Janvier 2025 Par Clotilde de GASTINES Initiatives

« Royal Popo », « Harry POTter et la chambre des WC », « Des filles, des toilettes, des serviettes ! ». Décliné sous autant d’appellations que d’établissements scolaires, le projet «  Ne tournons pas autour du pot » a permis d’aider plus de 400 écoles à améliorer l’accès aux sanitaires. Toutefois, un tabou persiste sur la question de la mixité.

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Le 19 novembre dernier le fonds BYX, hébergé par la Fondation Roi Baudouin, fêtait les dix ans du programme de promotion de la santé à l’école « Ne tournons pas autour du pot ». « La période COVID a permis de refaire un focus sur l’hygiène des mains, et depuis le lancement du programme, de nouvelles questions ont émergé autour de la mixité et du genre » précise Michel Devriese, le président du fonds BYX.

Le symposium au titre provocateur : « Les toilettes à l’école, toujours un tabou 10 ans après ? » a été l’occasion de présenter une étude interrogeant l’opportunité d’introduire la mixité dans l’usage des espaces sanitaires. La mixité partielle pourrait-elle améliorer l’accès aux sanitaires et le bien-être des élèves ? La question a d’office provoqué une levée de boucliers dans certains établissements.

En 10 ans, 400 établissements scolaires ont déjà bénéficié d’une enveloppe d’un montant de 5000€ pour améliorer leurs installations sanitaires en mettant en place une méthodologie participative impliquant tous les acteurs de l’école, les élèves, leurs parents, les encadrants et la médecine scolaire. « Une réussite, d’autant qu’avant le démarrage du projet en 2015, certains enseignants nous disaient : « les toilettes à l’école ? N’en parlez pas c’est un problème sans solution ! » » s’amuse-t-il, rappelant que l’arrêté royal qui fixe la norme des installations sanitaires et impose la distinction entre les sexes, n’a pas bougé depuis 1957.

L’arrêté royal de 1957 fixe les règles des installations sanitaires en milieu scolaire :

  • au moins un W.C. par vingt filles ou trente garçons et un urinoir par vingt garçons 
  • les installations d’aisance sans chasse d’eau doivent être situées à dix mètres au moins de tout local de classe 
  • des installations sanitaires distinctes sont réservées pour chaque sexe 
  • les W.C. et les urinoirs doivent être à l’abri des intempéries.

Si la mixité est souvent la norme dans les écoles maternelles, elle est plus rare en primaire et secondaire. A St Ghislain, le Lycée provincial d’enseignement technique du Hainaut (LPETH) dispose de sanitaires mixtes à chaque étage, contrairement aux blocs de WC de la cour de récréation. « La mixité n’a jamais eu l’air de poser problème, déclare une enseignante dans l’article Vers un « petit coin » de paradis. À vrai dire, cela nous a toujours semblé normal ».

Les toilettes non-genrées : un sujet brûlant

Pour cerner la question du genre et de l’intérêt ou non d’introduire la mixité dans les sanitaires scolaires, le Fonds BYX a commandé une étude à Marie Gay et Claire Scodellaro. Elles ont mené une enquête en ligne auprès de 2893 répondants sur la mixité de genre avec l’aide de Question Santé, partenaire du projet.

Sur les 579 établissements répondants – quatre se sont mobilisés contre cette idée de mixité et ont encouragé les élèves et leur entourage à répondre massivement.

Il en résulte que la séparation Fille/Garçon reste la norme dans les écoles dans deux établissements sur trois. La mixité plus fréquente dans le réseau libre subventionné non confessionnel et dans les écoles de petite taille. 

  • 61% des répondants sont opposés à la mixité 
  • 18% sont favorables sous condition 
  • 11% favorables sans condition 
  • 10% sont indifférents ou ne souhaitent pas répondre.

Les parents d’élèves sont les plus farouches opposants (72%), suivi des élèves (65%) et des directions (42%). En revanche 46% des directeurs ou directrices sont favorables à la mixité.

Parmi les répondants, 212 jeunes du secondaire s’identifiaient comme LGBTQIA+, ce qui a permis de mieux cerner leurs besoins et leurs difficultés. Lorsqu’ils et elles transgressent la règle de la séparation fille/garçon, ils et elles sont plus souvent rappelées à l’ordre par rapport aux autres élèves.

Des entretiens qualitatifs ont permis d’affiner et de pondérer les résultats. Les chercheuses précisent que certain.es répondant.es niaient farouchement l’existence de la transidentité et de la non-binarité, ce qui n’a pas permis le dialogue.

Les préjugés en opposition à la mixité reposent sur de nombreuses peurs

Les toilettes mixtes seraient :

  • un lieu propice aux rencontres « intimes » entre élèves voire aux relations/agressions sexuelles
  • refusé par les filles, car cela signifierait la fin de « leur refuge » 
  • source de manque d’intimité entre élèves
  • incompatible avec certaines religions et cultures
  • un évitement accru des filles par manque de protection 
  • une altération du niveau de propreté

Les avis en faveur de la mixité sont :

  • elle facilite l’accès car elle réduit l’attente, rapproche les toilettes de la salle de cours en cas de manque d’infrastructures
  • elle améliore le respect des lieux d’autant plus si le personnel enseignant va également dans ses toilettes en alliant donc mixité garçon-fille-non-binaire – et mixité élève-adulte
  • elle est un facteur de cohésion et d’égalité elle améliore largement le bien-être des minorités de genre et réduit les violences, mais pour cela « l’école doit d’abord avoir un climat préalable propice et engager une réflexion sur l’accès aux toilettes », précisent les chercheuses.

