Décembre 2008 Par B. GOUDET Chantal VANDOORNE S. GRIGNARD Réflexions

Tout le monde le dit, tout le monde le sait… avant de se lancer dans un projet, quel qu’il soit, il faut avoir soigneusement «analysé la situation». Oui mais voilà, tout le monde ne le fait pas. Parce que ça prend du temps, parce qu’on n’a pas d’argent pour ça, et aussi parce que c’est compliqué: entre l’analyse du problème, des besoins, des demandes, des ressources et des services, on ne sait plus trop bien où on va, ni par où il faut commencer… Et au bout du compte, quand de (parfois trop) nombreuses données ont été recueillies, on ne sait plus très bien lesquelles sont pertinentes à retenir pour construire sa stratégie d’intervention, son projet.
Cet article vous propose de clarifier cette notion d’«analyse de situation» et de concrétiser une démarche pour la mettre en œuvre. Il est le fruit d’une longue réflexion menée par l’APES-ULg et PIPSa, dans le cadre de la rédaction d’un guide méthodologique pour constructeurs d’outils (1).
L’analyse de situation est en effet une étape particulièrement importante pour le constructeur d’un outil pédagogique en promotion de la santé: la louper, c’est courir le risque de créer un outil inutile, redondant, inadapté… qui finira sa vie dans un tiroir… ou dans une poubelle!
Or, en rédigeant le chapitre sur l’analyse de situation, nous avons vite été déçues par la rigidité et le caractère peu opérationnel de l’approche classiquement proposée. Nous avons alors tenté un approfondissement de l’analyse de littérature et une réorientation du concept, que nous vous présentons ici avec la collaboration de Bernard Goudet .
Si la réflexion menée à l’origine a pour contexte la construction d’outils pédagogiques, elle n’en reste pas moins valable, moyennant l’une ou l’autre adaptation, pour toute autre analyse de situation.
Le lecteur pourra, par exemple, lire cet article en confrontant les réflexions proposées aux notions de «cadastre» ou «état des lieux» qui, au cours des dernières années, sont devenues des incontournables de la gouvernance. Le schéma de référence plus ou moins explicite de ces outils de gestion repose sur un postulat qui peut être discuté. Le recours aux «cadastres des acteurs ou actions en promotion de la santé/prévention» s’appuie souvent sur l’idée implicite selon laquelle il importe de confronter l’offre existante aux besoins (et parfois aux demandes) afin de mieux définir les priorités, les enjeux de cette confrontation étant d’ailleurs d’autant plus aigus que l’on se trouve dans un contexte de disette budgétaire.

L’approche «classique» et ses limites

Le schéma de base

L’approche classiquement utilisée pour l’analyse de situation en santé publique / promotion de la santé est d’évoquer les «besoins de santé», les «demandes» et les «offres de services». Elle est représentée par un schéma, bien connu, de trois cercles imbriqués (2). Dans ce schéma, la zone centrale, qui représente l’intersection des trois cercles, correspondrait alors à une situation «idéale», dans laquelle une institution offre un service correspondant à un besoin, pour lequel il y a une demande.

Dans cette approche, les besoins sont définis sur base de données objectives, ils sont mis en avant par des experts, étudiés au moyen de l’épidémiologie essentiellement. Ils sont définis en tant qu’écart par rapport à une norme ou un standard, eux-mêmes définis sur base d’études épidémiologiques et rarement sur la perception du bien-être.
Les demandes sont la traduction du désir d’un individu ou d’un groupe par rapport à une amélioration de la santé ou à l’utilisation d’un service. Une demande peut être exprimée ou non.
L’ offre est l’ensemble des services et des soins mis à disposition de la population par les professionnels et les systèmes de soins de santé.

Limites de l’approche «besoins, demandes, offre»

Si cette approche présente des avantages, et notamment celui d’articuler diverses rationalités et légitimités, elle comporte aussi d’importantes limites (3). Les trois types de partenaires dont le point de vue est pris en compte (experts, population, décideurs) sont isolés du contexte général dans lequel ils évoluent: système économique, formes culturelles dominantes, rapports sociaux. On se trouve dans une situation neutre, indépendante du type de société. De telles situations n’existent pas.
La réalité de la société post-moderne actuelle n’est pas celle d’une structure tripolaire idéale où s’équilibreraient rationalité scientifique et technique (experts), rationalité populaire affectuelle (population) et rationalité pratique (décideurs).
C’est une structure sociétale bipolaire qui fonctionne: celle des rapports entre «l’offre» et «la demande». La «demande» des populations n’est jamais indépendante de la manière dont elle se représente le stock et l’accessibilité des réponses disponibles. «L’offre» est structurée par les possibilités économiques et administratives de réalisation des prestations recommandées par les experts. La «demande» ne peut être honorée que dans la mesure où elle concerne une réponse déjà disponible ou facile à construire avec les éléments déjà en place.

