Mars 2005 Par M.-C. VAN BASTELAER Martine BANTUELLE Initiatives

Un public prioritaire

Le vieillissement de la population est une réalité qui touche de nombreux pays industrialisés. Les indicateurs démographiques des pays occidentaux enregistrent un vieillissement des populations lié d’une part à l’allongement de l’espérance de vie et d’autre part à une baisse importante du nombre de naissances.
En Belgique on observe un accroissement de la population des plus de 60 ans (1). De 1960 à 2000 le nombre de personnes de plus de 60 ans est passé de 1 652 000 à 2 235 000. En 2030 on estime que la population des 60 ans et plus sera de plus de 3 000 000, soit environ 30 % de la population générale.
Cette évolution démographique nécessite des adaptations tant au niveau économique que social et sanitaire.
Dans cette perspective, la santé des personnes âgées devient une priorité encore plus importante.
La promotion de la santé est en effet le processus qui permet aux seniors de réaliser leur potentiel de bien-être physique, social et mental et de s’impliquer dans la société selon leurs besoins, leurs souhaits, leurs capacités tout en jouissant d’une protection, d’une sécurité et de soins adaptés lorsqu’ils en ont besoin.
L’OMS utilise l’expression ‘vieillir en restant actif’. L’idée d’un vieillissement actif procède d’une reconnaissance des droits des personnes âgées et des principes d’indépendance, de participation, de dignité, d’assistance et d’épanouissement de soi consacrés par les Nations Unies.

Les priorités de santé chez les personnes âgées

Les principales causes de décès varient avec l’âge.
Au-delà de 65 ans les maladies cardio-vasculaires occupent la première place devant les tumeurs et les maladies de l’appareil respiratoire.
En ce qui concerne la morbidité, les personnes âgées présentent des affections plus particulières à leur âge (glaucome, ostéoporose…) et souffrent davantage de complications de maladies chroniques (diabète…).
Ainsi dans la population des 65 ans et plus, la prévalence de la démence est estimée entre 9 et 10 %.
En ce qui concerne les traumatismes, il y a eu en 1999, selon le système EHLASS, 1116 accidents chez les 65 ans et plus, soit 8% de l’ensemble des traumatismes. Parmi ces accidents, 75 % sont des chutes.
Selon une revue des études randomisées contrôlées(2), chaque année parmi les personnes de plus de 65 ans, 30 à 50 % font une chute.
Les chutes représentent donc une cause importante de mortalité et de morbidité chez la personne âgée.

Les chutes chez les personnes âgées

La définition de la chute retenue dans les études épidémiologiques est la suivante:
‘La chute correspond à l’action de tomber au sol indépendamment de sa volonté’(3).
Pour beaucoup de seniors la chute constitue l’événement déclencheur d’une perte de mobilité et d’autonomie. Si les conséquences physiques d’une chute sont extrêmement variables, l’impact psychologique qui se traduit par une perte de confiance en soi est quasiment systématique. Cette perte de confiance en soi peut parfois accélérer le déclin des capacités fonctionnelles.
Chez les personnes âgées, 20% des chutes donnent lieu à une intervention médicale et 10% d’entre elles occasionnent une fracture (4).
Le taux de récidive dans l’année est également élevé. Une personne sur deux rechute.
Plus de 60% des chutes se produisent au domicile.
Les chutes affectent donc la qualité de vie et sont coûteuses en termes de services de santé.
L’état actuel des connaissances indique que les chutes trouvent leur origine dans une multitude de facteurs de risque.
La chute résulte d’une interaction complexe entre les facteurs de risque liés aux caractéristiques de l’individu, à ses comportements et à son environnement.

Figure 1: les facteurs de risque des chutes (5)

Les interventions de prévention des chutes chez les seniors

Il existe différents types d’intervention en direction des personnes âgées qui peuvent être mis en place dans une perspective de prévention des chutes. On distingue d’une part des interventions de promotion de la santé et de la sécurité, centrées sur la prévention primaire des chutes, qui permettent d’améliorer globalement l’état de santé des seniors, et, d’autre part, des interventions de prévention secondaire des chutes, centrés spécifiquement sur les facteurs de risque.
Afin d’accroître l’efficacité des programmes de prévention des chutes, il est indispensable d’évaluer en premier lieu le risque de chute chez les personnes de 65 ans et plus.
En fonction de leur risque de chute, les seniors seront orientés vers l’intervention appropriée.

