Juillet 2001 Par P. GILLET Réflexions

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Pour moi, comme pour les auteurs de ‘Santé publique, du biopouvoir à la démocratie’, il est impensable de faire l’impasse du sujet en santé publique. Et qui dit sujet dit sujet avec son inconscient, son rapport à l’autre, sa soif de donner sens aux discours qui lui sont adressés, notamment par les professionnels de la santé. On peut légitimement contester une certaine façon de faire la santé publique avec des moyens contraignants, autoritaires, castrateurs, se braquant sur les comportements individuels, le style de vie, évitant de mettre en cause notre mode d’organisation sociale, agissant sur le symptôme et non sur la cause. ‘Santé publique, du biopouvoir à la démocratie’ a le mérite d’introduire le questionnement de l’éthique du sujet dans la santé publique. Les agents sanitaires perçoivent trop souvent les individus comme sujets ‘objectifs et collectifs’.
Je suis d’accord avec les auteurs quand ils disent que faute de pouvoir produire les conditions de vie favorisant le déploiement de la santé, l’Etat assoit son emprise sur les corps. Pouvoir combattre l’argent, l’Etat le peut, mais il ne l’ose pas ou en est complice. C’est vrai: il est important de replacer l’individu dans sa subjectivité, mais de là à stigmatiser les politiques de la santé publique en une contrainte totalitaire il y a une marge!
On peut informer des individus sans les contraindre. Où est l’atteinte aux droits quand on installe des étrangleurs de circulation, quand on fluorise l’eau ou le sel de cuisine? La santé publique est un peu hâtivement réduite à une action contraignante par des individus pour des individus. Les déterminants sociaux de la maladie constituent une des observations les plus centrales dans l’histoire de la recherche en santé publique.
Un ouvrage est une somme à cet égard: ‘ Etre ou ne pas être en bonne santé ‘ d’Evans, Barer et Marmor(2) . On y trouve la chose suivante: 10.000 employés anglais, tous cols blancs, ont été suivis médicalement pendant 20 ans. Constat: la position du personnel dans la hiérarchie a une valeur prédictive de la mortalité et ce à facteur de risque égal (tabac, hypertension, cholestérol)! Si la population adoptait un mode de vie plus sain, l’espérance de vie serait certes accrue, mais les écarts de santé des diverses classes sociales persisteraient sans doute. La santé serait liée à la hiérarchie sociale et les maladies n’en seraient qu’une manifestation. Parmi les éléments constitutifs de la hiérarchie, le statut social, le pouvoir, le stress, la capacité de faire face à la situation, le sentiment d’avoir un avenir, quels sont ceux qui ont une nature causale? Peut-on les modifier? Par quelle voie biologique ces facteurs opèrent-ils? D’une manière générale, notre place dans la hiérarchie est définie par le travail, le logement, l’éducation, le revenu. Agir sur les inégalités sociales diminue la mortalité et réduit les comportements à risque par une voie indirecte et non terroriste.
Pierre Gillet , professeur à l’Ecole de santé publique de l’Ulg et CHU de Liège
(1) Ce texte a déjà été publié dans Le Généraliste.
(2) ‘Etre ou ne pas être en bonne santé’, R. Evans, M. Barer, T. Marmor, Ed. John Libbey Eurotext/Les presses de l’université de Montréal, 359p., 1996.