Juillet 2001 Par Christian DE BOCK Réflexions

Ce qui est bon pour la santé collective l’est-il tout autant pour ma petite santé individuelle? Est-ce réaliste, raisonnable, souhaitable, éthiquement acceptable de traduire les acquis d’une science médicale basée sur les niveaux de preuve en injonctions par rapport aux conduites privées? Le débat, qui ne date pas d’hier, est toujours d’actualité en ce début de troisième millénaire.
Mais la question est-elle bien posée? Assiste-t-on en matière de santé au même phénomène qu’en géopolitique, avec l’irruption d’une forme de droit d’ingérence de la santé publique dans la vie privée? Les enjeux financiers considérables du business de la santé pourraient nous le faire croire, les opérateurs privés ayant en ce domaine une longueur d’avance sur les gestionnaires publics en raffinant leurs méthodes d’objectivation des risques que leur font courir les ‘mauvais’ clients.
La réalité est toutefois plus complexe que cela.
Dans son essai Le crépuscule du devoir (1) , Gilles Lipovetsky , constatant que la revitalisation des valeurs et de l’esprit de responsabilité sont brandis comme l’impératif principal de notre époque, ne croit pas pour autant à un retour de la morale. Notre société postmoderne nous immerge dans une culture inédite qui diffuse davantage les normes du bien-être que les obligations suprêmes de l’idéal. Selon lui, les démocraties ont répudié la rhétorique du devoir austère et intégral, couronnant les droits individuels à l’autonomie, au désir, au bonheur. On serait donc loin du ‘faites ceci’, ‘ne faites pas ça’ que d’aucuns stigmatisent.
Il est vraisemblable que cette vague de fond caractérisée par des engagements et une éthique à la carte se retrouve dans l’approche de certains problèmes de santé publique (voir par exemple les tensions permanentes entre les tenants de la sécurité publique et ceux de la réduction des risques en prévention des toxicomanies). Une culture vivante du dialogue, du débat, pour épuisante et souvent peu rentable qu’elle paraisse nous aidera peut-être à dépasser les antagonismes et à donner un sens nouveau à une démocratie équilibrant devoirs indispensables et droits légitimes…
Christian De Bock , rédacteur en chef de la revue Education Santé et Président du Conseil supérieur de promotion de la santé (1) Gilles Lipovetsky, Le crépuscule du devoir, l’éthique indolore des nouveaux temps démocratiques, 1992, Gallimard. Réédité en 2000, Folio Essais, n°361.