Limites de la notion de besoin

Le caractère «objectif» de la notion de besoin n’est qu’apparent (4)
Le «besoin» tel que défini ci-dessus semble une donnée objective, mesurable et quantifiable, donc neutre. Répondre aux «besoins» n’amènerait à privilégier personne mais à assurer à chaque individu, ayant droit à l’aide de la collectivité, ce qui lui est nécessaire pour sa vie, pour sa santé.
Mais la problématique des «besoins» réduit la personne sociale, insérée dans un complexe d’appartenances et de relations de rôles, à un individu abstrait, objet de «besoins». Les besoins de santé sont souvent déterminés par des experts et des administrateurs, ce qui privilégie les données de type quantitatif. Les besoins sociaux des groupes fragiles et dominés sont toujours déterminés, en dernière instance, par les groupes sociaux forts et dominants.
Donc, une analyse de situation qui serait basée sur l’analyse des besoins, des demandes et des offres de santé tenterait de découvrir les besoins de «populations» considérées comme des ensembles homogènes caractérisés par des attributs épidémiologiques; les besoins se définiraient ainsi par les écarts entre les caractéristiques du rapport à la santé de la population et les normes des experts.
Cette approche nous paraît restrictive.
Nuancer les fondements théoriques de la notion de besoin
La notion de besoins «objectifs», qui seraient étudiés de l’extérieur par les experts et les épidémiologistes, est en contradiction avec les fondements théoriques du concept. Pourtois et Desmet (5) évoquent les auteurs qui se trouvent à la source de ce concept puis exposent quelques classifications de besoins bien étayées par la littérature.
Le paradigme de Pourtois et Desmet «s’ancre donc véritablement dans un corpus théorique préexistant» (p. 66). Ces théories ont en commun de placer la notion de besoin au cœur même de l’individu, de sa subjectivité, de son intériorité.
Ils nous disent que «tout individu est caractérisé par un certain nombre de besoins qui expriment sa dépendance à l’égard de son milieu extérieur». Ces besoins sont définis comme «une nécessité vitale présente en tout être humain» (Pourtois et Desmet, p. 60). Ou encore que «le besoin (ou pulsion) naît d’une tension interne de l’organisme qui vise un objet précis et s’épuise dans l’obtention de celui-ci» (Freud, in: Pourtois et Desmet, p. 60). Ou enfin que «le besoin est une manifestation naturelle de sensibilité interne éveillant une tendance à accomplir un acte ou à rechercher une catégorie d’objets» (Piéron, in: Pourtois et Desmet, p. 60).
De nombreux auteurs différencient les besoins physiologiques, psychiques et sociaux. Nuttin (in: Pourtois et Desmet, p. 65) distingue les besoins «cognitifs» (participant d’une recherche d’interactions optimales de l’individu avec son milieu) et les besoins «homéostatiques» (opérant par simple réduction de tension). De toutes ces théories, c’est souvent la «pyramide des besoins» de Maslow (1970, in: Pourtois et Desmet, p. 65) qui est retenue. Cette pyramide va des besoins physiologiques au besoin d’accomplissement en passant par les besoins de sécurité, d’appartenance, et de considération.

(5) maîtrise, développement de son potentiel, satisfaction spirituelle…
(4) respect, confiance en soi, confiance de la part des autres, compétence, autonomie…
(3) amour donné et reçu, relations et communications chaleureuses, acceptation de soi, appartenance à un groupe…
(2) absence de danger physique ou psychologique, stabilité, repères…
(1) respirer, boire, manger, dormir…

Ces théories fondatrices de la notion de «besoin» tentent donc de placer l’individu et sa subjectivité au cœur de l’analyse, ce qui s’oppose fondamentalement à une définition des besoins par les experts et l’épidémiologie.
Il n’en reste pas moins vrai que ces théories se situent toujours à l’intérieur d’une problématique générale empruntée à un «fonctionnalisme» réduisant l’individu à une entité abstraite et isolée de son contexte (6). Cela conduit à des applications aussi normatives que mécanistes niant la complexité des situations humaines, oubliant la contingence et les variations de ces situations et des opportunités qu’elles peuvent ménager, faisant l’impasse sur les contradictions qui habitent chaque sujet, occultant les jeux du manque et du désir.
Malinowski avait déjà souligné l’importance de la «coloration culturelle» des besoins, qui ne pourraient être étudiés en rapport à des normes objectivées et quantifiées une fois pour toutes car la manière dont les individus les satisfont est culturellement marquée (7).

