Octobre 2007 Par Vladimir MARTENS F. PARENT Stratégies

A côté du Programme quinquennal de promotion de la santé, la Communauté française s’est dotée d’un Plan communautaire opérationnel (PCO) (1). Tout en rappelant un ‘fondamental’ de la promotion santé, à savoir l’importance d’une approche globale de la santé, de la prévention, de la médecine préventive, le PCO décline sept problématiques prioritaires. Nous vous proposons de faire le point à leur propos depuis le numéro précédent, au départ de la réflexion du Conseil supérieur de promotion de la santé. Après la politique de vaccination (http://www.educationsante.be/es/article.php?id=919n°224), le dépistage du cancer du sein ( n°225 ) et la tuberculose ( n°226 ), nous abordons aujourd’hui la prévention des IST/sida.

Introduction

En Belgique, on estime actuellement que de 10.000 à 12.000 personnes vivent avec le VIH. En ce qui concerne l’évolution des nouveaux diagnostics enregistrés annuellement, après une baisse observée entre les années 1992 et 1997, on a assisté à une recrudescence de plus de 50 % jusqu’à aujourd’hui (2). En 2005, un pic de 1.072 diagnostics VIH a été enregistré, ce qui équivaut à une moyenne de près de trois contaminations par jour (3). L’augmentation des nouveaux diagnostics observée ces dix dernières années est essentiellement due aux modes de transmission par contacts hétérosexuels et homosexuels. La transmission par injection intraveineuse de drogues est stable.
Comme le montrent les données de l’année 2005, la transmission par voie hétérosexuelle est prédominante parmi les personnes d’origine étrangère et la transmission par voie homo-bisexuelle est prédominante parmi les Belges. Les groupes d’âge les plus touchés sont celui des 30-34 ans chez les hommes et celui des 25-29 ans chez les femmes. A partir de 1996, les diagnostics de sida maladie et la mortalité ont fortement diminué suite à l’apparition des traitements antirétroviraux, pour se stabiliser depuis 1998.
Depuis la fin des années 1990, le réseau des Laboratoires Vigies (4) a enregistré une recrudescence de certaines IST après une diminution régulière. Le nombre d’infections gonococciques a triplé entre 1996 et 2003. Le nombre de cas d’infections à chlamydia a doublé. Par ailleurs, une augmentation des cas de syphilis a également été enregistrée à partir de l’année 2001, après une longue période de faible endémicité. Une augmentation est encore observée entre 2004 et 2005 pour ces trois IST.
Les publics les plus touchés par l’épidémie de VIH présentent des facteurs de vulnérabilité qui sont la plupart du temps cumulatifs: précarité socio-économique, marginalisation/discrimination, mal-être psychologique, manque d’estime de soi, isolement, etc. Certaines vulnérabilités ont également trait aux inégalités de genre.

Le PCO et les stratégies concertées du secteur de la prévention des IST/Sida

Le Plan communautaire opérationnel

Le PCO formule entre autres des objectifs pour chaque thématique. En ce qui concerne la prévention des IST/SIDA, les objectifs peuvent être résumés comme suit:
– réduire l’incidence du VIH et des IST dans les populations prioritaires et vulnérables (migrants/étrangers, personnes homo-/bisexuelles, personnes séropositives, usagers de drogue par injection, personnes prostituées);
– assurer la promotion de dépistages adéquats (favoriser les dispositifs de proximité, tenir compte des freins socio-culturels, augmenter le niveau d’information du public, développer des stratégies de communication adaptées aux différents publics);
– maintenir une faible incidence du VIH dans la population générale, en y maintenant l’information et la communication et en maintenant l’éducation à la vie affective et sexuelle auprès des jeunes.

