Août 2005 Par C. MAILLARD Données

La consommation de drogues, essentiellement le cannabis, par des jeunes inquiète et suscite bien des débats, parfois houleux. L’enquête PROMES-ULB sur la santé et le bien-être des jeunes le montre: la consommation régulière de cannabis augmente et les jeunes sont aussi nombreux à être attirés. Bref, on assiste à une banalisation du cannabis, dont la consommation augmente très fortement avec l’âge.
Les jeunes de 17 ans sont 10 fois plus tentés d’essayer que ceux de 13 ans, et 7 fois plus consommateurs réguliers. Ici aussi, comme généralement dans les conduites à risque, les garçons franchissent plus souvent le pas. Enfin, la différence entre le type d’enseignement est aussi clairement marquée pour les consommateurs réguliers (au moins une fois par semaine): 67% de plus dans le technique que dans le général, et 72% de plus dans le professionnel.
Les chiffres de cette enquête montrent surtout le boom entre 1994 et 1998, et la continuité entre 98 et 2002: les jeunes sont plus de 2 fois plus nombreux à fumer régulièrement du cannabis qu’il y a 10 ans… En fin de secondaire, un garçon sur 10 est fumeur quotidien! Heureusement, les jeunes sont un peu moins tentés de prendre leur premier joint aujourd’hui qu’en 1998.
Des constatations qui ne valent pas pour l’ecstasy, qui tente moins les jeunes (de 6% qui ont tenté l’expérience en 1998, on est repassés à 4% en 2002) et « seulement » 1% de consommateurs hebdomadaires.

Pas d’actions musclées

Philippe Bastin , Directeur d’Infor-Drogues, veut voir plus loin que des chiffres et s’inquiète davantage de leur utilisation. « Il est vrai que ce type d’études permet de voir l’évolution des comportements . Par ailleurs , en termes de prévention , ils permettent de connaître les populations sur lesquelles il faut centrer les actions , comme les jeunes de l’enseignement professionnel et technique . Mais j’ai des appréhensions sur les réponses que ces chiffres , présentés comme inquiétants , peuvent entraîner . Très souvent , elles sont pensées en termes de jugement , de sanction , avec des résultats visibles mais pas nécessairement efficaces . Elles donnent ainsi un message politique à un public qui est déjà dépassé , paralysé , impuissant et qui sera rassuré par des mesures policières , sécuritaires , souvent démagogiques et catastrophiques comme des descentes dans les écoles Ces méthodes sont utilisées depuis 30 ans et n’ont jamais rien résolu
Contrairement à ces actions musclées, Philippe Bastin préconise la méthode qui revient de manière récurrente en matière de prévention, certes moins percutante: l’éducation. « Il ne faut pas se contenter d’informer , de produire des affiches , d’imaginer des projets pour mobiliser les jeunes ou les professeurs . Il faut travailler la prévention sur le long terme , à chaque âge des jeunes , les éduquer à ce rapport à la vie qui peut passer par des substances . Il faut intégrer cette réalité que sont les drogues dans la problématique de la consommation au sens large : télévision , alimentation , jeux vidéo et informatiques , mode et les aider à se poser des questions simples comme ‘pourquoi est ce que je consomme ? ‘ Il faut apprendre aux jeunes à être acteurs , en leur apprenant à analyser de manière critique les médias , les habitudes de consommation , etc . Tout en les aidant à développer l’estime d’eux mêmes , leur confiance en eux et les aider à gérer les épreuves . Un message qui n’est pas facile , parce qu’il implique une remise en question tant du milieu scolaire que des parents . On préfère tous des remèdes miracles », poursuit-il.
Lutter contre le « tout, tout de suite » et apprendre à vivre avec des manques, voilà une première piste qui pourrait donner des armes aux jeunes pour ne pas tomber dans des excès.

Du débat citoyen

Philippe Bastin prône l’implication des jeunes dans des débats constructifs autour de sujets de la vie de tous les jours. Et pour ce faire, l’école constitue un excellent terrain d’action, car elle inclut moins l’aspect passionnel (que peuvent apporter les parents, trop impliqués émotionnellement dans leur relation avec leurs enfants) et parce qu’elle fait communiquer de nombreux jeunes qui vivent les mêmes réalités.
«Il faut aider l’école à prendre ses responsabilités, aider les responsables pédagogiques pour que les jeunes puissent débattre de ce type de sujets dans un contexte d’ouverture. Sujets qui, dans l’école, sont souvent sulfureux: les professeurs ne savent pas jusqu’où ils peuvent aller, ce qu’ils peuvent dire. Pourtant la discussion ne sera efficace que si elle est adaptée à l’âge, sans tabous, avec des adultes. Chaque jeune pourrait s’y exprimer et, sur base des discussions, réfléchir en aparté à sa propre situation, ses propres motivations. Est-ce qu’il fume du cannabis parce que son père le lui interdit? parce qu’il veut faire comme les autres? pour se sentir plus sûr de lui?»
Mais cette éducation basique n’appartient-elle pas finalement aux parents? Ne sont-ils pas démissionnaires? « Les parents ne savent plus quoi dire . Ils ont de plus en plus de choses à gérer et la famille est de plus en plus soumise aux pressions de tous ordres : l’avenir des enfants , leur épanouissement , les soucis du travail , le stress de la performance exigée dans tous les domaines , le bien être matériel , les soucis financiers , etc . Il n’est pas facile de s’adresser aux parents et d’organiser des programmes de conscientisation à leur attention . Par contre , il est plus facile d’intégrer ces programmes dans l’école , puisque les jeunes la fréquentent . En plus , une partie de la mission d’enseignant est d’éduquer , même si certains sont réticents à cette idée
Philippe Bastin plaide donc pour une école ouverte aux questionnements des jeunes et pour qu’elle laisse une place au dialogue, en instaurant dans les grilles horaires un cours récurrent pour traiter des questions de société, dont la drogue.

Réduction des risques

Le discours qui peut avoir un impact sur les jeunes est celui qui les implique dans leur vie quotidienne: « Dire que boire de l’alcool , fumer ou prendre de la drogue n’est pas bon pour la santé , ça ne leur parle pas . Par contre , si vous les amenez à réfléchir sur les conséquences directes de cette prise de substances , vous avez plus de chances de les intéresser : relations sexuelles non protégées lorsque l’on est sous influence , avec le risque de contracter le virus du sida ou de subir une grossesse non désirée , par exemple ; le viol et les relations non désirées ; le handicap après un accident de voiture ; la diminution des performances scolaires ou sportives Cela va plus les intéresser car ces questions touchent à leur quotidien et qu’ils peuvent en mesurer immédiatement l’impact . Cette méthode est particulièrement à recommander pour les jeunes de l’enseignement professionnel et technique , qui vivent pour un certain nombre dans un milieu plus dur dont il faut tenir compte parce qu’il les expose davantage aux risques . Parallèlement à un travail axé sur l’éducation et la promotion de la santé , il faut aussi développer un travail plus axé sur la réduction des risques , adapté aux jeunes que l’on a en face de soi », conclut-il.
Ce dialogue constructif nécessite bien entendu une formation spécifique des éducateurs, donc des moyens. Ainsi qu’une adaptation des grilles horaires, pour un travail qui pourrait éventuellement payer dans plusieurs années.
Carine Maillard
Référence: D. Piette, F. Parent, Y. Coppieters, D. Favresse, C. Bazelmans, L. Kohn, P. de Smet, La santé et le bien-être des jeunes d’âge scolaire. Quoi de neuf depuis 1994?, ULB PROMES, décembre 2003. Le document est accessible sur le site http://www.ulb.ac.be/esp/promes .