Limites de la notion de demande

L’acception courante du terme «demande» (action de faire connaître à quelqu’un ce qu’on désire obtenir de lui – Petit Robert) se situe en contradiction avec la définition donnée plus haut.
D’une part, la demande est difficilement dissociable du caractère exprimé de celle-ci [ action de faire connaître …]: s’il y a une demande, c’est qu’elle est formulée. Si l’on distingue «besoins objectifs» et «demandes [formulées]», où place-t-on les difficultés vécues par le sujet mais pas nécessairement objectivables ni communiquées à l’extérieur?
D’autre part, la demande est difficilement dissociable de l’offre [… ce qu’on désire obtenir de lui ]: en demandant, on se fait toujours une représentation, une image de l’offre.
L’opposition qui est faite entre les besoins «objectifs» et les demandes «subjectives» nous semble également abusive. Si une demande n’a de sens que si elle est corroborée par un «réel» besoin de santé, où place-t-on les notions subjectives de confort, de bien-être, de qualité de vie…?
Notons que cet obstacle était déjà mis en évidence par Danielle Piette (8), lorsqu’elle souligne que le concept de demande est limité par la perception individuelle: si une demande ne correspond pas à un problème de santé «objectif», celle-ci est considérée comme non prioritaire pour décider d’un projet ou d’une intervention.

Limites de la notion d’offre

L’offre de services à laquelle il est fait référence dans ce schéma tripartite se rapporte à l’offre existante . Un élément fondamental à prendre en compte en matière d’analyse de l’offre de services est précisément l’accessibilité de cette offre. Un service peut être disponible (existant) et pourtant inaccessible (géographiquement, financièrement, ou même culturellement).
Petit exemple… Lors de la conférence de l’UIPES à Vancouver en juin 2007, un haut chef spirituel d’une tribu des îles Salomon est venu expliquer pourquoi une infrastructure de soins de santé (bâtiments, personnel, compétences et matériel), pourtant présente et performante, n’était pas utilisée par la population. C’était parce qu’elle ne s’insérait pas dans les traditions culturelles du groupe: les femmes et les hommes étaient reçus dans le même bâtiment, le réseau d’alimentation en eau potable était souterrain (et donc les villageois passaient par-dessus, ce qui rendait pour eux l’eau impropre à la consommation), les jeunes accouchées étaient renvoyées chez elles peu après la naissance de leur enfant (avant qu’elles soient passées par un nécessaire processus de «désacralisation»), etc.
Le schéma tripartite d’analyse de situation ne prend pas suffisamment en compte cet aspect de l’offre de services.

Une nouvelle façon de voir

Si, dans l’approche dite «classique», la situation «idéale» est représentée par une petite fraction du schéma, nous proposons de ne plus nous limiter à ces situations finalement très rares et difficiles à atteindre (correspondance parfaite entre besoins, demandes et offre). Il est au contraire nécessaire d’analyser ce qui peut être fait quand une demande existe mais n’est pas nécessairement renforcée par l’existence d’un «besoin de santé», quand la définition par un groupe d’individus d’un «besoin» est en contradiction avec l’épidémiologie, etc.
Cette nouvelle approche nous paraît particulièrement adéquate pour la construction d’interventions de proximité (santé communautaire, actions locales…). Appuyée sur les perspectives développées par les «sociologies à acteurs» et plus particulièrement sur les travaux de l’école de Michel Crozier (9), elle replace la situation qui motive l’intervention dans le cadre d’un champ social vivant, habité de stratégies implicites entre les divers partenaires – destinataires, promoteurs, experts, opérateurs, financeurs -, parcouru d’initiatives parfois divergentes appelant d’inévitables négociations.
Elle évite de transformer trop vite en «besoin» ce qui pose problème au demandeur et ce qui dissone avec les normes de l’expert au risque de prendre le symptôme pour le mal et de s’acharner sur l’arbre qui cache la forêt. Elle renvoie chacun à ses propres intérêts et à ses représentations, toujours relatives. Elle s’efforce de restituer au destinataire sa liberté d’acteur.

