Mai 2003 Par M.-A. LEPLAIDEUR Initiatives

Les trois millions de vaccins tout juste disponibles suffiront-ils cette année à juguler l’épidémie de méningite en Afrique? L’incertitude demeure mais les pays riches ne s’en inquiètent guère.
Quand souffle l’harmattan, c’est aussi la saison de la méningite dans les 21 pays qui, du Sénégal à l’Ethiopie, constituent la «ceinture de la méningite» en Afrique. De janvier à avril, chaque année, les malades se comptent par dizaine de milliers, les morts par milliers. Déjà les premiers cas ont fait leur apparition fin janvier au Burkina Faso, un des pays les plus régulièrement touchés.
Cette année, l’incertitude est encore plus grande que d’habitude. Combien de personnes parmi les 300 millions d’habitants de ces pays seront touchées par le méningocoque, la bactérie responsable de cette maladie qui tue dans 10 à 15 % des cas? Et surtout par quelle souche de cette bactérie seront-ils atteints? En effet, l’an dernier près de 15 000 Burkinabé ont été touchés par une nouvelle souche, la W-135, sans doute rapportée de la Mecque par les pèlerins. 1300 personnes en sont mortes. Selon le docteur Francis Varenne, de Médecins sans frontières (MSF), « les raisons de la diffusion rapide de cette nouvelle forme de méningite sont encore inexpliquées et nul ne peut prévoir quels pays elle va atteindre cette année ».
Jusqu’à présent, l’Afrique était essentiellement victime de la souche A contre laquelle existe un vaccin peu coûteux (0,25 €). Contre la W-135, il n’existait jusqu’à présent qu’un vaccin dit tétravalent car il protège contre quatre souches de virus. Seules deux firmes le fabriquent: Aventis, aux Etats-Unis le vend 50 € la dose et GlaxoSmithKline, en Belgique, à 4 €. Ce dernier laboratoire produit 10 millions de doses par an dont 9 millions pré-vendues aux pays arabes où sévit cette forme de méningite. Ce vaccin est d’ailleurs obligatoire pour qui veut se rendre à la Mecque. Le million restant sert à vacciner les touristes européens et les expatriés.

3 millions de doses à 1,12 €

Réunis en septembre 2002 à Ouaga, les experts mondiaux en santé ont lancé un cri d’alarme et insisté sur l’urgence de disposer d’un vaccin à moins d’un euro la dose pour l’Afrique. L’OMS a finalement conclu un arrangement avec Glaxo.
Depuis le 23 janvier, 3 millions de doses d’un vaccin trivalent (trois souches) est prêt. Il a rapidement reçu l’agrément des autorités sanitaires belges. Il coûte 1,12 € avec la seringue. Le Burkina Faso en a déjà demandé 1,5 million de doses. Mais cette demande devra être justifiée car les vaccins ne seront distribués que là où l’épidémie est déclarée. « La rapidité de transmission des informations par les structures sanitaires est donc primordiale dans la gestion de l’épidémie », insiste Graciela Diap , coordinatrice de la Campagne d’accès aux médicaments essentiels de Médecins sans frontières à Genève. Impossible, en effet, de vacciner préventivement toutes les populations à risques. Il n’est même pas sûr que le nombre de vaccins disponibles suffise si les flambées épidémiques touchent d’importantes populations, comme en 1996 au Nigeria (16.000 morts).
L’incertitude est encore plus grande pour les années à venir. Le Groupe international de coordination pour l’approvisionnement de vaccins en vue de lutter contre les épidémies de méningite (GCI), composé de l’OMS, de l’Unicef, de la Croix-Rouge et de MSF, a lancé début novembre un appel de fonds de 10 millions d’euros pour constituer des stocks de vaccins: 20 à 50 millions de doses sont nécessaires pour les cinq prochaines années. Ils n’ont guère été entendus; seuls la Norvège et Monaco ont répondu.

De nouveaux vaccins en 2006

« C’est dramatique , s’insurge Graciela Diap. Cette indifférence des pays riches fait peser un poids terrible sur les pays africains .» Outre les décès,15 à 20 % des personnes touchées par la méningite gardent des séquelles neurologiques: épilepsie, surdité, retard mental… Les vaccins actuellement utilisés ont une efficacité limitée. Ils ne peuvent pas être administrés aux enfants de moins de deux ans. L’immunité qu’ils confèrent est courte: 3 ans en principe, en fait souvent moins de deux. En outre, même vaccinée, une personne peut transmettre la maladie.
Des recherches sur de nouveaux vaccins dits «conjugués» qui protègent tout le monde et plus longtemps ont été menées dans les pays occidentaux. Certains sont déjà utilisés en Grande-Bretagne. Mais les firmes pharmaceutiques ont, en 1999, abandonné les recherches pour les pays africains, marchés peu rentables. Ce n’est qu’en 2001 qu’elles ont repris dans le cadre de l’initiative Path (Programme de développement des technologies novatrices adaptées à la santé), pilotée par l’OMS grâce aux 70 millions d’euros de la fondation Bill et Melinda Gates.
Mais il faudra attendre au moins 2006 pour que ces vaccins conjugués, qui pourraient être administrés dans le cadre des programmes de vaccination élargie, soient prêts. D’ici là…
Marie-Agnès Leplaideur , InfoSud – Syfia

«L’OMC et l’industrie laissent mourir des gens!»

« Dans le Tiers monde, des gens meurent parce que l’industrie pharmaceutique, soutenue par les Etats du Nord, refuse d’autoriser la vente de médicaments génériques bon marché contre la malaria,le sida, etc.»
Spécialiste du commerce international, Muriu Muthoni , d’origine kenyane, travaille à Dakar pour l’ONG britannique Oxfam. « Au sein de l’Organisation mondiale du commerce , dit-elle, les Etats-Unis, l’Union européenne et la Suisse bloquent les négociations sur l’accès aux médicaments génériques, produits à bas prix par le Brésil ou l’Inde. Nous ne demandons pas que tous les médicaments soient bon marché. Nous voulons savoir pourquoi les gouvernements du Nord protègent les intérêts d’une industrie lorsque des vies humaines sont en jeu. Nous aimerions au moins que l’opinion publique de ces pays le sache et pose la question! »
Muriu, l’une des 300 Africaines et Africains présents fin janvier au Forum social mondial de Porto Alegre (Brésil), demande que les thèmes discutés à l’OMC soient rendus transparents: « Ce ne sont pas des secrets d’Etat !». Elle s’emploie à faire circuler l’information dans les parlements et la société civile, au Nord comme au Sud.
Daniel Wermus , InfoSud – Syfia