Comme les jeunes volontaires impliqués dans le projet GrIS Wallonie, groupe d’intervention scolaire qui lutte contre l’homophobie, j’ai eu l’occasion de travailler avec un témoin exceptionnel, un adulte, un père de famille. Je vais vous raconter l’histoire d’une rencontre. Une histoire belle et sensible. Une histoire peu banale, une histoire qui touche. Voulez-vous la découvrir? Voulez-vous vous plonger dans mon quotidien professionnel, le temps d’une lecture?
Tout commence avec Agnès, dite Mamawè, ma chère collègue. La voici qui déboule dans mon bureau par un matin de mai.
«Vinciane, j’ai absolument besoin de toi!»
J’adore quand ma journée commence de la sorte.
«Je te suis toute dévouée» lui réponds-je.
Il me faut vous dire avant d’aller plus loin que Mamawè travaille avec des migrants, des étrangers qui sont dans des centres de réfugiés Croix-Rouge et Fedasil. Quant à moi, je travaille avec des gays, des lesbiennes, des bisexuel-le-s. Et c’est la lutte contre le sida qui nous réunit tous. Toute dévouée donc, j’ouvre grand mes pavillons, mes écoutilles.
«Je vais organiser une après-midi rencontre en juin avec des personnes étrangères et le thème qu’ils veulent aborder est l’homosexualité. Mais je te préviens, ils sont très très homophobes! Ils pensent que les homosexuels devraient être en prison, que c’est contre l’Islam, que c’est contre-nature!» poursuit-elle.
Croyez-vous que je vais me laisser impressionner par si peu? Eh bien oui! Homosexualité et religion ne font guère bon ménage…
«Tu peux compter sur moi» dis-je prestement tout en imaginant mes cheveux gris pousser sous l’effet de l’angoisse.
Comment vais-je faire? Ils vont me massacrer! Je ne me sens pas suffisamment outillée pour confronter leur homophobie à mes arguments généralement utilisés face à des élèves ou des adultes belges. Aurai-je les bons mots? Je ne connais rien à l’Islam et les quelques Marocains, Algériens ou Congolais que je connais sont tous… gays!
Cette nuit-là, la solution arrive d’elle-même, en une image claire, celle d’Hassan Jarfi. Je venais justement de l’écouter lors d’une conférence au Centre Gay et Lesbien de Namur, le vendredi précédant notre si belle journée des Fiertés namuroises. Hassan, mon sauveur! Hassan, papa d’Ihsane, ce jeune homme marocain, musulman, gay, assassiné par la haine des hommes, par leur peur de l’homosexualité, par leur rejet de la différence. Hassan qui, depuis le décès de son enfant, parcourt la Belgique pour témoigner, pour raconter son jeune fils, pour dire combien il l’aimait et combien sa douleur est grande face à tant de haine. Hassan, professeur de religion islamique, vivant en Belgique depuis 30 ans. Il connaît d’autres cultures, celles où l’homosexualité est taboue, mal vue, rejetée.
Je le contacte via Facebook, nous sommes amis, c’est facile. Bien sûr il accepte et ce n’est pas cher puisqu’il intervient gratuitement. Il faut juste lui payer ses déplacements. À l’heure actuelle, c’est assez rare, faut-il le dire!
Le jour de la rencontre arrive et les participants sont accueillis par Mamawè. Ils arrivent en bus de Centres de la Croix-Rouge et de Centres Fedasil. Des femmes et un homme, tous africains. L’une d’entre elles est si grande, si belle, quelques-unes sont accompagnées de leur bébé, d’autres encore de leur compagnon. L’endroit est convivial, une salle dans une maison pour jeunes, sans plus. Les chaises sont disposées en cercle et tout le monde prend place.
«J’ai un quart d’heure de retard» m’annonce un sms d’Hassan.