Une triple perception de la santé

Nous proposons, avec Goudet (10), de ne plus parler d’analyse de besoins mais bien d’étude de la situation selon la méthodologie des « situations-problèmes ».
Cette approche est structurée par les lignes directrices suivantes:
-les acteurs professionnels sont considérés comme faisant partie intégrante de la « situation problème », et donc de l’analyse qui en est faite;
-l’approche est mise en œuvre par des professionnels se situant comme agents de promotion de la santé et de développement social . Cette fonction les conduit au partenariat avec les acteurs institutionnels, au sein de réseaux et en liaison avec les initiatives locales;
-attentifs aux différentes dimensions des situations vécues quotidiennement par les habitants du territoire (les membres de la collectivité), ces professionnels s’efforcent de replacer les éléments de situation qui concernent directement ces habitants dans une approche globale des situations vécues posant problème aux sujets et aux groupes qui y sont impliqués;
– les demandes formulées par les gens eux-mêmes et les difficultés signalées par les professionnels de l’éducation, de la santé ou du social, sont abordées comme langages plus ou moins codés manifestant l’existence de situations qui posent problème à ceux qui les vivent car ils n’arrivent pas à y faire face.
Cette approche distingue dans l’analyse de situation trois modes de perception de la santé, chacun étant important et devant être étudié:
– la santé «diagnostiquée»: le point de vue des experts, la santé «objective», la santé «mesurée»;
– la santé «manifestée» ou «observée»: un problème est «manifesté» par le public final, ou «observé» par des relais… mais n’est pas nécessairement «vécu» comme altérant la qualité de la vie; il s’agit donc de la santé telle que manifestée au travers des modes de vie, des comportements, de la santé intégrée dans une appréhension globale de l’individu;
– la santé «vécue» ou «ressentie»: il s’agit du point de vue du public final sur sa qualité de vie, concept qui élargit la notion de santé.
Pour cerner au mieux la réalité de la situation que l’on espère modifier au moyen d’un outil, d’une action éducative, d’un projet de promotion de la santé… l’analyse de situation devra donc fournir des données renseignant sur ces dimensions et ces trois modes de perception de la santé.
Plusieurs approches pourront aider, l’une n’étant pas exclusive de l’autre:
-la démographie et l’épidémiologie fourniront des données sur la santé diagnostiquée, surtout dans sa dimension organique;
-l’anthropologie culturelle renseignera sur les modes de vie, les coutumes et sur la santé manifestée, en particulier dans ses dimensions psychosociales et culturelles;
-la psychologie abordera la santé vécue, sur sa dimension psychique;
-la sociologie étudiera la santé manifestée, sur sa dimension sociale, sur le rapport entre les individus et leur environnement, leurs conditions de vie…
Lorsque ces données seront réunies, il s’agira de les intégrer dans une approche en termes de «situations-problèmes», c’est-à-dire:
-relever les données « symptômes »;
-chercher à quelles difficultés par rapport à la santé, à l’insertion et au développement renvoient ces symptômes;
-en dégageant les systèmes de ressources et de contraintes des personnes et des groupes ;
-en les mettant en rapport avec les ressources et contraintes diverses que ménage l’environnement et les opportunités qui peuvent y survenir;
-en cherchant des « enjeux ».
La troisième partie de l’article fournit quelques pistes pour concrétiser cette approche.

Quelques repères pour mener une analyse de situation

Nous reprenons ci-dessous de larges extraits du guide méthodologique destiné aux constructeurs d’outils pédagogiques (11). Le contexte est donc particulier et le contenu en dépend fortement. Les grandes lignes sont cependant adaptables à tout autre type de projet de promotion de la santé.

