Juin 2004 Par J. VALANGE Initiatives

Toutes les personnes qui ont été des enfants ronds ou gros se souviennent certainement avec amertume des douloureux passages à la visite médicale où l’infirmière semblait vociférer votre poids sous les regards indignés et railleurs des copains.
Le cliché des visites médicales impersonnelles et parfois indélicates a heureusement évolué: le personnel plus spécialisé, mieux formé, les années d’expériences et de remises en question nous ont appris à être plus discrets qu’il y a 30 ans et respectueux du vécu des enfants.

Rôle du service PSE

Notre premier rôle est avant tout le dépistage .
Nous sommes, avec l’ONE les premiers à pouvoir repérer une évolution pondérale anormale et évaluer les risques possibles surtout si d’autres anomalies de santé sont présentes en plus de l’excès de poids.
Nous sommes particulièrement attentifs à deux périodes critiques: dans la petite enfance lorsque l’enfant rentre à l’école gardienne, il maigrit normalement après avoir passé le stade du bébé dodu (voir grille d’indice de Quételet) et à la puberté (âge où les réserves de masse grasse emmagasinées pendant la croissance doivent être terminées).
Notre travail de dépistage et d’analyse ne peut être vraiment efficace qu’en collaboration avec l’ONE, l’école, le médecin traitant et la famille pour comprendre dans quel environnement l’enfant évolue.
Nous avons ensuite un rôle d’ éducation . Notre mission est d’informer et dans ce cas précis d’éduquer ou de rééduquer à la bonne alimentation, de promouvoir l’exercice physique et d’essayer entre autres de combattre les pièges de la publicité manipulatrice.

Dépistage de l’obésité à la visite médicale

Voici quelques constatations de nos services PSE.
Lors du bilan de santé, un enfant sur deux présente un petit problème de santé que nous signalons aux parents, un enfant sur 10 présente un problème plus important qui nécessite une visite chez le médecin ou le spécialiste.
Nous disposons de très peu de données épidémiologiques en Belgique. A notre modeste niveau de PSE libres du Brabant wallon, nous avons toujours tenu des statistiques relevant les anomalies de notre population scolaire dépistées à la visite médicale et nous avons créé en 1994 avec l’aide d’un informaticien un programme «maison» adapté à nos besoins.
Ce programme prévoit entre autres de relever toutes les anomalies de santé dépistées lors des bilans de santé.
Bien que personne en dehors de nos équipes ne se soit jamais intéressé à ces chiffres, nous persistons à vouloir faire ce relevé, car c’est un peu pour nous l’aboutissement et le reflet de l’utilité de notre travail et cela nous a toujours aidé à orienter notre action de promotion de la santé.
Ainsi, l’année scolaire dernière, sur 12.507 bilans de santé de nos services de Wavre et Nivelles, nous avons dépisté 7% d’enfants souffrant d’obésité importante.

Dépistage de l’obésité au cours de l’année scolaire 2002 – 2003

Section

Nombre visites médicales Nombre de cas d’obésité %
Maternelles 2691 45 1,7%
Primaires 4984 298 6%
Rénové 3179 238 8%
Technique 244 35 15%
Professionnel 644 124 20%
Sup. non univ. 484 72 15%
Spécial primaire 281 40 15%
Total 12507 852 7%

Source: PSE libres Nivelles et Wavre

Nous disposons de plusieurs moyens en médecine préventive pour déterminer un excès de poids:
– le type morphologique déterminé par le coup d’œil du médecin scolaire qui donne la première indication;
– les abaques qui calculent pour tous de façon très rapide les courbes de la taille selon l’âge et du poids selon la taille;
– la courbe d’indice de Quételet qui évalue l’évolution de la masse grasse.
Nous employons cette courbe pour les enfants souffrant d’excès de poids de façon à pouvoir comparer les grilles de visites en visites.
Notre attention est accrue lorsqu’en plus de l’excès de poids, l’enfant présente un autre problème de santé: hypertension, diabète…
Pour rappel, nous pesons et mesurons les enfants des écoles environ tous les deux ans depuis l’âge de 3 ans et les dossiers des services PSE suivent l’enfant durant toute sa scolarité même s’il change plusieurs fois d’école, quel qu’en soit le réseau et la région et même le pays, c’est une exigence de notre ministère. Malheureusement, il n’est pas encore prévu que le dossier ONE soit transmis au PSE.

