La construction identitaire des enfants et des adolescents est-elle menacée par une société qui oscille entre banalisation et survalorisation de la sexualité? Latitude Jeunes a consacré une journée à la question, à laquelle deux courants de pensée et de recherches sont venus répondre.
Avant toute chose, une tentative de définition de l’hypersexualisation s’impose. Il y a celle du Réseau québécois d’action pour la santé des femmes: « L’hypersexualisation se caractérise par la surenchère sexuelle , à la fois dans l’univers médiatique et dans les rapports entre les personnes . À travers les médias , les industries diffusent un modèle de sexualité réducteur qui s’inspire des stéréotypes véhiculés par la pornographie . On pense à l’homme dominateur . À la femme objet séductrice et soumise .»
Plus concrètement, en ce qui concerne le jeune public, la sexologue québécoise Geneviève Marier a partagé lors de cette journée ses interrogations sur les comportements sexuels des jeunes et sur leurs attitudes à l’égard de la sexualité. Des considérations qui se sont attardées sur la mode vestimentaire, le rapport au corps, ou sur les discours de magazines pour jeune public. On peut effectivement rester songeur et songeuse devant tel test paru dans un magazine pour demoiselles où les réponses classent les lectrices en trois catégories: ringardes, salopes et supersalopes! Le même type de presse serine que la grande menace qui plane sur les filles c’est de… rester seules. Un discours qui n’est jamais adressé aux garçons par les revues dont ils constituent le lectorat!
Geneviève Marier s’insurge contre ce qui pour elle revêt l’ampleur d’un phénomène de société. « La valorisation d’attitudes et de comportements sexuels précoces altère le rapport à son propre corps , à soi et à l’autre », explique-t-elle. Même si elle s’en alarme, elle ne s’étonne pas que les filles dont l’estime de soi est plus faible consentent à avoir des relations sexuelles plus tôt. On notera que du côté des garçons, ce genre de comportement est au contraire corrélé avec une bonne estime de soi.
A-t-on une idée précise de l’impact de l’hypersexualisation? Geneviève Marier énumère: une conception mécanique et morcelée du corps, la réduction de la femme à son apparence… « Quant aux conséquences de l’hypersexualisation », poursuit-elle, « on peut affirmer qu’il s’agit de perte de repères , de distorsions cognitives , d’attentes irréalistes et de difficultés relationnelles .»
Ce tableau sombre a heureusement généré des pistes d’action Outre-Atlantique, à l’égard des responsables politiques, des écoles et des jeunes, notamment via l’éducation à une consommation responsable et aux médias. Une éducation aux médias délicate quand on connaît la pression que la publicité exerce sur les jeunes. Les «Tweens» (amalgame entre teenager et between), soit les 8-13 ans, dépensent près d’un milliard de dollars par an. Peut-on dès lors parler de corps et de sexualité libérés? L’industrie surfe même sur la vague critique à son égard, puisqu’une célèbre marque de cosmétiques a créé un Fonds pour l’estime de soi…
Remettre les pendules à l’heure
Le sociologue français Philippe Liotard (Université de Lyon) est moins alarmiste face aux modèles proposés aux jeunes. « Les jeunes sont confrontés à deux pseudo modèles : celui de la salope et celui de l’étalon », admet-il, « mais ils évoluent par rapport aux stéréotypes . Le changement est le propre de la jeunesse . Il est aussi intéressant que les parents , face à cette situation , soient amenés à un questionnement sur leurs valeurs , leurs propres limites , leur définition d’une relation saine .»
Le sociologue y va aussi de ses constats, qui relativisent le poids de l’hypersexualisation: « L’âge du premier rapport sexuel n’a pas vraiment varié depuis l’avènement de la pilule . Il se situe autour de 17 ans . La construction de l’apparence a changé . C’est indéniable . On montre davantage les corps , mais on les a aussi beaucoup montrés par le passé , il ne faudrait pas l’oublier . Comme il ne faut pas oublier de relever que lorsqu’on interroge les jeunes sur ce qui compte dans leur relation amoureuse , les réponses comportent invariablement , situés en bonne place , des facteurs comme la fidélité , la confiance , le choix d’objectifs communs .»
Versant dans l’alarmisme ou pas, les deux points de vue se rejoignent quand ils invitent les éducateurs, les parents et les pouvoirs publics à mettre à l’ordre du jour la question de saines relations affectives entre jeunes (et moins jeunes d’ailleurs).
À découvrir
Les ateliers de la journée de Latitude Jeunes ont permis de faire le point sur des études récentes menées auprès des jeunes et d’attirer l’attention des professionnels sur des ressources disponibles pour aborder le thème de l’hypersexualisation.
Des études
Selon une étude de la Direction de l’égalité des chances (www.egalite.cfwb.be), 9 jeunes sur 10 parmi les 12-21 ans sont victimes d’actes de violences, principalement verbales, psychologiques ou morales, de la part de leur partenaire. Les garçons recourent plus à la violence physique et les filles à des actes de déni et de manipulation. Cette différenciation se renforce avec l’âge.
Les ados et le sexe
Le numéro 29 de Faits & Gestes , la revue trimestrielle présentant des chiffres clés en lien avec les compétences de la Communauté française, explore différents champs de la vie sexuelle des adolescents. Il s’appuie pour cela sur une enquête récente de «Santé et bien-être des jeunes» qui constitue le versant belge francophone de l’étude internationale ‘Health Behaviour of School-Aged Children’ (HBSC) effectuée par l’équipe SIPES-ULB.
Les premières relations
52% des élèves âgés de 15 à 18 ans déclarent avoir déjà eu une relation sexuelle. Il est intéressant de noter que cette proportion varie significativement selon la filière d’enseignement et qu’elle est moins élevée dans l’enseignement général (44%) que dans le professionnel (64%).
