Juillet 2001 Par L. BERGHMANS Réflexions

L’ouvrage de Philippe Lecorps et Jean-Bernard Paturet présente la santé comme n’étant pas maîtrisable de façon mécanique parce que l’être humain est complexe, animé de contradictions et riche de désirs. L’ouvrage revisite avec ironie l’opposition entre l’interventionnisme aliénant et le libre arbitre, source d’épanouissement personnel. Certes, ce questionnement est indispensable pour éviter les dérapages du genre ‘bonheur des gens malgré eux’. Mais il n’est pas spécifique à la santé, me semble-t-il. C’est vrai pour l’éducation, la culture, l’aide sociale, la sécurité, l’organisation politique,…
Deux aspects de ce débat ne sont pas approfondis dans l’ouvrage.
1.La question de la légitimité de la lutte contre les inégalités de santé, dont l’existence en tant que telle est suffisante pour motiver une démarche de santé publique.
2.La coexistence chez chaque individu du raisonné et de l’irraisonné, abondamment décrite dans l’ouvrage, est présentée comme une donnée statique. Or, ce qui est raison et ce qui ne l’est pas, au niveau individuel et collectif est loin d’être immuable dans le temps et dans l’espace. C’est en partie le reflet des conditions historiques et sociales et de vécus individuels dans ces conditions, donc cela peut être objet de travail. La part de raisonnable et d’irraisonnable chez l’être humain n’est pas déterminée une fois pour toutes. Le caractère relatif et évolutif du ‘plaisir du risque’ chez les individus montre que c’est aussi un produit social qui peut donc légitimement interpeller l’organisation sociale.
Par ailleurs, il existe dans l’ouvrage une confusion entre les systèmes d’information sanitaires (indicateurs de santé) et les objectifs de santé. Les uns et les autres poursuivent des buts différents et sont ou devraient être gérés dans des processus différents. A partir des données recueillies dans les systèmes d’information sanitaires (au sein desquels la part prise par les déterminants de santé devient importante), d’autres forces, politiques et sociales, interviennent pour traduire une partie de ces données en objectifs de santé, dans un processus que l’on peut souhaiter le plus démocratique possible. Autrement dit et contrairement à ce que laissent entendre les auteurs, une expertise de qualité (par exemple en information sanitaire) peut servir la démocratie si cette dernière est bien organisée.
On connaît en Communauté Wallonie-Bruxelles un certain nombre de progrès dans la gestion de la santé publique (adoption du décret promotion de la santé, instauration d’un plan de santé,…). On note cependant aussi des faiblesses , qui se rapprochent de celles identifiées par les auteurs de l’ouvrage dans le système français. Notamment la faiblesse des moyens consacrés à la démocratisation des prises de décisions en santé publique (comme par exemple, le manque de soutien aux travaux du Conseil supérieur de promotion de la santé, le déficit de transparence et le manque de moyens pour le suivi des décisions).
Luc Berghmans , Médecin directeur de l’Observatoire de santé du Hainaut