Les stratégies concertées

Lors des travaux préparatoires à la construction du PCO, un processus participatif de planification avait été mis en œuvre par le service communautaire Sipes (ULB-Promes) en collaboration avec l’Observatoire du sida et des sexualités et l’ensemble des intervenants du secteur. Au-delà de ce travail préparatoire et suite à sa réorganisation en avril 2005, le secteur de la prévention des IST/Sida a souhaité poursuivre de manière autonome le processus et l’ancrer dans la durée en prévoyant des mises à jour régulières, la publication de ce travail de mise à jour et sa diffusion sous la forme d’une brochure.
La finalité du processus a été redéfinie et a pris la forme d’une gestion de cycle de la qualité. Ce processus a été intitulé «Stratégies concertées du secteur de la prévention des IST/Sida en Communauté française». Il se base sur deux sources méthodologiques principales, qui ont été adaptées au contexte: la méthode de planification systémique et participative de Green et Kreuter (5) d’une part et la gestion de cycle de projet (6) d’autre part.
Les étapes de cette gestion de cycle mise en œuvre depuis deux ans peuvent être décrites comme suit:
– réunions régulières du comité de pilotage et d’appui méthodologique (CPAM), organe représentatif du secteur de la prévention, pour décider des grandes orientations du processus et définir la méthodologie liée à chaque étape;
– organisation d’ateliers participatifs selon des étapes successives d’analyse de situation, de définitions d’objectifs, de stratégies et d’indicateurs d’évaluation;
– publication et diffusion des résultats du travail en ateliers sous la forme d’une brochure. Une première brochure a été publiée en avril 2005 et une deuxième l’année suivante à l’occasion de la journée mondiale de lutte contre le Sida (7) (1er décembre 2006).
Les objectifs de la prévention des IST/Sida ont été définis différemment dans les Stratégies concertées par rapport au PCO. L’objectif général est de contribuer à diminuer l’incidence et la prévalence des infections sexuellement transmissibles (IST) et plus particulièrement du VIH, de réduire les vulnérabilités des différents publics cibles, de lutter contre les discriminations envers les publics vulnérables et plus particulièrement les personnes séropositives, et de promouvoir la solidarité.
Les publics cibles identifiés dans les stratégies concertées sont: la population générale, les jeunes, les migrants, les usagers de drogues injecteurs, les hommes qui ont des rapports sexuels avec des hommes et les femmes qui ont des rapports sexuels avec des femmes, les personnes prostituées (féminines et masculines), les personnes séropositives, les femmes enceintes et les femmes séropositives ayant récemment accouché, les détenus et le public festif.
Pour l’ensemble des publics cibles, trois objectifs opérationnels transversaux ont été définis:
– améliorer le recours adéquat et l’accès au dépistage de qualité du VIH et des IST;
– augmenter et/ou améliorer l’utilisation du préservatif lors de la prise de risque;
– contribuer à réduire les discriminations vis-à-vis des publics vulnérables et plus particulièrement des personnes séropositives.
Ces objectifs opérationnels transversaux ont été adaptés de manière spécifique pour chaque public cible. Des objectifs complémentaires ont également été formulés pour ces différents publics, ainsi que les activités qui s’y rapportent.
Trois axes stratégiques ont été définis dans le cadre des stratégies concertées selon les acteurs, services ou milieux de vie concernés par les interventions. Ces axes sont complémentaires et se renforcent mutuellement:
– un axe stratégique centré sur les publics cibles: cet axe consiste à renforcer les connaissances et les capacités des individus et des groupes afin d’améliorer leur bien-être et à réduire la transmission du VIH et des autres IST;
– un axe stratégique centré sur les services, milieux de vie et acteurs spécifiques: il s’agit globalement de faire en sorte que ces milieux de vie et acteurs intègrent davantage la prévention du VIH et des autres IST dans leurs activités;
– un axe stratégique centré sur les services, milieux de vie et acteurs généralistes (ou tous publics): il s’agit globalement de faire en sorte que ces différents milieux de vie intègrent davantage la prévention du VIH et des autres IST mais aussi les spécificités des différents publics cibles pour contribuer à réduire la transmission et les vulnérabilités, en particulier celles qui sont liées à la discrimination.

Les acteurs de la prévention

Afin de répondre à la nécessité d’intervenir sur ces différents axes stratégiques, divers programmes de prévention, de dépistage et de soins sont mis en œuvre par différents organismes. Certains de ces programmes sont financés par la Communauté française. Les principaux opérateurs concernés sont les suivants:
– les organismes de prise en charge: les Centres de référence Sida (UCL Saint-Luc, ULB Saint-Pierre, ULg, CHU Charleroi), qui déploient également d’autres activités (groupes de patients, prévention secondaire…);
– des associations qui mettent en place des programmes parmi des publics ou milieux de vie spécifiques: Siréas (migrants), Espace P (prostitué(e)s), Ex æquo et Magenta (homo-/bisexuel(le)s), Modus Vivendi (usagers de drogues, milieux festifs), SES Huy-Waremme (détenus);
– des associations qui mettent en œuvre des actions au niveau local: Sid’Action Liège, Coordination provinciale Sida assuétudes Namur, Sida-IST Charleroi Mons;
– les associations qui s’adressent à la population générale et en particulier aux jeunes: Plate-forme Prévention Sida, Aide Info Sida et les associations locales;
– l’Observatoire du sida et des sexualités (recherches quantitatives et qualitatives, pilotage de la concertation, soutien scientifique).
Par ailleurs, des organismes non spécifiques ont des projets en lien avec la prévention IST/Sida ou collaborent avec le secteur (services communautaires de promotion de la santé, CLPS, centres de planning familial, etc.).
Le budget était estimé en 2005 à environ deux millions d’euros. Ils se répartissent en programmes de prévention à destination des publics spécifiques (40%) ou de la population générale et des jeunes (24%), en programmes locaux (11%) et en programmes de recueil de données et de recherche (moins de 20%).