Le dépistage des personnes à risque de chute

Un dépistage du risque de chute devrait être effectué, une fois par an, auprès de toute personne âgée de 65 ans et plus.
Le dépistage des personnes à risque se fait en deux étapes. Il ne demande pas plus de dix minutes et peut être effectué par tout intervenant du secteur social, médical ou sanitaire.
Premier étape du dépistage : évaluation de la marche et de l’équilibre.
Muni d’une montre chrono, on demande à la personne âgée de se lever de sa chaise sans prendre appui sur les accoudoirs, de marcher trois mètres, de se tourner et de revenir s’asseoir. Les personnes réalisant ce test en plus de 14 secondes présentent un risque de chute (6).
Deuxième étape du dépistage : évaluation de l’histoire de chute au cours de la dernière année.
‘Etes-vous tombé durant la dernière année ? Combien de fois ?’
Le dépistage permet ainsi d’identifier le risque élevé, modéré ou l’absence de risque de chute chez la personne âgée.
Selon le résultat du dépistage, des recommandations peuvent être faites en terme de stratégies de prévention. Celles-ci vont du programme de prévention multifactoriel, personnalisé ou non, aux interventions communes.
Cependant pour toutes les personnes de plus de 65 ans, il est conseillé de proposer un programme de promotion de la santé et de la sécurité.

Promotion de la santé et de la sécurité chez les personnes de 65 ans et plus

La chute ayant des déterminants multiples et interactifs, liés tant à la personne qu’à son environnement, les interventions proposées à cette population âgée dépistée sans risque majeur de chute, doivent viser la santé globale et s’inscrire dans une démarche de promotion de la santé.
Cette promotion de la santé et de la sécurité peut être assurée par de nombreux intervenants: les professionnels de la santé, les intervenants sociaux et bien d’autres encore et se concrétiser en plusieurs types de stratégies.
Informer, conseiller et orienter
Il s’agit de mettre à la disposition des personnes âgées et de leur entourage des informations scientifiquement validées sur les facteurs de risque de chute, les moyens de prévention et les services de santé aptes à conseiller ou orienter sur cette question.
Certains comportements de santé (7), qui ont un effet bénéfique sur la santé en général et sur la prévention des chutes, peuvent être rappelés, comme par exemple:
-la pratique d’une activité sportive: trente minutes d’activité physique par jour permettent de maintenir sa forme et de prévenir plusieurs pathologies et incapacités fréquentes durant la vieillesse;
-une alimentation équilibrée: la dénutrition et la déshydratation contribuent à un état de faiblesse général et peuvent précipiter la survenue des chutes;
-une faible consommation d’alcool: chez la personne âgée la tolérance à l’alcool est plus faible (8). Par conséquent le seuil fixé est de 1 verre par jour. La consommation abusive d’alcool est associée à un risque accru de traumatismes et de fractures;
-le bon usage des médicaments: l’association entre l’augmentation du risque de chute et le nombre total de médicament a été démontrée. Dans la mesure du possible il faut éviter la polymédication. De plus, les aînés, en raison de problèmes de vision ou de perte de mémoire peuvent se tromper dans la prise de leur médicament. Proposer des outils de gestion ou d’observance comme le pilulier permet la responsabilisation du senior et un suivi par les professionnels de la santé ou l’entourage;
-la sécurité du domicile: conseiller de porter des lunettes appropriées, des chaussures adaptées, tenir la rampe d’escalier, installer un éclairage suffisant, un sol non glissant…
Eduquer et rendre acteur
Il s’agit de développer les aptitudes personnelles des personnes âgées pour qu’elles agissent dans un sens favorable à leur santé et à leur sécurité. Cette démarche éducative passe par l’identification et la prise en compte des représentations, des croyances et des compétences préalables de la population.
Les actions sont mises en œuvre localement et peuvent être réalisées par différents acteurs (professionnels de santé, associations d’usagers, travailleurs sociaux, groupes d’entraide).
Créer des milieux favorables
Cela consiste à agir sur l’environnement physique (domicile, extérieur) (9) et socio-économique des aînés.
Par exemple, une sensibilisation à la question des dangers du domicile peut être réalisée auprès des architectes et des constructeurs afin que les logements construits soient plus adaptés à la situation des personnes âgées.
Une série d’interventions peuvent être réalisées pour limiter les risques de chute en lien avec l’environnement extérieur comme par exemple: éliminer les aspérités sur les trottoirs, signaler les marches ou les dénivelés… Ces modifications nécessitent la participation active des communautés locales.

