Voici un communiqué de presse à tout le moins troublant, jugez-en plutôt. Les fabricants belges de cigarettes poursuivent en 2001 la campagne informative dans les cinémas qui vise à déconseiller aux jeunes de commencer à fumer.
Une contradiction? Non. Depuis quelques années déjà, les fabricants ont lancé plusieurs initiatives pour déconseiller aux jeunes de commencer à fumer. Celles-ci sont destinées aussi bien aux points de vente («Vendre des cigarettes aux enfants? Pas moi»), qu’aux jeunes eux-mêmes («Hé, faut-il fumer pour être branché? Les jeunes disent non»).
Les fabricants soutiennent que la consommation de produits de tabac doit être un choix conscient d’un adulte informé. Les jeunes ne doivent donc pas fumer.
En 2001 dans tous les cinémas belges
La campagne de dissuasion se fait à l’aide de deux spots, qui montrent respectivement un garçon et une fille de 14 ans dans leurs habitudes de vie, acceptés par leur entourage, et qui disent non à la cigarette.
Les deux spots ont déjà été projetés en 2000 dans 430 salles de cinéma, réparties dans l’ensemble du pays (fin août – mi-octobre 2000, décembre 2000 – janvier 2001). Au total, cela revient approximativement à 45.000 diffusions par mois.
Etant donné les résultats positifs d’un post-test (voir encadré) et compte tenu du fait que les cinémas sont un excellent canal de communication pour atteindre les jeunes, la campagne se poursuit en 2001 durant des périodes alternées. Et ce sur la base de données statistiques qui indiquent des périodes de pointe concernant la fréquentation des cinémas par les jeunes.
Les spots Yannick et Sylvie
Dans un premier spot, le spectateur fait connaissance avec Sylvie, 15 ans. C’est une véritable jeune d’aujourd’hui, qui sait ce qu’elle veut. Elle aime la mode et l’élégance, sa liberté. Et elle ne fume pas. Elle dit non.
Yannick, 14 ans joue le rôle principal dans le deuxième spot. Il aime le rythme, les sorties et la musique. De plus, il est apprécié par les filles. Bref, Yannick a tout pour être «in». Il ne fume pas non plus et dit non.
Disposée à un dialogue avec les pouvoirs publics
L’industrie s’est toujours déclarée disposée à une concertation et à une collaboration avec les pouvoirs publics pour aborder la problématique de l’usage des produits de tabac chez les jeunes. Seule une approche commune peut permettre d’enregistrer des progrès.
L’industrie du tabac a déjà fait connaître à plusieurs reprises et de façon très claire son point de vue concernant les jeunes. Même une interdiction officielle de vente de produits de tabac aux jeunes ne susciterait pas une opposition de la part de l’industrie. L’introduction d’un âge minimum apporterait de la clarté.Pour de plus amples informations: Fedetab –Fédération belgo-luxembourgeoise de l’industrie du tabac asbl, IDT – Centre d’information et de la documentation sur le tabac asbl, Avenue Lloyd George 7/1, 1000 Bruxelles.
Tél: 02-646 40 20. Fax 02-646 22 13. Mél : w.baert@fedetab.be.
Plus de 27% des personnes interviewées se rappelaient le spot, ce qui est un pourcentage assez élevé. Le fait que l’industrie du tabac en soit à l’initiative est jugé positif par 87% d’entre eux. La plupart des visiteurs de cinémas sont tout à fait d’accord (75%) ou plutôt d’accord (21%) avec le message de la campagne. L’efficacité et la forme sont jugées positives par 46% des personnes interviewées.
Une campagne crédible?
Ce qu’en pensent les ados
La FARES et Question Santé ont évalué la première vague de diffusion des spots au moyen de groupes de discussion de jeunes appartenant au groupe-cible (garçons et filles de 13-15 ans) et de futurs professionnels de l’image (étudiants de 3e année en communication graphique à La Cambre).
Les informations récoltées au cours de cette évaluation dépassent le cadre de cette seule campagne et offrent des pistes de réflexion intéressantes pour la prévention du tabagisme en général.