Le triplé perdant

Au-delà même de la question de la mixité, les toilettes souffrent toujours de trois problèmes structurels selon une enquête menée en France par Pascale Garnier du Laboratoire Experice et Gladys Chicharro Saito, maîtresse de conférences à l’université Paris 8.

  • un problème d’accès lié au fait qu’il n’y a pas assez de toilettes, ni assez de lavabos et trop de restriction horaire dans l’accès aux lieux, à du papier toilettes, etc.
  • un problème de fonctionnalité. Les portes ne ferment pas, les cloisons sont trop basses et ils laissent passer les sons, et surtout les regards par-dessus ou par-dessous.
  • un problème de confort lié à l’absence de lunettes de toilettes, de porte-manteau, de poubelle et de miroir.

Ce cumul de dysfonctionnements génère certains « conditionnements », décrivent-elles au cours de leur présentation intitulée « Les toilettes, lieu de socialisation des élèves ». 

  • la rétention est souvent la règle. « A l’école, je ne fais pas pipi et je ne bois pas pour ne pas avoir envie d’aller aux toilettes et surtout je ne fais pas caca ».
  • l’urinoir « fait genre ». L’école maternelle est le lieu où les petits garçons apprennent à faire pipi debout. Celui qui va aux toilettes en position assise peut s’entendre dire « tu vas sur les toilettes des filles ? ».

Des sociabilités électives genrées

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L’accès restreint aux toilettes répond le plus souvent à un besoin de contrôle des adultes pour éviter l’usage inapproprié des lieux.

L’étude de Gladys Chicharro Saito montre que les jeunes garçons en font un lieu de performance sportive ou de spectacle. « En primaire, c’est une zone d’autonomie temporaire à l’abri du regard des adultes, on peut y jouer manger des bonbons, regarder son portable, fumer c’est un lieu aussi pour s’isoler pour ne pas être vu en cours de récréation tout seul ou un refuge ». En secondaire, la chercheuse constate que l’usage évolue. A l’âge du lycée (l’équivalent des niveaux secondaire pour les 15-18 ans), les garçons vont peu aux toilettes ou en tous les cas ne s’y retrouve pas à plusieurs, « de peur qu’on les taxe d’homosexualité ». Ce qui interroge sur les discriminations subies par les jeunes s’identifiant comme minorité de genre et le climat scolaire.

Pour les filles, les toilettes sont un lieu d’intimité collective. « Les filles trouvent un refuge pour jouer, pour se parler, c’est l’âge des règles – des interrogations sur comment les gérer, masquer un incident, se dépanner en protection hygiénique – tenir la porte en cas d’absence de verrous. C’est un espace de sororité, un “safe space” ».

Rétention et conditionnement des filles

« Seuls 60% des élèves se rendent aux toilettes lorsqu’ils en ont besoin », regrette Vincent Dessart, conseiller de la cellule école inclusive spécialisé sur le bien-être qui représentait la Ministre de l’Education et de l’Enseignement de promotion sociale Valérie Glatigny. Avant de préciser que la priorité de la Fédération Wallonie-Bruxelles en matière de bien-être et d’égalité était de « faire de chaque espace dans l’école un lieu hospitalier », notamment en réfléchissant « autour de l’intimité, la sécurité et l’inclusion ». Pour le moment la Fédération Wallonie Bruxelles recommande la mixité mais ne l’impose pas.

Les problématiques de santé physique sur le fait de se retenir à l’école, sont assez peu documentées par la littérature scientifique, précise la Dre Lise Maskens, médecin scolaire à Jodoigne. Elles concernent plutôt les filles pour qui « la rétention augmente la capacité vésicale, mais aussi le risque de résidu et donc d’infection urinaire. Les conséquences ne sont pas forcément immédiates mais cela peut avoir un impact sur les futures mères au moment des grossesses, de plus ça provoque une sorte de conditionnement chez les petites filles ».

Le témoignage de Coraline Duwelz, une élève de secondaire porte-parole du comité des élèves francophones vient étayer la problématique psychosociale : « c’est choquant de se dire que pour un simple accès à un besoin humain, on fait face à des obstacles. C’est pas sain, c’est pas propre, c’est pas agréable, on manque de tout. Hors des récréations, les profs doivent nous donner une clé pour qu’on puisse accéder aux toilettes, parfois on subit des remarques sexistes, des regards malaisants alors à la fin on n’ose plus demander  ».

Son incompréhension fait réagir Marie Noël, la représentante du délégué aux droits de l’enfant : « est-ce qu’on accepterait qu’on nous impose ce type de condition en tant qu’adulte ? L’enfant a des droits, notamment le droit à la santé et à participer aux règles de la vie de l’école ».

Références :

  • Retrouvez le détail des projets sur une page dédiée baptisée Echos d’écoles qui relate l’actualité des projets « Ne Tournons pas autour du pot »