Mai 2003 Par N. MARECHAL Stratégies

La Communauté française se dote d’un arsenal réglementaire et de moyens nouveaux pour mieux prévenir les cancers du sein et du col de l’utérus, les maladies cardio-vasculaires, la tuberculose, le sida et le diabète gras.
Chaque année, dans notre pays, on décèle un cancer du sein chez 6000 femmes. Chaque année, 2500 femmes en meurent.
Pratiquement, un décès sur trois est dû à une maladie cardio-vasculaire.

Un cadre pour la médecine préventive

La pratique quotidienne montre que le cadre législatif est actuellement insuffisant pour prendre en compte de façon harmonieuse et pertinente tant la prévention que la promotion de la santé. En effet, si les matières peuvent être proches, les approches s’appuient sur des logiques différentes bien que complémentaires, la promotion de la santé étant axée sur la recherche du bien-être et donc sur le renforcement des déterminants positifs de la santé.
Si depuis 1997, la promotion de la santé bénéficie d’un cadre décrétal qui définit le concept, organise ses modalités sur le plan programmatique (programme quinquennal) et sur l’agrément de structures pour son développement (centres locaux de promotion de la santé), et de services d’appui méthodologique (services communautaires) et le financement de programmes d’action et de recherche, la prévention médicale reste le fait de dispositifs épars, segmentés, non finalisés par une politique coordonnée.
Un certain nombre de matières de médecine préventive font l’objet de subventions sur une base facultative: c’est le cas pour la tuberculose (seule à être réglementée), le dépistage du cancer, la vaccination, le dépistage des maladies métaboliques.
Le souci de renforcer la cohérence des diverses matières de santé a présidé à la réforme de l’inspection médicale scolaire vers la promotion de la santé à l’école, et du contrôle médico-sportif vers la promotion de la santé dans le sport.
La récente expérience du démarrage d’un programme concerté de dépistage du cancer du sein montre bien la nécessité de disposer d’un cadre législatif pour soutenir ce mode d’organisation, afin de mettre en place une politique de prévention qui d’une part articule les différents programmes de prévention (actuels et prévisibles) et d’autre part, permet leur synergie avec les démarches d’éducation et de promotion de la santé toujours aussi nécessaires.
En effet, un consensus se dégage progressivement dans la communauté scientifique pour s’accorder sur la pertinence de certaines démarches de prévention et en confirmer le bénéfice pour la santé et la qualité de vie de la population.