Pour «relever les données symptômes»

Décrire le problème de santé sur le plan épidémiologique et démographique: recueil de données «objectives»
Pour faire quoi?
Mieux cibler votre public final.
Argumenter votre projet et trouver des partenaires et des subsides.
Comment faire?
Vos principales ressources seront ici les revues spécialisées et les organismes chargés de récolter des données (Institut national de statistiques, Banque de données en santé publique, écoles de santé publique, observatoires de la santé…).
Dans le cadre d’outils (de projets) locaux s’adressant à une population bien circonscrite, ne négligez pas les données qui seraient en possession des relais en contact avec le public (CPAS, maisons communales, maisons de quartier, maisons médicales…).
Etudier la santé «manifestée» du public bénéficiaire
Pour faire quoi?
Adapter les messages ou les services aux préoccupations du public.
Nuancer l’analyse de la santé «vécue» du public.
Comment faire?
Ceci s’étudie au travers de ce que le public exprime ou demande, au travers des modes de vie et du rapport entre les individus et leur environnement, mais aussi au travers de la perception des relais en contact proche avec le public.

Pour «analyser à quelles difficultés renvoient ces symptômes»

Etudier la santé «vécue» du public, au travers de ses représentations
Pour faire quoi?
Construire un outil ou un service pertinent par rapport aux représentations des personnes à qui on le propose (l’outil ou le service doit venir s’intégrer dans les représentations existantes sans tout bouleverser).
Favoriser l’acceptabilité de l’outil, de l’action, du service par le public.
Comment faire?
Quelles sont ses croyances, ses connaissances par rapport au problème de santé envisagé dans votre projet? Comment comprend-il, traduit-il ce problème dans son vécu quotidien? Quelle origine et quelle signification lui donne-t-il?
Prendre en compte les spécificités socioculturelles du public .
Pour faire quoi?
Vous assurer que le problème de santé est pertinent, qu’il a du sens pour le public.
Créer des messages et ou des services plus adaptés.
Mieux interpeller le public.
Comment faire?
Les représentations sont largement influencées par le niveau d’instruction, les habitudes sociales, les lieux de vie, l’ethnie, l’opinion politique… Toutes ces caractéristiques coloreront le reste de l’analyse du public. Elles sont néanmoins difficiles à recueillir car elles ne peuvent être perçues que par un contact direct.
Etudier les attitudes et les habitudes du public
Pour faire quoi?
Choisir un support et des procédés psychopédagogiques (ou des infrastructures et des services) qui intéresseront le public et ne provoqueront pas de rejet massif a priori.
Comment faire?
Qu’est-ce qui éveille l’intérêt du public? Quels sont ses loisirs? A quoi joue-t-il?
Ou encore: est-il favorable à la création d’un comité de quartier ou d’un groupe de parole, à la mise en place d’un projet dans l’école, à la mise à disposition d’un nouveau service ou d’une infrastructure… ou toute autre action que vous envisagez dans votre projet?
Mais aussi: comment vous, en tant que réalisateur de l’outil, promoteur du service ou réalisateur des actions, allez-vous être perçu et accueilli au sein du public?

Pour «dégager les systèmes de ressources et de contraintes des personnes et des groupes»

Décrire les ressources (potentialités) et les contraintes (difficultés, incapacités)
Pour faire quoi?
S’appuyer sur les forces existantes.
Ne pas s’engager dans des impasses.
Comment faire?
Observation directe, entretiens… La manière importe finalement peu, l’essentiel étant de réfléchir le recueil de données en termes de potentialités autant qu’en termes de difficultés.

Pour «dégager les systèmes de ressources et de contraintes que ménage l’environnement»

Etudier le caractère acceptable du thème sur le plan politique et sociétal .
Pour faire quoi?
Etre plus convaincant pour les partenaires.
Prévenir des résistances inattendues.
Juger de la pertinence de construire un outil pédagogique (de prévoir un nouveau service, une nouvelle action) sur ce thème.
Comment faire?
Chaque thème en rapport avec la santé a une image spécifique dépendant du contexte culturel, politique et économique dans lequel il s’inscrit. Le caractère «acceptable» ou non de votre outil dépendra bien sûr de grandes recommandations de santé publique (OMS…) mais aussi de priorités financières, de collaborations interministérielles, de valeurs véhiculées par certains thèmes de santé…
Pour estimer le caractère acceptable d’un thème en rapport avec la santé, vous devrez prendre en compte l’image du thème dans les médias et l’opinion publique, les discussions dans les périodiques spécialisés, ainsi que l’engagement politique vis-à-vis du thème (son caractère prioritaire).
Analyser les ressources et les contraintes que l’environnement apporte à la population concernée
Pour faire quoi?
S’appuyer sur les forces existantes, notamment celles que propose l’entourage.
Ne pas s’engager dans des impasses.
Construire un projet réaliste et original.
Comment faire?
Cette analyse doit porter sur les différents domaines de la vie quotidienne: habitat et vie domestique, transports, scolarisation, éducation ou formation professionnelle, emploi, activités culturelles et sociales, santé et soins… Veillez à distinguer les ressources (et les contraintes) informelles (solidarités familiale et de voisinage, réseaux de relation…) et formelles (procurées par des organisations et des institutions sociales, sanitaires, éducatives, etc.).
Cette phase doit également passer par l’analyse des moyens humains et financiers mobilisables, la recherche de partenariats, et l’analyse de ce qui existe déjà en termes d’outils (de services ou d’actions) auprès de votre public ou en rapport avec votre propre idée. Pour cela, rien de tel que le bouche-à-oreille et la consultation… d’Education Santé!

