Des questions sans réponse? Encore heureux!
«C’est entre trente et trente et un an que les femmes vivent les dix meilleures années de leur vie» (Sacha Guitry)
Cela fait donc 30 ans qu’est née l’asbl Question Santé. Trente années jalonnées d’interrogations multiples sur les thèmes les plus divers de santé publique, trente années de questionnements éthiques, trente années à éviter les pièges de la communication choc pour injecter un peu d’incertitude dans les messages sanitaires, bref trente années de nuances et de délicatesse.
N’est-il pas temps que cela change, que Question Santé nous donne enfin les réponses que les plus anciens d’entre nous attendent avec angoisse depuis si longtemps au lieu de continuer à nous poser des questions? N’est-il pas temps que l’asbl cesse de jouer les donneuses de leçon déformées par l’esprit délétère de mai 68? N’est-il pas temps que les campagnes médiatiques dont les autorités la chargent soient enfin spectaculaires et efficaces?
Vous ne me croyez pas? Vous voulez des preuves des errements de Question Santé? J’en ai!
En 1983 déjà, ces dangereux activistes affirmaient:
‘Depuis notre création, à Question Santé, nous nous interrogeons sur l’aspect moralisateur et dogmatique de l’éducation sanitaire.
Une nouvelle religion faite de Bien et de Mal: les bons comportements qui vous feront atteindre le paradis de la santé harmonieuse, et les mauvais qui vous précipiteront dans l’enfer de la maladie et de la mort. Point de salut pour ceux qui boivent, fument et ne font pas de gym tonic (rappel, nous sommes en 1984, ndlr l’époque bénie du disco et de Véronique et Davina). Rarement l’éducation à la santé cherche simplement à faire réfléchir, à permettre le choix .’ (1)
Et leurs productions récentes ne montrent aucun progrès, au contraire, ils persévèrent dans l’erreur! Quelques titres: ‘Être bien dans sa tête, une obligation sociale?’, ‘Être chômeur, la belle vie?’, ‘Puisqu’on est jeunes et cons, les prises de risque à l’adolescence’, ‘Maigrir à tout prix, une obsession intemporelle’, ‘Prévention et santé: un peu, beaucoup, pas du tout’. La liste est accablante et se passe de tout commentaire.
Nous en avons assez de ces gens qui tablent sur l’intelligence du public plutôt que sur son ‘temps de cerveau disponible’. De ces promoteurs de santé qui donnent la priorité à l’autonomie individuelle, et à la mobilisation collective. De ces formateurs qui croient aux vertus de l’éducation permanente pour amener les publics à réfléchir en adultes à leurs choix de vie plutôt qu’à manipuler leurs comportements.
Mais que fait donc la police sanitaire? Le moment n’est-il pas enfin venu d’empêcher Question Santé de nuire?
Reprenons nos esprits.
Au fil du temps, Question Santé a su se rendre indispensable au sein de la Fédération Wallonie-Bruxelles en développant une expertise précieuse en matière de communication santé. Cette expertise lui a permis non seulement de déployer ses propres campagnes, mais aussi d’apporter son soutien à nombre d’initiatives du secteur associatif, et d’appuyer les autorités lorsqu’il fallait donner au public une information nuancée sur un sujet d’actualité, en échappant au piège du sensationnel à tout prix.
Comme vous le savez, notre Communauté dispose d’un outil législatif intéressant pour permettre à des messages de promotion de la santé d’atteindre une large audience, en exploitant des moyens de communication de masse, radio et télé, normalement réservés aux annonceurs riches et privés vu leur coût prohibitif.
Je n’ai pas peur d’affirmer que grâce à son expertise construite patiemment, Question Santé a contribué de manière significative à ce que les campagnes ‘santé’ n’aient pas à rougir de la comparaison avec les spots des grands annonceurs commerciaux, tout en faisant entendre et voir une autre manière de concevoir la communication.
Mieux même, l’asbl, en jouant régulièrement le rôle d’interface entre les décideurs politiques et les agences ‘traditionnelles’ de communication, nous a souvent fait éviter le pire en matière de communication institutionnelle.
En choisissant délibérément la voie de la discrétion, Question Santé a sans doute parfois manqué un peu de ‘punch’ dans ses messages, mais elle a témoigné ainsi d’un véritable respect du public, qui mérite qu’on lui ‘vende’ la santé avec d’autres armes que celles qui servent à promouvoir des margarines améliorées ou le traitement de la dysfonction érectile!
À côté de ces travaux mass médiatiques par définition très visibles, impossible de résumer ici 30 ans de réalisations diverses et nombreuses.
Pas question toutefois de passer sous silence l’industrie beaucoup plus discrète de l’asbl en matière d’éducation permanente. Il y a un monde de différence entre un spot télé vu par des centaines de milliers de personnes et un atelier ‘mon attitude face à la vaccination’ suivi par une dizaine de participants dont certains viennent d’abord pour le café et le morceau de tarte. Et bien, dans ce cas-là aussi, Question Santé est fidèle au poste, avec des animateurs compétents, respectueux et enthousiastes, des dossiers solides, des échanges qui permettent aux gens de construire et partager un savoir plutôt que d’acquérir des gestes normés.
Ce travail de terrain, très intense aussi en région bruxelloise (Question Santé bénéficie de longue date d’une reconnaissance de la Commission communautaire française de Bruxelles – Capitale), est il est vrai une excellente école de modestie pour l’équipe. Rien de tel en effet que de confronter les beaux principes théoriques qui nous guident à la réalité des vrais gens dans la vraie vie… Cela nous vaut des atterrissages pas toujours en douceur, mais salutaires.
Souhaitons pour terminer à son directeur Patrick Trefois ainsi qu’à son équipe que les trente prochaines années soient trente nouvelles glorieuses pour Question Santé.
Christian De Bock
Discours prononcé lors de la venue de Patrick Peretti-Watel à Bruxelles à l’occasion du 30e anniversaire de l’asbl Question Santé
(1) Texte de présentation de l’exposition ‘Regards sur l’éducation sanitaire 1856 – 1984’, à l’occasion de l’installation de Question Santé dans ses locaux de la rue du Viaduc à Bruxelles. L’exposition proposait de remarquables photos de Christian Carez au départ de la célèbre collection de cires du Musée Spitzner.