Un plan d’action

L’option est de décliner en quelques années un plan organisé de lutte contre les causes de décès les plus importantes comme le cancer et les maladies cardio-vasculaires et des affections pour lesquelles la prévention et le dépistage ont montré leur efficacité.
Ce plan va concerner progressivement:
Le cancer du sein . C’est le plus fréquent chez la femme (près de 6000 nouveaux cas et de 2500 décès sont enregistrés chaque année en Belgique). Actuellement, seulement 30% des femmes de 50 à 69 ans se font dépister régulièrement. L’objectif à atteindre est une participation importante de la population, à hauteur de 60 – 70%, ce qui permettra de diminuer de 30% la mortalité. Ceci impose une sensibilisation de plusieurs années.
Ce programme est développé en Communauté française depuis 2001 et des invitations sont adressées aux femmes entre 50 et 69 ans pour un mammotest gratuit tous les deux ans depuis août 2002. Une première évaluation pourra donc intervenir fin de cette année en termes de dépistage, de participation, de résultats positifs. Ces deux années auront aussi permis d’évaluer les capacités de la Communauté française à mettre en place ce type de programme et de faire clairement apparaître la nécessité d’un cadre législatif qui permet de retenir un programme et son protocole, d’agréer les centres de référence nécessaires au pilotage et les acteurs nécessaires à la réalisation.
Le cancer du col de l’utérus . Il vient en cinquième place des cancers de la femme. Son incidence est de 15 pour 100.000 et la mortalité de 5 pour 100.000. Son dépistage par frottis est à la fois relativement aisé et très pertinent et efficace. Il doit être réalisé tous les trois ans. La population cible est constituée des femmes de 25 à 64 ans. Les taux de couverture sont inégaux suivant les catégories sociales et les tranches d’âge. Pour certaines tranches d’âges et notamment en situation urbaine, les taux de couverture du frottis de dépistage sont même sensiblement trop élevés!
Les maladies cardio-vasculaires . Elles sont une des premières causes de décès: 30% de l’ensemble des décès sont dus à des pathologies du système cardio-vasculaire! Outre les facteurs de risque relevant du style de vie, comme le tabac, l’obésité ou la sédentarité, il est bien démontré aujourd’hui que l’hypertension et l’hypercholestérolémie sont des facteurs de risque dans l’apparition des maladies cardio-vasculaires. Le dépistage de ces problèmes fait donc partie des mesures de prévention qui doivent être offertes à la population.
Le dépistage du diabète . C’est également une préoccupation essentielle de santé publique: le diabète atteint près de 4% de la population (on estime à 250.000 le nombre de diabétiques connus, et à près du double celui des patients concernés, dont bon nombre ignorent leur maladie). Ce pourcentage est en augmentation, particulièrement pour le diabète gras. La prévention primaire vise à éviter que le style de vie ne contribue par une alimentation inadéquate ou le manque d’exercice à transformer une prédisposition génétique en diabète avéré. C’est aussi un facteur de risque coronarien. L’action préventive nécessaire dans ce domaine n’est pas spécifique au diabète.
Un travail a été très récemment mené, par l’Institut scientifique de santé publique et les acteurs concernés, afin de mettre au point un consensus en matière de dépistage du diabète. Celui-ci servira de base pour la définition d’un programme communautaire.
Le sida méritait également, tout comme la tuberculose, un dépistage spécifique, non généralisé. Les centres de dépistage du sida et le Conseil consultatif de la prévention du sida viennent d’établir de nouvelles recommandations afin de privilégier le dépistage auprès des populations vulnérables.
Ces exemples montrent bien l’intérêt à inscrire la médecine préventive dans la promotion de la santé, à articuler la médecine préventive, l’éducation pour la santé et la promotion de modes de vie sain.

Elargissement du décret sur la promotion de la santé

L’économie du projet de décret doit permettre de décliner ce plan et d’organiser les conditions d’une politique coordonnée de médecine préventive en Communauté française. Il s’agit d’en déterminer les priorités et les programmes, d’en agréer les structures et les acteurs de leur développement, d’en organiser les modalités d’évaluation. Et surtout, ce plan doit faire de la médecine préventive et du dépistage, un levier de régression de ces maladies et de la mortalité associée.
Le 27 mars dernier, le Gouvernement de la Communauté française a approuvé cet avant-projet de décret qui avait, au préalable, reçu un avis favorable du Conseil supérieur de promotion de la santé.
Il s’agit de favoriser:
une information adéquate de la population et des professionnels de santé. En matière de prévention, l’information est aujourd’hui inadéquate et conduit à des comportements non fondés (on fait trop de frottis de col à certains âges, des prescriptions inadéquates de médicaments contre les graisses, etc.). La formation des médecins à la prévention reste lacunaire. Et donc l’information qu’ils en donnent à leur patient, s’appuie davantage sur leur pratique que sur des consensus de santé publique;
la réduction des risques par une prévention adaptée;
une offre de service de qualité , en soutenant les professionnels par des moyens concrets, en déterminant des critères de qualité et des guides de bonnes pratiques. A titre d’exemple, les critères établis pour le programme de dépistage du cancer du sein ont déjà conduit à une amélioration substantielle du parc radiographique pour les mammographies en imposant comme critère d’agrément des critères de qualité assez sévères: une seule installation était conforme au départ, aujourd’hui il y en a 80!
la généralisation de programmes de dépistage performants;
– l’ accès de la population aux services de prévention.
Dans le même projet de décret figure la réorganisation de la gestion des données sanitaires et la mise en place d’un système d’information sanitaire qui doit apporter davantage de cohérence aux différentes composantes de l’information sanitaire et les rendre davantage utilisables à la décision et aux choix de priorités.
Concrètement, d’ici la fin de l’année 2003, des arrêtés d’application seront pris pour le programme de dépistage du cancer du sein, pour le programme de vaccination, pour le dépistage du sida et le dépistage des maladies métaboliques.
Un projet – pilote sera également développé pour expérimenter un programme de prévention cardio- vasculaire qui fera l’objet d’un arrêté en 2004. Les autres programmes dont il est question seront intégrés progressivement.