Pour «dégager les enjeux»

Pour faire quoi?
Eviter les résistances et trouver ce qui incitera les divers partenaires à s’impliquer dans l’action.
Comment faire?
L’enjeu, c’est ce qui est à «gagner», les bénéfices que chaque type d’acteurs a conscience de pouvoir tirer du projet, pour la population concernée, pour les partenaires institutionnels, pour les professionnels. Les enjeux apparaîtront au moment de l’analyse globale de l’ensemble des données réunies dans votre description de la «situation-problème».

Il ne vous «reste» plus qu’à colliger toutes ces informations pour décrire et analyser la «situation-problème». Commencez par dégager le(s) problème(s) prioritaire(s) qui se pose(nt) à cette population. Cherchez ensuite les réponses possibles en:
-formulant les enjeux;
-indiquant les opportunités qui peuvent se présenter – événements favorables rythmant l’année ou susceptibles de survenir dans l’actualité, restructurations du champ d’action appelant au changement des pratiques, apparition d’éléments nouveaux concernant le problème posé, etc. – et les moyens d’action possibles;
-examinant les réponses qui semblent pouvoir être apportées aux problèmes prioritaires et en dégageant celle qui paraît la plus opportune (souhaitable et faisable).

En guise de conclusion et de perspective…

Cette déconstruction du modèle classique de l’analyse de situation nous semble rendre une place plus participative à la population bénéficiaire des projets et des actions.
Cependant, le glissement que nous opérons pour remettre l’individu et sa perception «subjective» au cœur de l’analyse de situation, au même titre que la dynamique de son environnement social et d’autres données plus «objectives», va de pair avec une certaine complexification…
En effet, l’individu amène avec lui un état de santé, des connaissances et des expériences, mais aussi, et c’est là que cela peut devenir compliqué, des habitudes, des représentations et des attitudes bien ancrées, qui peuvent s’avérer selon les cas, de puissants obstacles au changement ou de puissants moteurs pour celui-ci.
Sophie Grignard (APES-ULg), Bernard Goudet (consultant, enseignant à l’université de Bordeaux II), Chantal Vandoorne (APES-ULg)

(1) Frérotte M, Spièce C, Grignard S, Vandoorne C. Comment créer un outil pédagogique en santé? Guide méthodologique. Bruxelles: UNMS, 2004.
(2) Piette D. Besoins, demandes et offres de santé publique. Fiche technique n°2. Bruxelles: ULB. 1998.
(3) Goudet B. Méthodologie d’élaboration de projet et d’évaluation en promotion de la santé et développement social [Notes de cours – DU en Santé Communautaire]. Bordeaux: Université Bordeaux 2, 2002.
(4) Goudet B. 2002, op.cit.
(5) Pourtois JP, Desmet H. L’éducation-postmoderne. Paris: Presses Universitaires de France, 3e éd., 2002.
(6) Goudet B. 2002, op. cit.
(7) Malinowski B. Une théorie scientifique de la culture. University of North Carolina Press, 1944.
(8) Piette D. 1998, op. cit.
(9) Le principal ouvrage de référence pour comprendre cette approche reste «L’acteur et le système», publié pour la première fois à Paris aux Editions du Seuil en 1977 et maintes fois réédité depuis.
(10) Goudet B. Eléments de méthodologie de projet en promotion de la santé et en éducation pour la santé. Formation des Médecins de l’Education Nationale (module Education pour la santé). Rennes: ENSP, 2004.
(11) Frérotte M et al. 2004, op. cit.