Juillet 2012 Par Alda GREOLI Réflexions

Des voix se sont élevées, ces derniers jours, venant de médecins comme le cardiologue Brugada, de responsables politiques, de services d’études comme Itinera, pour proposer qu’on sanctionne dans le système des soins de santé les personnes aux comportements qui pourraient aggraver les risques pour leur santé. Derrière cette idée, il y a évidemment aussi la volonté de trouver des pistes d’économies dans les soins de santé.
Faire de la politique aujourd’hui, c’est parfois faire feu de tout bois et sortir de vraies fausses bonnes idées pour faire des économies. Il nous parait essentiel de revenir sur l’une de ces fausses bonnes idées qui nécessite de prendre le temps pour ne pas tomber dans le cliché facile “que le fautif assume et paie tout seul les conséquences de son comportement irresponsable!” .

Très inégaux devant la maladie

Il est toujours important de rappeler que 5% de la population sont à l’origine de 60% des dépenses de soins de santé. Les dépenses sont donc terriblement concentrées et à des périodes données de la vie (la naissance en est un exemple). Il est tout aussi essentiel de rappeler que n’importe lequel d’entre nous peut, demain, faire partie de ces 5% à cause d’un accident, d’une maladie, d’une catastrophe…
Si tout le monde est concerné par ces risques, il est vrai que la maladie ne touche pas de la même manière les êtres humains. Le niveau d’enseignement, de revenus, la qualité du logement ou de l’insertion sociale (qui passe autant par le travail que par les loisirs) exercent une grande influence. Nous ne sommes pas égaux face aux facteurs déterminants de la santé.
De la même manière, nous ne sommes pas égaux face aux politiques de prévention. Il est remarquable de constater que, pour les soins dentaires préventifs pour les enfants et jeunes âgés de moins de 18 ans, le recours aux soins passe du simple au double selon le niveau de scolarité des parents. Pourtant ces soins sont gratuits, dans notre pays, pour tous les moins de 18 ans (chez un dentiste conventionné…). Ce n’est donc pas seulement le niveau de revenu qui influence les pratiques. L’information, le sentiment d’y avoir droit ou celui d’y avoir accès, la culture familiale du rapport à soi et à son bien-être jouent un rôle non négligeable.
Une femme de 25 ans, universitaire, pense qu’elle a encore 50 ans de vie en bonne santé devant elle. Une femme sans diplôme pense qu’il ne lui reste que 25 années de vie en bonne santé. En réalité, elles ont une différence de 5 ans entre elles, et ce n’est déjà pas rien! Plus fondamentalement, la projection de soi-même et des autres dans une histoire, dans un avenir que nous souhaitons meilleur ou de qualité, nous rend plus ou moins actif de notre propre prévention en matière de santé.
Le diktat de la bonne gouvernance de soi

Nous nous sommes émancipés de la culpabilité face à Dieu qui guidait nos comportements y compris dans le rapport à notre corps, notre hygiène quotidienne voire notre hygiène de vie (se laver les mains avant de manger, se reposer un jour par semaine…). Mais nous sommes passés à la responsabilisation individuelle nous contraignant à assumer les conséquences de nos actes, seuls face à des principes de bons comportements, de bonne gouvernance de nous-mêmes. Et même la psychologie, les sciences ou approches médicales dites parallèles nous y ramènent : “si vous avez mal au dos, c’est que vous prenez trop sur vous” . Être à l’écoute de son corps pour qu’il nous livre les limites de ce que nous devons accepter, manger, boire, fumer, travailler, supporter comme stress… Voilà un nouveau credo! Et si nous écoutons notre corps, si nous nous comportons comme il faut… alors nous aurons une attitude responsable et méritante d’une bonne santé.
Même les firmes commerciales utilisent ce vocabulaire publicitaire. Elles nous parlent de cette manière quand elles nous vendent des produits qui vont diminuer les risques de cholestérol ou de surpoids. Dès lors, et à l’inverse, serions-nous coupables d’accepter trop de travail, de stress, de prendre sur nous ou de passer du temps à l’écoute des autres? Si de tels comportements nous amènent à souffrir voire à être malades, devrions-nous en payer les conséquences? Ces attitudes sont pourtant conditionnées pour partie par la société même qui nous condamnerait…
Facile de rester en bonne santé?

Est-il si simple de rester en bonne santé? En faisant du sport, bien sûr, mais pas trop! Trop de sport, c’est la course vers les fractures, les blessures et donc les dépenses. En mangeant sainement et modérément, mais pas trop peu non plus! Et si possible en prenant le temps pour bien digérer, bien mastiquer, sinon ce sont la maladie de l’estomac et les problèmes de digestion qui arrivent au grand galop. En buvant juste ce qui est conseillé par les sociétés scientifiques d’œnologie et les cardiologues. Et surtout vivre sans connaître le stress, ce mal qui gagne les actifs dans le travail et qui envahit les non actifs coupables d’être des poids pour notre société en crise.
Bref, quand on pousse un peu la caricature, on se rend compte très vite qu’il ne suffit pas de dire que demain la chirurgie cardiaque doit être moins remboursée pour les fumeurs ou pour ceux qui ont trop de cholestérol. Mais il s’agit de développer des politiques de prévention, de sensibilisation et des actions de terrain qui permettent d’agir au mieux sur sa santé et celle de son entourage. Être acteur de sa vie est sans doute en soi un facteur déterminant de la santé. Croire que nous sommes libres et qu’il suffit de le vouloir, c’est l’illusion d’une société où les individus ne peuvent plus se voir que comme leur propre finalité.
Responsabiliser sans culpabiliser, agir sans discriminer, sensibiliser sans contraindre, permettre d’être acteur de sa santé, ce ne sont pas des slogans simplistes qui le réalisent, c’est un véritable investissement dans la prévention. Et cela nécessite aussi de dégager des vrais moyens surtout en période de crises socio-économiques.
Texte publié dans En Marche ( http://www.enmarche.be ) le 16 février 2012 et reproduit avec son aimable autorisation.
Alda Greoli , Secrétaire nationale des Mutualités chrétiennes