Les acteurs

Dans leur mise en application, deux options ont été retenues:
– la mise en place d’un centre de référence , lieu d’expertise et de concertation qui est chargé du pilotage et de l’évaluation. Le Centre communautaire de référence pour le dépistage du cancer du sein sera agréé, de même que la cellule Provac pour la vaccination.
– la gestion et la réalisation doivent pouvoir se réaliser au plus près de la population et dans la continuité. C’est pourquoi mon option est de confier cette mission aux médecins généralistes . Ces derniers ne sont sans doute pas en mesure de réaliser toutes les prestations, et de nombreux acteurs seront sollicités: services de l’Office de la naissance et de l’enfance et de la Promotion de la santé à l’école, mais aussi des autres intervenants du secteur ambulatoire, en optimalisant les structures logistiques au bénéfice de plusieurs programmes.
Mais le suivi du plan de prévention et la gestion de l’information concernant les patients doivent être assurés au niveau de la médecine générale. C’est déjà la logique du dossier médical global ; elle me paraît devoir être confortée pour la médecine préventive. Un long travail de concertation entamé depuis deux ans avec les associations de généralistes, la Société scientifique de médecine générale et les centres de formation universitaires me permet d’avoir bonne confiance dans cette perspective.

Les moyens

La décision du Gouvernement de la Communauté française d’inscrire dans les budgets de refinancement (Plan d’action pour la charte d’avenir) des montants significatifs pour permettre le développement de ces programmes de médecine préventive et de prévention apportera les moyens nouveaux nécessaires pour appliquer les nouvelles dispositions de ce projet de décret.
Dès à présent, les moyens sont prévus pour des programmes existants qui seront réglementés et à titre d’exemple, des moyens nouveaux seront investis dès cette année dans la prévention cardio-vasculaire.
Globalement, les moyens consacrés à la médecine préventive passeront de 5.870.000 € en 2002 à 8.523.000 € en 2010, soit une augmentation de 2.653.000 € ou de plus de 40%.

Les perspectives d’une politique de coopération en matière de médecine préventive

Le partage de compétences entre le Fédéral et les Communautés – l’un restant compétent pour la prévention individuelle et les autres pour les préventions collectives et organisées -, le bénéfice secondaire des actions de prévention sur la consommation des soins, la disparité des moyens financiers attribués à la prévention par rapport au secteur curatif, (12,5 millions d’euros contre 15,5 milliards), l’intérêt de construire dans la cohérence une politique de santé et pas seulement de soins de santé d’un côté et de prévention de l’autre…
Toutes ces raisons doivent nous amener à mettre sur la table les perspectives d’un accord de coopération cadre entre le Fédéral et les Communautés. Nul besoin de refinancer les Communautés ou de ‘refédéraliser’ la prévention comme certains le proposent. Ce qui s’est fait pour le dépistage du cancer du sein, ou pour l’achat des vaccins dans le cadre d’une harmonisation de la politique de vaccination, prouve que la logique de coopération peut fonctionner en matière de médecine préventive, dès lors que le Fédéral, sachant qu’il en retire des bénéfices en termes de coûts de santé, investit en actes médicaux de prévention. L’information, la coordination, la sensibilisation et l’évaluation sont de la compétence des communautés.
Avec ce véritable plan d’action, la Communauté française disposera d’un instrument performant pour améliorer la santé de sa population et offrir des garanties structurelles à une coopération en matière de médecine préventive.
Nicole Maréchal , Ministre de la santé de la Communauté française Wallonie-Bruxelles