Suivi des conseils

Les conseils que nous donnons aux enfants, le suivi que nous demandons aux parents via la fiche de liaison que nous leur remettons pour transmettre au médecin traitant sont rarement suivis.
La plupart des médecins ou spécialistes sont conscients du problème de leur patient, mais il semble que personne n’ait vraiment envie de s’y investir à long terme.
Voici un exemple de réponse du médecin à notre fiche de liaison: «Enfant pris en charge».
Lorsque nous interrogeons l’enfant sur la manière dont il est pris en charge, on nous répond invariablement: «Le docteur m’a dit de faire attention à ce que je mange!».
Ce genre de prise en charge est en effet souvent considéré comme peu gratifiant.
Le problème est souvent chronique, le traitement de l’obésité nécessite une prise en charge longue, pluridisciplinaire, qui représente une lourde charge financière et un aménagement compliqué de la gestion quotidienne du temps.
Même pour les personnes motivées, il y a peu d’endroits où cette prise en charge est possible, par exemple pour les personnes habitant à la campagne, où dans des villes qui ne prévoient rien pour ce genre de problème: au PSE de Wavre, nous pouvons renseigner «Les Clairs Vallons» à Louvain-La-Neuve, au PSE de Nivelles, nous pouvons renseigner le service «Les Petits Pois» de la clinique de Nivelles, mais pour les régions de Jodoigne, Perwez, Tubize, Braine L’Alleud et Waterloo, il n’existe rien à notre connaissance.
Sans oublier aussi l’agressivité des parents de l’enfant qui se sentent souvent culpabilisés et jugés parce que nous mettons le doigt sur un problème délicat qu’on préférerait souvent ne pas soulever.
Je citerai quelques exemples de remarques que les parents nous font parvenir avant le passage au PSE: «Veuillez ne pas peser mon enfant», «Veuillez ne pas prononcer son poids», «Veuillez ne pas faire de remarques à mon enfant sur son excès de poids », «Obésité familiale, il n’y a rien à faire», «Mon enfant est devenu anorexique après une remarque à la visite médicale», «Mon enfant est bien suivi, il ne se présentera pas à la visite médicale»…

Que pensent les enseignants de ce problème à l’école?

L’avis est presque général: les parents ont peu de temps à consacrer à leurs enfants.
Les deux parents travaillent souvent, beaucoup de familles sont monoparentales, ce qui entraîne souvent faute de temps et d’aide une manière de s’alimenter très rapide: plats achetés préparés, hamburgers, pizzas, frites le soir et, pour le midi, il est plus simple de donner quelques euros pour acheter un sandwich à la mayonnaise que de préparer un pique-nique équilibré.
Les mauvaises habitudes alimentaires sont aussi invoquées: beaucoup d’élèves ne prennent pas de petit déjeuner, et préfèrent sodas et sucreries aux fruits et légumes.
Les enfants se sont habitués à avoir tout tout de suite, ils ne supportent plus les frustrations, ils manquent souvent de maturité, sont aussi surprotégés et les parents leur donnent souvent tous les droits.
La publicité, les médias sont également cités par les enseignants.
Les jeunes sont les cibles rêvées de stratégies de marketing qui ont pour but d’orienter la consommation. On en vient tout naturellement à incriminer la télévision et les jeux vidéo qui rendent les enfants de moins en moins actifs physiquement, de plus en plus passifs intellectuellement et remplacent souvent le dialogue.
C’est en plus le domaine privilégié du grignotage (voir schéma de la pyramide). Les médias ont cet autre travers du culte de la minceur qui renvoie une image inconfortable au jeune souffrant d’excès de poids.
Il ne faut pas non plus passer sous silence le vécu inconfortable de l’enfant gros parmi ses condisciples: victime de moqueries, il est taxé de paresseux, laid, idiot, maladroit et est souvent mis à l’écart.

Comment pouvons-nous intervenir?

L’excès de poids est toujours abordé en médecine préventive par la fiche de liaison avec le médecin traitant.
Lorsqu’une obésité est détectée à l’examen, nous avertissons les parents et joignons au résultat de l’examen une lettre avec talon-réponse adressée au médecin de famille ou à l’endocrinologue si le problème nous semble plus grave.
Pour les parents, nous joignons également des conseils alimentaires et une fiche explicative de la maladie «obésité» ceci afin d’éviter un effet opposé à celui recherché.
En cas d’obésité sévère ou aggravée, nous prenons contact avec les parents. Notre intervention vis-à-vis du jeune lui-même, de ses parents, de l’école s’articule selon 4 axes:

Education à de bonnes habitudes alimentaires

Lors de l’entretien individuel avec l’élève, nous insistons surtout sur l’effet néfaste d’abus de boissons gazeuses et sucrées, des fast-foods, des chips, frites, barres chocolatées, etc. et sur l’importance de boire beaucoup d’eau, de manger plusieurs fruits et légumes chaque jour, de prendre 3 repas complets par jour et un goûter.

Promotion de l’exercice physique

Nous insistons aussi sur l’importance de l’exercice physique: marcher, aller à pied à l’école, faire du vélo, du roller, aller promener le chien, jouer simplement, ne pas être trop «scotché» à la télévision.
Nous avons édité un dossier et des fiches sur le sport, organisé différents concours dans les écoles et participons à des projets d’école qui mettent en valeur l’exercice physique.