Perspectives

Le PCO et les stratégies concertées renvoient à deux démarches différentes. Le PCO est un document administratif et politique. Les Stratégies concertées émanent du terrain. Leur contenu présente des points communs mais aussi des différences. Les Stratégies concertées abordent un plus grand nombre de publics cibles que le PCO. A côté des objectifs d’augmentation du recours au préservatif et au dépistage, elles mettent en avant un objectif de lutte contre les discriminations qui est absent du PCO. Elles explicitent les stratégies à mettre en œuvre de manière plus détaillée et définissent des indicateurs de qualité pour les stratégies et objectifs définis.
Pour le futur, des mises à jour des productions réalisées lors des différentes étapes sont prévues selon des cycles de deux ans. Lors de chaque cycle, les analyses de situation ainsi que les objectifs, stratégies et indicateurs d’évaluation seront réexaminés et actualisés. Les résultats de ces mises à jour seront également publiés et diffusés.
La participation des acteurs aux différentes étapes permet de prendre en compte les réalités de terrain en partant de l’existant. Elle permet aussi l’appropriation par ces acteurs de compétences méthodologiques, la construction d’une vision commune dans les diagnostics et les réponses ainsi que le développement d’une culture de l’évaluation. Pour le nouveau cycle qui débute en septembre 2007, une organisation du secteur en points focaux a été définie afin de renforcer la représentativité et développer la participation des publics cibles à l’ensemble du processus du cycle de gestion de la qualité.

Conclusions

A ce stade, on observe peu de changements dans les activités mises en œuvre sur le terrain et dans la répartition des budgets de prévention IST/Sida ces dernières années, y compris depuis l’entrée en vigueur du PCO.
Néanmoins, la démarche innovante de planification participative actuellement en cours dans le cadre des Stratégies concertées, en tant que processus de gestion de la qualité, devrait mener à une plus grande adéquation entre besoins des publics cibles, activités mises en œuvre et décisions politiques.
Vladimir Martens , Observatoire du sida et des sexualités (Facultés universitaires Saint-Louis) en collaboration avec Florence Parent , Sipes (ULB-Promes) et les acteurs du secteur de la prévention IST/Sida
Adresse de l’auteur: Observatoire du sida et des sexualités, FUSL, Bd du Jardin Botanique 43, 1000 Bruxelles. Tél.: 02 211 79 10. Fax: 02 211 79 04. Courriel: martens@fusl.ac.be
(1) Voir Boucquiau A., Lonfils R., Trefois P., Le Plan communautaire opérationnel de la Communauté française , Education Santé n° 214, août 2006.
(2) Sasse A., Defraye A. et Buziarsist J. Epidémiologie du sida et de l’infection à VIH en Belgique. Situation au 31 décembre 2004. Institut Scientifique de Santé Publique, IPH/EPI Reports N°2005-017, 2005. http://www.iph.fgov.be/epidemio/epifr/aidsfr/aidsanfr/aids04fr.pdf
(3) Sasse A., Defraye A. Le sida en Belgique. Rapport semestriel n°61. Situation au 30 juin 2005. Bruxelles, Institut Scientifique de Santé Publique, 2005.
(4) Ducoffre G., Rapport annuel sur la surveillance des maladies infectieuses par un réseau de laboratoires vigies. Institut Scientifique de Santé Publique, janvier 2004. http://www.iph.fgov.be/Reports.asp?Lang=FR&ReportID;=2729
(5) Green L. W., Kreuter M W. Health Program Planning, An Educational and Ecological Approach. 4th Ed. Mc Graw Hill, 2005. www.lgreen.net
(6) Commission Européenne. Manuel Gestion du Cycle de Projet. EuropeAid, 2001; 44p
(7) Martens V., Parent F. et al. Stratégies concertées du secteur de la prévention des IST/Sida en Communauté française 2006-2008. Bruxelles, Observatoire du Sida et des sexualités (FUSL), novembre 2006.