Alors Mamawè et moi faisons un petit tour de table pour savoir ce qu’ils pensent vraiment des personnes homosexuelles. Les clichés sont inchangés, l’incompréhension reste de mise, pareil pour le rejet. Puis Hassan arrive, avec son projecteur et son ordinateur portable.
Le public se demande qui est cet homme, quel genre de film il va projeter. Pour maintenir l’attention, Hassan ne se présente pas tout de suite, il dit juste qu’il va leur montrer un film sur la vie de son fils Ihsane, assassiné à cause de son homosexualité. Ai-je besoin de vous décrire les visages des personnes présentes? Étonnement allié à la curiosité.
La projection commence: 20 minutes de vidéo amateur où on voit Ihsane bébé qui joue avec le micro, Ihsane enfant qui s’amuse avec d’autres enfants, au Maroc, à Liège, avec ses frères, ses sœurs, sa famille, Ihsane jeune qui fait un peu de cinéma… Il est joyeux, mignon, tendre, heureux de vivre, un fond musical achève de nous attendrir.
Et puis on voit une affiche avec la tête d’Ihsane, un avis de disparition plus exactement avec écrit: ‘Qui a vu Ihsane?’ Cette affiche, je l’avais partagée en son temps, sur Facebook, tout comme la communauté homosexuelle. Un texte suit expliquant qu’Ihsane a disparu en sortant d’une boîte de nuit pour gays et lesbiennes. Les images suivantes montrent des articles de presse signalant qu’on l’a retrouvé mort, assassiné par quatre hommes (trois Belges et un Turc), abandonné dans un pré, non loin de là. Et le film s’achève sur des images d’Ihsane, du cimetière où il est enterré, des textes d’espoir, d’amour et de prières.
Hassan laisse quelques minutes aux personnes présentes pour intégrer ce qu’ils viennent de voir. L’émotion est palpable. Moi-même j’ai les larmes aux yeux. Je suis maman, je suis citoyenne, je suis concernée, je suis touchée. Et je ne suis pas la seule. Le public est ému, cela se sent.
«Voilà, c’est l’histoire de mon fils tant aimé, mon garçon un peu différent, il était homosexuel et on n’en parlait pas. Aujourd’hui je regrette de ne pas lui avoir dit qu’il pouvait compter sur moi, que je l’aimais de façon inconditionnelle. C’est trop tard il est mort».
Toujours pas de réactions. Une dame plus tard me dira que c’est l’émotion qui l’a empêchée de prendre la parole.
Alors Hassan continue son témoignage, il parle de sa condition de Marocain musulman, des difficultés à avoir un fils homosexuel quand on est musulman pratiquant, des jugements, du regard des autres, des non-dits, des souffrances et de la douleur actuelle face à la perte d’un enfant: «Ma famille est détruite.»
La dame, si grande, si belle, demande: «Qu’avez-vous fait pour avoir un fils homosexuel? Croyez-vous que vous êtes responsable, vous ou votre femme?»
«C’est ainsi, dit Hassan, personne n’y est pour rien. Il n’y a pas de cause, la seule chose à faire c’est d’aimer ses enfants comme ils sont, avec leurs différences. Tout existe dans la nature et cette diversité est belle, respectons-la.»
Le seul homme du groupe intervient à son tour: «Je pensais qu’il valait mieux mettre en prison les homosexuels mais avec votre témoignage, je me rends compte que j’avais tort».
Quoi de mieux que l’intervention de Hassan? Mes arguments auraient-ils pu faire mouche aussi justement? Ce public serait-il reparti en réfléchissant différemment sans son témoignage? Plus j’y repense et plus je me dis que non. C’est l’histoire d’Hassan et son fils qui a convaincu, c’est cette douleur transformée en espoir qui a fait que, aujourd’hui, plusieurs personnes sont beaucoup moins homophobes qu’avant cette rencontre.
Vinciane Fastré est assistante sociale au Service de Santé Affective et de Réduction des risques
rue Dr Haibe 4 à 5002 Saint Servais
Courriel: vinciane.fastre@province.namur.be