Septembre 2006 Par Véronique JANZYK Initiatives

Quels sont les freins ou les adjuvants que peuvent représenter l’histoire de vie, la culture ou la religion quand il s’agit de prévenir ou de soigner le sida? Le Centre régional du libre examen de Bruxelles et le Service international de recherche, d’éducation et d’action sociale (Siréas) se sont penchés sur la question à l’occasion d’un colloque. Médecins, anthropologues, sociologues, interprètes, psychologues sont venus témoigner.
Le rôle joué par les pratiques religieuses en Afrique ou au sein des communautés africaines en Belgique a été développé. Selon le Dr Gaspard Matumikina , médecin hospitalier à Kinshasa et médecin spécialisé en santé publique, il est bien légitime de se réfugier dans des pratiques religieuses face au sida, maladie qu’on ne peut encore guérir. De plus, l’accès aux soins est limité: « A Kinshasa , 5 % seulement des malades sont traités . Les soins sont payants et le plus souvent il s’agit de traitements qui ne sont plus d’application ailleurs , car ils se sont révélés toxiques ! Le problème de l’approvisionnement se pose également , qui rend la continuité des soins aléatoire
Les pratiques religieuses se développent soit au sein d’églises traditionnelles (catholicisme, protestantisme, islamisme et kimbanguisme), partenaires de l’état dans l’organisation des soins, soit au sein d’églises qualifiées «de réveil». Ces dernières, selon le Dr Matumikina, ne s’inscrivent pas dans une logique de soins: « On y prie pour guérir , certains se voient conseiller de faire des jeûnes à sec . Le phénomène est très inquiétant , puisqu’on recensait environ 100 000 sectes en 2001 à Kinshasa .» Une position tempérée par l’anthropologue Joël Noret (ULB/EHESS Paris): « En disant cela , on risque de sous entendre que de nombreux Kinois sont des imbéciles ! Des personnes peuvent se réfugier au sein de communautés religieuses et y trouver du réconfort
Au sein de l’Eglise chrétienne céleste de Bruxelles où il a mené des recherches, Joël Noret a observé la complémentarité de la prière et des soins. En atteste de manière fort parlante le dépôt de médicaments devant les autels… Chez Emile Noël , psychothérapeute canadien d’origine haïtienne exerçant en Belgique, l’approche est plus critique. La maladie engendre souvent, selon lui, un repli sur soi qui favorise le jeu de la superstition. Il en appelle à une éducation de masse qui permettrait au plus grand nombre de découvrir la résolution de problèmes et de transférer cette approche pragmatique dans la vie quotidienne.

Guérisseurs

Le Dr Moussa Maman , ethnopsychiatre français originaire du Bénin, requiert, lui, l’expérience de guérisseurs au sein de consultations consacrées aux maladies infectieuses, notamment à l’Hôpital Saint-Louis (Paris). « J’ai d’abord été interpellé », explique-t-il, « en constatant que certaines personnes africaines , soignées aux neuroleptiques , ne répondent pas au traitement . En ce qui concerne le sida , nous rencontrons un gros problème d’observance du traitement . D’où la création de ces consultations mixtes . Le malade explique au tradipraticien qu’il ne se sent pas écouté , qu’il ne comprend pas ce que le médecin classique lui raconte , qu’il se sent tout bonnement bien . En retour , les médecins hospitaliers apprennent à dire aux patients qui leur parlent par exemple d’esprit , qu’ils savent qu’en Afrique ça se passe ainsi , mais qu’eux sont médecins français . Nous avons trouvé une belle ressource dans un proverbe de chez nous qui dit qu’une maladie découverte par une personne doit être soignée par cette personne . Le raisonnement , c’est que la maladie sida découverte par la médecine doit être soignée par la médecine . Nous avons , au fil du temps , cerné une des raisons pour lesquelles les personnes reconnaissent difficilement leur maladie . Ils sont une ressource pour les gens restés au pays . Avec le sida , c’est comme si toute la famille était frappée par la menace de la maladie . Il y a donc un déni

Ex-URSS

Les interprètes du Centre Psycho-Médico-Social Exil et du CIRE (Coordination et Initiatives pour Réfugiés et Etrangers) pointent la multiplication des sectes guérisseuses comme phénomène consécutif au démantèlement de l’URSS. « L’accès aux soins était aisé », explique Hazel Mumun (Centre Exil). «La consultation était longue, le médecin assurant en quelque sorte un rôle de psychologue de son patient. Depuis 1991, cet accès aux soins n’existe plus. Du coup, des sectes guérisseuses ont proliféré.»
Quant au travail en Belgique avec des personnes migrantes venant de l’Est, il est marqué par la méfiance à l’égard de tout psychologue ou psychiatre. « On peut comprendre », souligne Hazel Mumun, « quand on sait que ces personnes viennent d’un pays qui pratiquait l’internement psychiatrique Tatiana Pogossian (CIRE) relève de son côté la difficulté de promouvoir le recours au préservatif: « Le préservatif est associé aux relations extraconjugales où il était essentiellement utilisé comme contraceptif . Et de manière globale , il est délicat de parler du sida avec des personnes issues de pays où le sida fut et est encore associé à une conduite antisociale
Véronique Janzyk
Infos auprès de Centre régional du libre examen de Bruxelles (02 535 06 78) ou auprès du Service international de recherche, d’éducation et d’action sociale (Siréas) ( 02 649 99 58).