Les filles
Le message des spots passe bien, elles trouvent Sylvie très bien, mais pas Yannick. Elles sont surprises d’apprendre l’identité du promoteur de la campagne et émettent des hypothèses intéressantes pour expliquer cette démarche apparemment peu commerciale:
- les industriels ont mauvaise conscience et veulent empêcher les jeunes de fumer;
- ils veulent se prémunir contre d’éventuelles poursuites judiciaires (‘On vous avait prévenu…’);
- ils veulent attirer l’attention des jeunes sur la cigarette, sachant que ces derniers font le contraire de ce qu’on leur dit!
Elles se montrent aussi critiques par rapport à la prévention, qui n’exploite pas les arguments pertinents pour accrocher les adolescents. La prévention, c’est plus une question de confiance en soi, en ses parents, qu’une affaire de spot cinéma ou d’affiche.
Les garçons
Le message passe moins bien (certains croient d’abord à une pub pour des vêtements), et Yannick est adopté par les uns et rejeté par les autres.
Ils pensent assez spontanément que l’industrie du tabac pourrait être à l’origine des spots en invoquant les motifs suivants:
- obligation légale de mise en garde des consommateurs;
- peur d’être attaquée en justice;
- susciter l’envie (parler de cigarette fait qu’on y pense);
- éviter les problèmes avec les associations anti-tabac;
- réduire la consommation pour maintenir les ventes en évitant des décès trop prématurés.
Leur impression est que les campagnes médiatiques de promotion de la santé en général ne sont pas efficaces en termes de changements de comportement. On pourrait en conclure que cette campagne aurait finalement peu d’effets, que ce soit d’ordre dissuasif ou incitatif…
Ce qu’en pense le Conseil supérieur de promotion de la santé
D’initiative, le Conseil supérieur a rendu un avis critique sur cette campagne. Le voici résumé dans un communiqué de Question Santé, le Service communautaire chargé de la communication en promotion de la santé:
Quand l’industrie du tabac invite les jeunes… à refuser de fumer
L’industrie du tabac mène campagne depuis bientôt deux ans pour, prétend-elle, « inciter les jeunes à ne pas commencer à fumer ».
La première campagne du Centre d’information et de documentation sur le tabac IDT (une asbl créée à l’initiative de la Fédération belgo-luxembourgeoise du tabac) date de 1999. Elle s’affichait sur des panneaux de 20m² et claironnait haut et fort «Faut-il fumer pour être branché? Les jeunes peuvent dire non».
L’année dernière, elle reprenait le même concept en le déclinant, cette fois, sous forme de deux spots publicitaires projetés pendant 10 semaines dans 430 salles de cinéma du pays. Les héros: Sylvie, 15 ans et Yannick, 14 ans, deux jeunes qui « disent non ».
Cette campagne continue en 2001.
Quel est, en réalité, l’objectif recherché par les «cigarettiers»? Alors même que l’on sait que pour maintenir sa prospérité, l’industrie du tabac a besoin de nouveaux fumeurs pour remplacer ceux qui arrêtent ou qui meurent? Alors même que l’on sait que ce n’est pas à l’âge adulte que l’on commence à fumer?
Ce qui est clair, c’est qu’on ne peut que difficilement croire en une volonté désintéressée des «cigarettiers» de mener une campagne de promotion de la santé contraire à leurs intérêts commerciaux.
Le Conseil supérieur de promotion de la santé (CSPS) serait plutôt tenté d’y voir une subtile manière de parler du tabac dans un pays où la publicité pour ce produit est très limitée voire quasi interdite.
Et même s’il leur laisse le bénéfice du doute, le CSPS pense que la prévention relève du secteur non-commercial. C’est la raison pour laquelle il souligne la nécessité de dégager des moyens financiers importants pour lutter contre ce problème de santé majeur.
A partir d’un avis remis par le Conseil supérieur de promotion de la santé à Madame Nicole Maréchal, Ministre de l’Aide à la jeunesse et de la Santé du Gouvernement de la Communauté française. (1) Ce n’est pas un poisson d’avril tardif, il s’agit vraiment d’une initiative de l’industrie du tabac !
(2) Suite à une plainte du président du Conseil supérieur de promotion de la santé auprès du Jury d’éthique publicitaire, le slogan français a été modifié et aligné sur le texte néerlandais. Ce dernier dit depuis le début de la campagne « Ik zeg neen » (« Je dis non » »). La version française, qui était plus évasive (« Je peux dire non »), affirme maintenant la même chose (« Je dis non »).