La question sur la précocité a été posée aux jeunes sexuellement actifs. 11 % d’entre eux déclarent avoir eu leur première relation sexuelle avant 14 ans. La proportion de garçons est environ deux fois plus élevée que celle des filles (14 % vs 7%).
Protection contre les IST et contraception
Toujours parmi les élèves de 15 à 18 ans, près de 90% déclarent avoir déjà vu ou manipulé un préservatif. Cette proportion est plus élevée chez les jeunes sexuellement actifs (97%) que chez ceux qui ne le sont pas (79%).
De la théorie à la pratique: 57% des jeunes sexuellement actifs ont utilisé un préservatif lors de leur dernier rapport sexuel. Paradoxalement, les jeunes qui ont déjà eu plusieurs rapports sexuels avec des partenaires différents ont davantage tendance à ne pas utiliser le préservatif (49%) que ceux dont c’était le premier rapport sexuel (19%).
Parmi les 15 – 22 ans, 82% déclarent avoir utilisé (eux-mêmes ou leur partenaire) au moins un moyen contraceptif lors du dernier rapport sexuel et parmi les filles cela va jusqu’à 88%.
Les moyens de contraception les plus souvent cités sont la pilule et le préservatif: ainsi 83% des adolescentes ont cité, comme contraception, la pilule et 66% des garçons ont cité le préservatif.
Par ailleurs, parmi les adolescentes de 15 à 22 ans sexuellement active, 28% ont déjà utilisé au moins une fois la pilule du lendemain.
L’analyse de ces réponses montre que les jeunes perçoivent le préservatif davantage comme un moyen de protection contre les IST que comme un moyen de contraception. Elle indique aussi que la contraception reste encore perçue comme relevant de la responsabilité féminine.
Par rapport au sida
25% des jeunes n’identifient pas ou pas clairement les risques de transmission du sida lors de relations sexuelles non protégées avec une personne asymptomatique. Certaines croyances erronées sont tenaces: ainsi 50% des jeunes pensent que (ou ne savent pas si) il y a un risque lors d’une transfusion sanguine en Belgique et 40% pensent que le moustique peut transmettre ce virus.
Actions futures
Les jeunes constituent un groupe privilégié pour développer des actions de promotion de la santé car les schémas de comportement s’acquièrent à l’adolescence. Ce genre d’enquête est donc très utile pour adapter les actions futures de la Communauté française en la matière.
Les actions de prévention et d’information restent indispensables car, si les connaissances sur le sujet se sont améliorées, il reste encore des points où les risques sont mal identifiés; il est également nécessaire de continuer à mener des campagnes de sensibilisation par rapport aux IST.
Par rapport à l’usage d’un préservatif ou d’une contraception, les actions de prévention doivent viser à développer et maintenir un comportement de protection responsable, autrement dit à ancrer les ‘’bons’’ réflexes dans la durée.
Faits & Gestes 29, ‘Les jeunes face à leur vie sexuelle et affective.
Abonnements et commandes: Service de la Recherche Communauté française, 02 413 36 42. Courriel: faits.gestes@cfwb.be
Site internet et abonnement électronique: http://www.faitsetgestes.cfwb.be
La Fédération des centres de planning familial des Femmes Prévoyantes Socialistes s’est penchée, quant à elle, sur l’affirmation de soi dans les relations amoureuses chez les 13-21 ans. Il apparaît que les garçons se sentent plus que les filles ‘obligés’ au rapport sexuel. En effet, 1 garçon sur 2 dit avoir des difficultés à refuser un rapport sexuel sans le moyen de contraception de son choix, voire renoncer à refuser le rapport. Deux garçons sur 5 expriment leurs difficultés à refuser une pratique sexuelle qui les dérange. Un jeune sur 10 déclare également ne pas pouvoir choisir librement le moment et la personne avec qui avoir des relations sexuelles. À lire sur http://www.femmesprevoyantes.be
Des outils
Geneviève Marier est à l’origine d’une fiction éducative («Sexcursion») destinée aux jeunes de l’enseignement secondaire. La fiction aborde les pressions sociosexuelles et l’authenticité, les stéréotypes sexuels et les pratiques sexuelles sécuritaires. À découvrir sur wwwpasdepanique.ca.
Latitude Jeunes propose une brochure très complète sur la question au départ des travaux de la journée d’études. Son titre: ‘Hypersexualisation – Trop, trop tôt, trop vite’. Son contenu: un tour du problème et sept pistes d’intervention de bon sens, exprimées avec franchise et clarté (nouer le dialogue, mettre des limites, positiver la sexualité, sensibiliser à la diversité, identifier les besoins et les valeurs, déconstruire les stéréotypes, développer l’esprit critique). Téléchargeable gratuitement sur http://www.ifeelgood.be/hypersexualisation . Commandes au 02 515 04 02.
Le Centre d’action laïque de Namur a conçu une exposition intitulée «Plaisirs d’amour». Recommandée par le centre de référence en outils de promotion de la santé PIPSA, elle est articulée autour de 4 axes: démédicaliser l’amour, découvrir le corps, induire la capacité d’analyser et enrichir le vocabulaire pour mettre les mots justes sur ce qu’on ressent et le faire comprendre.
On trouvera aussi des informations sur l’exposition «Le Guide du zizi sexuel», destinée aux 9-14 ans, sur le site de la Cité des Sciences: http://www.cite-sciences.fr
Enfin, le site de Latitude jeunes ( http://www.ifeelgood.be ) propose tout à la fois des informations sur l’amour, la démocratie et l’équilibre. Un module sur la pornographie aborde le thème avec les ados en dévoilant les clichés entretenus dans les films X.
Véronique Janzyk