Faire la somme des vulnérabilités environnementales pour orienter l’action publique. Une recherche-action comble en partie un manque de données sur les inégalités environnementales, en investiguant notamment le sujet du stress thermique. Extraits
Durant l’année 2024, le Centre d’écologie urbaine et le Centre de recherche de Bruxelles sur les inégalités sociales (Crebis) ont mené une recherche-action pour mieux comprendre les vulnérabilités climatiques des personnes sensibles mais aussi hyper-précaires identifiées à Bruxelles en détaillant leurs expositions, leurs sensibilités et leurs capacités d’adaptation face aux aléas liés au changement climatique. La première étape de cette recherche s’est déroulée avec des travailleurs de terrain du secteur social-santé.
La vulnérabilité à un aléa climatique peut être définie comme la combinaison de trois éléments : l’exposition, la sensibilité et la capacité d’adaptation[1], et schématisée comme la formule mathématique suivante :
Vulnérabilité = exposition + sensibilité – capacité d’adaptation.
L’exposition aux aléas climatiques correspond à la nature et à l’intensité avec lesquelles une personne est confrontée à ces aléas sur une période donnée. Plus l’exposition est importante, plus la vulnérabilité augmente. Cette recherche nous invite à élargir cette notion à d’autres types d’aléas : les personnes étudiées dans ce rapport sont, en effet, confrontées à une série de situations socio-économiques et socio-politiques défavorables, sur lesquelles nous reviendrons.
La sensibilité aux aléas climatiques désigne le degré auquel une personne est affectée, positivement ou négativement, par la survenue d’un aléa climatique et les manifestations précises de l’aléa sur les personnes concernées. Cette sensibilité peut résulter de facteurs intrinsèques (par exemple le fait, pour une personne âgée, de moins bien supporter les chaleurs nocturnes) et être amplifiée par une situation socio-économique précaire, qui accroît les comorbidités. Plus la sensibilité est élevée, plus la vulnérabilité est renforcée.
La capacité d’adaptation est la capacité d’ajustement de la personne (ou du réseau de personnes sur lequel elle peut s’appuyer) afin d’atténuer les effets, d’exploiter les opportunités et de manière plus générale de faire face aux conséquences des aléas climatiques. Ici aussi, il existe une corrélation négative entre capacité d’adaptation et précarité socio-économique. Plus la capacité d’adaptation est importante, plus la vulnérabilité de l’élément exposé est faible.
En milieu urbain, le stress thermique va s’accentuer dans les prochaines années. Ce terme désigne à la fois :
- les vagues de chaleur (ou canicules) – une période d’au moins cinq jours consécutifs durant laquelle la température maximale atteint ou dépasse 25 °C chaque jour, avec au moins trois jours où cette température maximale atteint ou dépasse 30 °C ;
- les îlots de chaleur qui désignent la différence de température entre les centres urbains et leur environnement rural et qui peuvent être mortels (IRM, 2020).
D’ici 2100, à trajectoire climatique inchangée, le centre-ville de Bruxelles pourrait voir le nombre de vagues de chaleur tripler, leur intensité doubler et leur durée augmenter de 50 % (IRM, 2020). L’indicateur utilisé massivement à Bruxelles pour figurer le stress thermique est l’indice de température à globe humide (TGH) qui prend en compte la température, l’humidité et le rayonnement solaire. Cet indice entend indiquer la « température ressentie »[2]. A Bruxelles, il a été extrapolé sur la base d’une journée typique estivale à la station uccloise – le 24 août 2016. Les paramètres ont été reconstruits puis appliqués sur le reste de la région[3].
Certaines populations vulnérables sont particulièrement exposées au stress thermique.
Les seniors
Leur sensibilité biologique face au stress thermique et à la pollution atmosphérique est aggravée par des politiques publiques insuffisantes. Les chercheurs estiment à 9.000 le nombre de seniors bruxellois·es incapables d’adapter leur logement aux vagues de chaleur.
Les enfants en bas âge
Particulièrement sensibles à la pollution de l’air et au stress thermique. L’étude rappelle que la totalité des bâtiments scolaires bruxellois dépassent les normes de pollution atmosphérique recommandées par l’OMS et que moins de 10% des écoles maternelles et primaires bruxelloises sont dotées d’une rue scolaire.
Les personnes vivant dans l’espace public
Les personnes sans-abri et les personnes migrantes sont constamment exposés aux conditions environnementales hostiles. Les dispositifs d’aide lors des vagues de chaleur restent moins développés que ceux pour les grands froids. Les professionnels de terrain souhaitent dépasser l’approche saisonnière.
Les personnes vivant dans des logements indignes (logements interdits à la location, insalubres, squats)
Elles cumulent exposition à la chaleur, mauvaise isolation et pollution de l’air intérieur. Il y a un lien très clair entre précarité socio-économique et incapacité à maintenir un logement frais en été.
Ces populations sont intrinsèquement vulnérables au changement climatique mais sont aussi et surtout “vulnérabilisées” notamment par des choix politiques externes. Le rapport souligne la nécessité d’investir dans des mesures d’adaptation ciblées, comme l’amélioration des infrastructures d’accueil face à la chaleur et un accès plus équitable aux espaces verts. Les chercheurs recommandent également d’inclure les populations concernées dans les futures recherches collaboratives, afin d’approfondir la compréhension de ces vulnérabilités et de concevoir des politiques publiques plus efficaces.
Le rapport complet : De Muynck, S., Bottero, M., Ragot, A., Lelubre, M. 2025. Les vulnérabilités des personnes hyper précaires et/ou sensibles aux aléas climatiques à Bruxelles : premier état des lieux. Rapport pour la COCOM. Bruxelles. Mars 2025.
Références
[1] Ademe, 2011 ; Dequincey & Thomas, 2017 ; Beccera & Peltier, 2009 ; Leone et al. 2010 ; Przydrozny et al. 2010 ; Morard, 2011
[2] Initialement, l’indice permet de sonder les risques de coups de chaleur chez les travailleurs ou les personnes ayant une activité physique mais il est généralement utilisé pour tous les types de publics.
[3] De Ridder, K., Lauwaet, D., & Maiheu, B., 2015. “UrbClim « A fast urban boundary layer climate model » Urban Climate, 12, 21–48.