Mai 2003 Par M. KESTEMAN Initiatives

Si la santé est la capacité de s’adapter à ce qui change en nous, dans notre corps et notre vie, selon Ivan Illich, elle n’est pas un état mais un mouvement permanent d’ajustement.
L’état de santé n’est en tout cas pas réduit à l’inventaire des maladies dont on est atteint ou protégé, ni à la capacité sportive mais il renvoie à toutes les dimensions de la vie. Sans alimentation équilibrée, l’obésité ou l’anémie menacent. Sans habitat de qualité, la fragilité augmente. La perte d’un emploi ou l’incapacité à en trouver un entraînent faiblesse de revenus et crise d’identité. Il en va de même de la perte d’êtres proches ou de la rupture des liens familiaux. Vivre dans les stress accumulés ne laisse pas indemne.
Et pourtant, l’être humain se reconnaissant devant l’obstacle, chacune de ces situations peut être l’occasion d’un sursaut de santé, d’une créativité qui permet de revivre, de se réinventer. Manger sain ne coûte pas toujours cher. Rénover l’habitat est possible. Retrouver un travail redonne de la dignité au travailleur, se retrouver dans un collectif de chômeurs permet de retrouver confiance en soi. Etre membre d’un groupe actif, d’un mouvement d’éducation permanente, d’un comité de quartier crée des liens sociaux.
Faut-il s’étonner dès lors que la folie, ce que nous disons être une maladie mentale, peut être une forme de santé, une condition de survie, une capacité de s’adapter au trop plein ou au trop peu d’une vie. Ou que des personnes lourdement handicapées sont en pleine santé parce qu’elles sont bien dans leur tête, bien dans leur vie, et donc bien dans leur corps tel qu’il évolue. On peut vivre avec moins à condition d’être plus. On peut vivre autrement que le voisin ou les parents en vivant sa différence comme une richesse, en particulier dans une ville-région-capitale multicolore. La santé est donc possible à Bruxelles: demandez aux Bruxellois. La promotion de la santé y est nécessaire comme les soins de santé, l’aide sociale et l’intervention de l’entourage.

Visite guidée

La publication d’un Tableau de bord de la Santé par l’Observatoire de la santé de Bruxelles-Capitale répond à une partie de nos questions de mise en contexte et d’inventaire: Bruxelles, au 1er janvier 2000, ce sont 959.318 habitants, 457.852 hommes, 501.466 femmes. Depuis 1966, cette population est en légère augmentation, le taux de natalité étant le plus élevé du pays, la mortalité étant en diminution et les mouvements migratoires liés au statut de capitale étant importants. Globalement en 4 ans, Bruxelles gagne 16.405 habitants et en perd 13.525: le solde est donc positif de 2880 personnes.

Tous inclus?

Mais attention, un certain nombre d’habitants ne sont pas inscrits au registre de population: leur statut spécial les en dispense ou ils habitent de fait à Bruxelles tout en étant domiciliés ailleurs pour raisons fiscales: on parle ici de 40.000 personnes. De nombreux clandestins sont en voie de régularisation.
La distribution géographique n’échappe pas non plus aux Bruxellois: les communes de la première couronne et celles de la troisième couronne n’offrent pas les mêmes conditions de vie et n’ont donc pas le même type de population. La dualité de l’habitat et de l’accès à l’emploi a un impact réel sur les conditions de vie et de santé de ces habitants.
Dans une région ou plus de la moitié de l’emploi est occupé par des navetteurs, le chômage reste particulièrement élevé, surtout parmi les femmes et les jeunes. Conséquence: Bruxelles s’appauvrit par rapport au reste du pays, le revenu moyen étant 8,7 % plus bas que celui du pays même si la tension entre le secteur le plus pauvre et le plus riche de la ville est de 10. Ainsi encore, 3,5 % de la population dépend du minimex ou d’un équivalent comme ayant droit ou comme personne à charge.

On meurt à Bruxelles

Inutile de le cacher: ce qui n’arrive qu’aux autres nous atteint aussi. Les statistiques épidémiologiques nous révèlent que les hommes et les femmes sont inégaux devant la mort: les premiers meurent 1.7 fois plus vite que leurs compagnes, qui décèdent donc plus en maison de repos, même si l’espérance de vie s’allonge pour tous.
Les Bruxellois meurent surtout à l’hôpital. Mais ce sont aussi les habitants de la première couronne qui meurent le plus vite. Les maladies cardio-vasculaires et les cancers sont responsables de plus de 60% des décès; les suicides et les pathologies liées à l’alcool sont la seconde cause de mort prématurée (8%) même si avant 45 ans, il s’agit plutôt de morts violentes. Le poids des accidents, du sida et des décès liés à la drogue est plus important chez les hommes.
1.711 accidents du travail sont mortels ou occasionnent une incapacité permanente. En un an, 242 nouvelles demandes de réparation de maladie professionnelle sont venues s’ajouter aux 1.355 Bruxellois qui bénéficiaient d’une allocation mensuelle.

La santé, ça se perçoit!

L’état de santé subjectif varie en fonction du statut social: la faiblesse du revenu et de l’instruction se répercute sur l’estimation de son état de santé, même si 75 % des Bruxellois s’estiment en bonne santé. La cartographie a du bon: elle incite à soutenir le programme de dépistage du cancer du sein chez les femmes de 50 à 69 ans, à lutter contre les maladies infectieuses: méningite (47 cas en 2000), tuberculose (366 cas en 2000), sida (1.465 cas, 46 % des patients connus). La dépression atteint 8,5 % des Bruxellois et plus de 15 % des plus de 15 ans utilisent des antidépresseurs. La consommation problématique de stimulants et de cannabis est en augmentation et va souvent de pair avec la consommation de tabac, d’alcool et d’autres produits.
11.135 personnes bénéficient d’une allocation de remplacement ou d’intégration en vertu d’un handicap et 3.663 d’une allocation pour l’aide aux personnes âgées.

Visages de la ville: naissants, résidents âgés, acteurs, soignants

13.000 nouveaux Bruxellois naissent chaque année. La mortalité infantile diminue même si le taux de couverture vaccinale est le plus bas du pays. La proportion d’isolés, importante à Bruxelles, augmente avec l’âge et concerne plus de 50 % des plus de 85 ans; 14.000 personnes font appel aux soins infirmiers à domicile, 6.500 à l’aide à domicile et plus de 12.000 résident en maison de repos ou maison de repos et de soins.
Inégalités devant la vie, inégalités devant la maladie, inégalités devant la mort, inégalités devant la facture hospitalière, inégalités de besoins et de moyens. Ces constatations sont comme il y a 100 ans, la raison d’être une mutualité à Bruxelles et d’y pratiquer la pédagogie de la solidarité comme chemin de sécurité sociale, d’accès aux soins de santé et à l’aide à domicile.
Les conseillers mutuellistes dans les centres de service et agences bruxelloises, les assistants sociaux et tous ceux qui exercent d’autres métiers de la mutualité sont là avec les membres des comités locaux pour relever le défi de la santé avec le personnel de la santé et les habitants de leur ville.
Se soigner. Être aux petits soins pour nos proches sans oublier les isolés. Changer les modes de vie et l’équipement. Être acteur de sa santé. Changer la ville pour changer la vie: le défi de ville en santé est déjà relevé.
Michel Kesteman , directeur-adjoint de la mutualité St-Michel, Bruxelles
Article paru dans En Marche (édition de Bruxelles) n° 1271, 20 février 2003