Restauration de l’estime de soi

Les enfants sont pris seuls dans le local de l’infirmière dès la 4e primaire.
Les avantages, outre le fait que seul l’enfant prend connaissance de son poids et de sa taille, c’est le contact individuel qui permet un échange éducatif en matière d’alimentation.
Nous essayons de donner une vision positive de la santé, plus qu’obéir aux conseils des adultes, nous essayons que le jeune trouve lui-même son autonomie, qu’il donne lui-même un sens à ses choix, qu’il arrive à se respecter lui-même.
Il n’est nullement question de culpabiliser l’enfant ou de lui donner une image négative de lui-même.
Ce contact est malheureusement bref, l’infirmière a en effet peu de temps pour réaliser cet échange (le ministère prévoit 8 bilans de santé à l’heure) et ne peut se continuer qu’en signalant à l’élève qu’il peut, s’il le souhaite, reprendre contact avec nous ou en envoyant l’élève au PMS.
Mais le malaise de ces enfants se remarque toujours. En effet, les enfants plus gros retardent le moment de la pesée et s’arrangent toujours pour se présenter les derniers à l’examen.
Ce moment du bilan de santé où l’infirmière ou le médecin scolaire aborde le problème de l’excès de poids est souvent vécu par l’élève comme une agression: nous essayons de l’aborder en disant par exemple: «Ton poids te pose-t-il problème?».
Si la réponse est oui, le dialogue est ouvert, si la réponse est non, on peut alors aborder les dangers d’un surpoids sur la santé.
Ce que nous faisions également et que nous avons abandonné, ce sont les examens sélectifs pour cause d’excès de poids.
L’intérêt de cet examen était de vérifier la courbe de poids chaque année pour définir l’aggravation ou l’amélioration, mais nous nous sommes aperçus que cela ne faisait qu’accentuer la souffrance et la marginalisation de ces enfants; nous prenons à présent plus volontiers contact avec les parents.
Il y a aussi les nombreux jeunes qui spontanément en rentrant dans le local demandent de ne pas dire ou de ne pas connaître leur poids, il y a ceux qui racontent la multitude de régimes auxquels ils se sont déjà soumis, ceux qui disent que tout le monde est gros dans la famille, ceux qui demandent des adresses de cliniques ou centres traitant l’obésité.

Promotion de la santé à l’école

Pour essayer d’enrayer cette maladie devenue presque épidémique, diverses actions, grandes ou petites, ont été menées par nos services PSE.
Des exemples: tenue de stands «apéro santé» lors de fancy-fairs, semaines de la santé dans beaucoup d’écoles avec une place importante pour le «dix heures», différents concours avec remises de diplômes des «bonnes collations», des concours sur la réorientation des boutiques scolaires avec l’aide du journal «Vers l’Avenir», des actions «petits déjeuners sains» avec les élèves en plusieurs modules théoriques et pratiques.
Pour les actions auprès des élèves plus jeunes nous invitons les parents et même les grands-parents à participer, nous avons des échanges avec le gérant de la boutique scolaire ou avec le responsable de la cuisine. Il y a aussi des essais de vente de yaourts et fruits frais lors des récréations, des tentatives auprès des pouvoirs organisateurs d’écoles pour multiplier les points d’eau ou aménager des fontaines, le développement du sens critique face aux médias publicitaires dans le domaine de l’alimentation…
Nous avons aussi édité différents dossiers sur l’importance de l’exercice physique et sur la bonne alimentation. Nous avons créé pour le journal scolaire toute une série de tracts santé.
Nous nous formons également à différents outils destinés à améliorer l’estime de soi: le DECE (dispositif d’expression collective des enfants), SANCORRES (santé, corps, respect), Clefs pour l’adolescence… Nous espérons dans l’avenir pouvoir disposer de moyens suffisants pour mettre ces programmes en pratique.

En conclusion

La médecine scolaire n’est résolument pas prête à passer sous silence les constatations d’excès de poids lors du bilan de santé même si nous savons que cette déclaration aux parents ne nous rend pas toujours très populaires.
Elle estime être son devoir de le signaler aux enfants et à leurs parents en s’interrogeant sans cesse sur la manière la plus adéquate de faire passer le message.
Passés le moment de gêne, de mécontentement ou de vexation, une prise de conscience apparaît souvent et porte parfois ses fruits. Nous sommes régulièrement l’élément déclencheur de cette prise de conscience. Notre rôle à ce moment peut être une assistance à la famille pour aménager la mise en route de la prise en charge.
Jacqueline Valange , Assistante sociale, Directrice des PSE libres du Brabant Wallon.
Adresse de l’auteur: PSE libre de Wavre, Montagne d’Aisemont 119, 1300 Wavre.

Ouvrages de référence

«L’enfant et l’obésité», W. Burniat – A. Callens – C. Van Aelst – A. Verstraete, Traces de doigts – Rue des Chartreux, 19 bte35, 1000 Bruxelles
«L’excès de poids ne pèse pas que sur votre esthétique», Fondation Hodie Vivere pour l’étude et la prévention des maladies de civilisation
«A l’école d’une alimentation saine», Coordination Education/Santé, rue de la Rhétorique 19, 1060 Bruxelles
«L’école Ensantée», André Lufin, Croix-Rouge de Belgique
«L’alimentation – document de travail destiné à l’enseignant», CRIOC
«Si manger m’était animé», Service Social Maison Médicale Norman Bethune, rue Piers 68, 1080 Bruxelles
«La santé et le bien-être des jeunes d’âge scolaire – Quoi de neuf depuis 1994? » ULB – PROMES, 2003