Avril 2009 Par Anne-Sophie PONCELET B. DE VOS Réflexions

Par son parcours professionnel, Bernard De Vos , le Délégué général aux droits de l’enfant, a eu l’habitude de rencontrer des jeunes sur le terrain et, lorsqu’il parle de ces derniers, son discours est sans aucun doute nourri par son expérience.
Le 5 novembre 2008, après avoir évoqué longuement la question de l’alcool chez les jeunes Bruxellois tout au long de la journée(1), en insistant sur le danger de stigmatiser tant le produit que le public, un commentaire de Bernard De Vos nous a semblé des plus utiles pour élargir la thématique.
Il nous livre, par ses constats et ses observations des jeunes, quelques éléments pour tenter de mieux comprendre leur vécu, tout simplement…

La jeunesse: maudite de tous temps

« Les jeunes d’aujourd’hui ne sont plus ceux qu’on était à l’époque …»
Voir la génération qui nous suit comme pire que la nôtre ou que celle qui nous précède est un fait qui se retrouve tout au long de l’histoire. Cette tendance à externaliser nos difficultés d’adultes sur les jeunes donne à ces derniers un pouvoir considérable qui est en réalité insignifiant puisque, par définition, inexistant. Le seul pouvoir que détiennent les jeunes est celui d’être à l’image de la société qui les a fait naître.
Or, le stigmate qu’on leur fait endosser nous empêche de voir l’incohérence qui réside au sein de la société actuelle, où le pouvoir des libertés individuelles n’a jamais été aussi élevé, alors que les liens sociaux n’ont jamais été aussi peu développés.
Les jeunes d’aujourd’hui se sentent ainsi coupables du mauvais fonctionnement d’une société dans laquelle l’insécurité grandissante est pesante, puisque dépourvue d’attachements, dont on sait pourtant l’importance pour le développement de soi.
Sans pour autant entamer une complainte de la société actuelle, il s’agit tout de même de tenir compte des réalités sociales pour identifier le malaise que les jeunes peuvent ressentir, évoluant dans une société où les repères sont absents.
Les rites d’initiation, par exemple, autrefois très marqués (le service militaire notamment, qui donnait l’occasion de goûter sa première cigarette ou son premier verre d’alcool), n’existent plus aujourd’hui, ces expériences se font maintenant seul. L’enfant, ce petit «être en devenir», devient «être au moment de venir»: on naît individu et on devient très vite adulte. Pourtant, on sait combien la filiation est importante et combien l’enfant a besoin de l’adulte pour avancer…
La violence et la sexualité, banalisés et accentués par les médias, font également partie du quotidien des jeunes et reflètent, par conséquent, un contexte d’éducation difficile, inquiétant, et bien différent de celui d’antan.

Face à l’incertitude… une plus grande solitude

Le jeune veut donc se construire, avancer… Mais comment le faire dans un monde si incertain qu’avancer n’est pas concevable et provoque colère et aversion, tant vis-à-vis des autres que de soi-même?
Face à cette difficulté de trouver les moyens d’atteindre ses objectifs, il recourt à des méthodes lui permettant, selon lui, de survivre dans un milieu qu’il craint.
Mais ces stratégies, dont la consommation de produits psychotropes est un exemple, jouent sur les sensations et non sur les émotions.
Pourtant, les émotions sociales ont un rôle primordial, parce qu’elles permettent l’inhibition du passage à l’acte lorque l’on parle de délinquance, ou parce que, plus largement, elles donnent la possibilité d’entrevoir une trajectoire.
C’est pourquoi il apparaît judicieux d’aider les jeunes à ressentir leurs émotions sociales et à mieux les gérer, plutôt que de les enfermer dans des lieux dépourvus de ces stimuli, nécessaires pour vivre en société. En effet, Bernard De Vos souligne qu’il ne peut y avoir de rappel à la loi sans émotions sociales, celles-ci étant génératrices du sentiment de culpabilité.

Et Bruxelles dans tout ça?

Bruxelles, capitale de l’Europe qui revendique sa multiculturalité, est en réalité une bien petite métropole qui ne parvient pas à jouer de ses spécificités.
Un clivage certain réside entre les jeunes «blancs» et les jeunes «noirs» et «beurs», au niveau scolaire en premier lieu (pas d’écoles ‘mixtes’ à Bruxelles), mais aussi au niveau des loisirs, où les activités culturelles sont très peu pratiquées parmi les jeunes «noirs» et «beurs».
Outre l’insécurité principale que les jeunes ressentent à travers le (dys)fonctionnement de la société actuelle, les jeunes Bruxellois ont à faire face à une insécurité liée aux caractéristiques propres à leur ville. Ils doivent donc évoluer dans un milieu où la crainte de rencontrer l’autre, inconnu de par ses origines, ses codes culturels et même parfois la langue, est permanente.
Dès lors, il s’avère capital de prendre en considération cette réalité lorsque l’on conçoit des programmes de prévention à Bruxelles, au risque de renforcer les clivages existants si on ne le fait pas.

Comment (ré)agir?

Bernard De Vos retient quatre éléments principaux dont il importe de tenir compte, notamment lors de la mise en place de programmes de prévention et/ou d’éducation:
Favoriser la participation des jeunes . Les jeunes se sentant déjà exclus, il paraît primordial de les inclure dans le processus et de tenir compte de leurs avis.
Reconnaître les compétences des jeunes , les chercher pour les utiliser ensuite.
Poser un regard positif sur les jeunes , bien plus porteur et constructif qu’un regard pessimiste, qui s’avère stérile.
Prendre les jeunes au sérieux , plutôt que de les prendre au mot. Si certains jeunes évoquent des besoins matériels, dits secondaires, plutôt que leurs besoins véritables (pensons aux jeunes de banlieue qui demandent à avoir des terrains de foot, qu’ils saccageront parfois eux-mêmes le lendemain), il s’agit de les aider avant tout à formuler leurs attentes et à construire leurs recommandations.

Conclusion: l’attachement, vecteur des relations sociales

Ce qu’il manque aux jeunes in fine , c’est l’attachement, c’est-à-dire le sentiment d’être important dans le regard de quelqu’un. Au contraire du clivage bruxellois relevé ci-dessus, le manque d’attachement est un point commun à tous les jeunes d’aujourd’hui, qu’ils soient issus des quartiers populaires ou des banlieues riches.
Par conséquent, nous, adultes, devons tenir compte de ce besoin primaire à chaque fois que l’on entre en relation avec un jeune en nous posant cette question fondamentale: «ce jeune est-il attaché?»…
Anne-Sophie Poncelet , Univers santé, sur base des propos de Bernard De Vos , Délégué général aux droits de l’Enfant

Trace

Les actes de la journée du 5 novembre 2008 ‘L’alcool chez les jeunes à Bruxelles: qu’en est-il et qu’en faisons-nous’ sont sortis.
Vous y trouverez un état des lieux très complet par Martin de Duve , la relation des quatre ateliers du jour, le discours du Ministre Benoît Cerexhe , les conclusions de Bernard De Vos bien sûr, et une large description d’outils de promotion de la santé en matière d’assuétudes.
Un document de 28 pages disponible sur simple demande à Univers santé, Place Galilée 6, 1348 Louvain-la-Neuve. Tél.: 010 47 28 28. Fax: 010 47 26 00.Courriel: univers-sante@uclouvain.be[/L].

(1) Voir ‘L’alcool chez les jeunes à Bruxelles’, par C. De Bock, Éducation Santé n° 240, p. 12. Internet: http://www.educationsante.be/es/imprarticle.php?id=1069