Les interventions multifactorielles

Les personnes âgées qui ont chuté durant la dernière année et/ou qui ont des troubles de l’équilibre et de la marche présentent un risque accru de chute.
Pour être efficaces, les interventions proposées doivent cibler plusieurs facteurs de risque en parallèle, autrement dit être ‘multifactorielles’.
Dans l’état des connaissances actuelles on a pu mettre en évidence certains facteurs de risque sur les chutes:
-les troubles de l’équilibre et de la marche;
-les pathologies chroniques ou aiguës pouvant engendrer des troubles de l’équilibre, une fragilité osseuse;
-la polymédication;
-les dangers de l’environnement;
-la dénutrition et les carences vitaminiques et calcique;
-l’abus et le mésusage de l’alcool;
-la prise de risque dans les activités quotidiennes.
Les résultats les plus efficaces ont été trouvés pour les interventions qui ciblaient quatre ou cinq de ces facteurs de risque maximum.
On distingue deux types d’interventions multifactorielles selon le degré de risque de chute de la personne âgée.
L’intervention multifactorielle non personnalisée
Elle est recommandée aux personnes à risque modéré de chute.
Elle s’adresse à l’ensemble des personnes âgées admises dans le programme et se propose d’agir sur quelques facteurs de risque sélectionnés parmi les plus importants (voir liste ci-dessus) et non en fonction du profil de risque de chaque participant.
Chaque personne âgée ne présente pas forcément tous les facteurs de risque visés par les stratégies retenues dans le programme.
Par exemple, la création d’ateliers d’équilibre s’inscrit dans le cadre d’une telle intervention.
Il s’agit d’un programme de santé qui cherche à préserver, améliorer et restaurer la fonction d’équilibration et d’autonomie de la personne âgée. Cette prévention repose en particulier sur le maintien d’un bon équilibre postural mais également nutritionnel, psychique et relationnel et sur l’adaptation de l’environnement. De tels ateliers ont été créés entre autres en France, au Canada et donnent d’excellents résultats.
L’intervention multifactorielle personnalisée
Elle est proposée aux personnes à risque élevé de chute.
Cette intervention débute par une évaluation approfondie du risque de chute de chaque personne âgée admise dans le programme.
Les interventions proposées seront ensuite individualisées en fonction du profil de risque de chaque personne.

Les priorités de la Communauté française de Belgique

La Communauté française a retenu comme problématique de santé prioritaire notamment la prévention des traumatismes et la promotion de la sécurité.
Elle souligne que ‘la prévention des chutes constitue un défi majeur compte tenu du vieillissement de la population’ et définit les objectifs suivants: ’développer la capacité des professionnels de santé à évaluer les facteurs de risque de chute chez les personnes âgées, et favoriser la mise en œuvre des mesures de prévention reconnues efficaces’ ainsi qu’intégrer aux pratiques des professionnels concernés des activités préventives, éducatives et de conseil portant sur la prévention des traumatismes’.
Dans ce cadre, le Ministère de la Communauté française finance un programme quinquennal de promotion de la sécurité et de prévention des traumatismes mené par l’asbl Educa-Santé. Elle s’intéresse notamment à la promotion de la santé et de la sécurité des personnes âgées et a planifié une série d’actions auprès des seniors:
-d’une part l’institution a participé au sein d’un groupe de travail francophone à l’élaboration d’un référentiel de bonnes pratiques relatif à la prévention des chutes chez les personnes âgées vivant à domicile. Ce guide paraîtra début 2005 et servira de cadre de référence pour les interventions réalisées par l’asbl;
-d’autre part Educa-Santé poursuivra dans le cadre de son projet les quatre objectifs suivants:
1. intégrer l’identification des facteurs de risque de chute chez les seniors dans la pratique des intervenants;
2. informer la personne âgée sur les risques de chute, les conséquences des chutes sur la santé et les ressources disponibles;
3. intégrer les exercices d’équilibre dans les activités sportives destinées aux seniors;
4. mener une intervention communautaire de promotion de la santé et de la sécurité chez les seniors. Elle intégrera les trois objectifs précédents ainsi qu’une participation communautaire en vue d’améliorer les milieux de vie des personnes âgées. Cette intervention sera évaluée afin d’en dégager les capacités d’extension et de transfert à d’autres lieux.
Martine Bantuelle et Marie-Christine Van Bastelaer , Educa-Santé
Adresse des auteures: Educa-Santé, 1b avenue général Michel, 6000 Charleroi. Internet: http://www.educasante.org .
(1) Compendium de statistiques de la santé 2001, IBES
(2) Gillespie LD and al, ‘Interventions to reduce the incidence of falling in the elderly’, Cochrane library 2000, issue 1
(3) Dargent-Molina,P. et Bréart G., ‘Epidémiologie des chutes et des traumatismes reliés aux chutes chez les personnes âgées’, Revue d’épidémiologie et de Santé Publique, 1995; 43 (1): 72-83
(4) Prévention des chutes chez les personnes âgées, http://www.ssmg.be
(5) Prévention des chutes chez les personnes âgées à domicile, référentiel de bonnes pratiques, INPES, 2005
(6) Bischoff H.A., Stahelin H.B. and al, ‘Identifying a cut-off point for normal mobility: a comparison of the timed up and go test in community-dwelling and institutionalised elderly women’, Age Ageing, 2003; 32(3): 315-320
(7) AGS, BGS et AAOSPFP, ‘Guideline for the prevention of falls in older persons’, Journal of American Geriatric Society, 2001, vol 49: 664-672
(8) O’Connell and al, ‘Alcohol use disorders in elderly people: redefining an age old problem in old age’, BMJ, 2003; 327:664-667
(9) Sattin RW and al, ‘Home environmental hazards and the risk of fall injury events among community-dwelling older persons’Journal of the American Geriatrics society, 1998; 46(6): 669-679