 2002-22, Bruxelles: Institut Scientifique de Santé Publique. Département Epidémiologie.
(3) Centrum voor operationeel onderzoek in volksgezondheid, (2001), Geboorte, perinatale sterfte en kindersterfte, 1993-1995, Ministerie van de Vlaamse Gemeenschap: Administratie Gezondheidszorg en Wetenschappelijk Instituut Volksgezondheid: Afdeling Epidemiologie, http://www.iph.fgov.be/epidemio/epinl/crospnl/inf9395nl.pdf .
Drieskens S., J. Tafforeau, H. Van Oyen, H. Cloots en S. Van den Broucke (2000), Geboorte, perinatale sterfte en kindersterfte, 1993-1995, Centrum voor operationeel onderzoek in volksgezondheid.
(4) Nusselder W.J., C.W. Looman, J.P. Mackenbach, M. Huisman, H. Van Oyen, P. Deboosere, S. Gadeyne en A.E. Kunst (2005), The contribution of specific diseases to educational disparities in disability-free life expectancy , American Journal of Public Health, 95(11), 2035-41.
(5) Bossuyt N. en H. Van Oyen, (2001), Rapport de santé: différences socio-économiques en santé, IPH/EPI Reports Nr. 2001-013, Bruxelles: Institut Scientifique de Santé Publique. Département Epidémiologie.
(6) Mackenbach J., (2004), “Inequalities in lung cancer mortality by the educational level in 10 European populations”, European Journal of Cancer, 40(1), 126-35.
(7) Lorant V., (2000), “Mortality socio-economic inequalities for small-areas in Belgium: assessing concentration”, Revue d’Epidémiologie et de Santé Publique, 48(3), 239-247.
(8) Huisman M., A.E. Kunst, O. Andersen, M. Bopp, J.K. Borgan, C. Borell, G. Costa, P. Deboosere, G. Desplanques, A. Donkin, S. Gadeyne, C. Minder, E. Regidor, T. Spadea, T. Valkonen en K.P. Mackenbach, (2004), “Socioeconomic inequalities in mortality among elderly people in 11 European populations”, Journal of Epidemiology and Community Health, 58(6), 468-475.
(9) Robertson Aileen, Public Health Nutritionist Suhr’s University College, Denmark, Obesity and Socio-economic groups in Europe: Evidence and implications for action, presentation for the Expert Group on social determinants and health Inequalities, 7 May 2007