Les innovations en matière de santé répondent souvent à des besoins qui correspondent davantage à l’offre (de l’industrie, des hôpitaux, des prestataires de soins…) qu’à la demande des patients. Les pouvoirs publics en sont conscients et tentent de redresser la tendance. C’est dans cette optique que le Centre fédéral d’Expertise des Soins de santé (KCE) a développé une méthode pour identifier de manière scientifique et structurelle les plus importants besoins non rencontrés des patients. Cette méthode pourrait être utilisée dans les décisions de remboursement de l’INAMI, mais elle pourrait aussi servir à mieux informer d’une part les professionnels de la santé sur les besoins réels des patients, et d’autre part à déterminer les priorités de recherche à fixer dans les agendas de l’industrie et des organismes qui financent la recherche publique.
Besoins médicaux non rencontrés
Nous avons tous des « besoins » : un toit, de la nourriture, une bonne santé physique et mentale, etc. Dans notre monde occidental, ces besoins fondamentaux sont raisonnablement satisfaits pour la plupart d’entre nous. Nous sommes également plutôt bien lotis en ce qui concerne la santé et les soins de santé – et certainement par rapport à d’autres parties du monde.
Mais malgré cette situation relativement confortable, il persiste chez nous des besoins qui demeurent « non rencontrés ». Ainsi, on ne dispose pas toujours de traitements efficaces – voire de traitements tout court – pour certaines maladies parfois très lourdes à porter pour les patients et leurs familles. Il y a plusieurs raisons à cela. La première est que les connaissances scientifiques ne suffisent malheureusement pas toujours à résoudre un problème. La science a beau être en progrès constant, elle n’a pas réponse à tout. Il faut en prendre son parti, avec patience et espoir.
Des besoins qui correspondent parfois davantage à l’offre qu’à la demande
Une deuxième raison est que les moyens dévolus à la recherche ne sont pas toujours utilisés pour répondre aux besoins non rencontrés les plus importants. Car la recherche est aussi guidée par des intérêts commerciaux et les efforts ne se concentrent pas toujours sur les maladies qui s’accompagnent des besoins non rencontrés les plus importants. Par conséquent, les innovations qui arrivent sur le marché répondent souvent à un « besoin » qui correspond davantage à l’offre (de l’industrie, des hôpitaux, des prestataires de soins…) qu’à la demande des patients (qui va souvent plus loin que le simple besoin d’un traitement).
Les responsables politiques belges et européens sont bien conscients de cette dérive des politiques de santé et tentent depuis longtemps de redresser la tendance. C’est ainsi que, dans le domaine des médicaments, des facilités ont été mises en place, par exemple, pour les médicaments orphelins, pour les « usages compassionnels », ou encore pour accélérer le remboursement de médicaments particulièrement prometteurs portant sur d’importants besoins médicaux non rencontrés. Les choses évoluent donc plutôt bien de ce côté.
Des besoins difficiles à cerner
Mais une troisième raison, plus pragmatique sans doute, est qu’il est difficile de cerner les besoins non rencontrés des patients. Il n’existe pas de démarche scientifiquement solide pour les identifier et les mesurer, ce qui serait pourtant un premier pas indispensable pour pouvoir les prendre en compte de façon structurelle dans les politiques de santé.
Dans un rapport publié aujourd’hui, le Centre fédéral d’Expertise des Soins de santé (KCE) propose une méthode permettant de collecter de manière systématique et objective de telles informations sur les besoins des patients.
Explorer les sources de données existantes
Dans un premier temps, il s’agit d’identifier les problèmes de santé pour lesquels les besoins non rencontrés sont grands, en explorant des sources de données existantes, belges de préférence. L’enquête de santé par interviews menée tous les 4 ans par Sciensano est probablement la mieux connue de ces sources potentielles, mais il en existe d’autres.
Cette démarche doit être complétée par une invitation lancée aux (associations de) patients, d’aidants proches et de soignants à soumettre des propositions de problèmes de santé qu’ils estiment devoir être pris en compte. À ce stade, il faut être attentif à ne pas favoriser les problèmes de santé les mieux « représentés », soit parce qu’ils sont très fréquents, soit parce qu’ils sont défendus par des associations de patients plus actives que d’autres. La sélection devra se faire selon des critères explicites.
Interroger les patients en profondeur
Il ne s’agit toutefois là que d’une première sélection. Il faut ensuite étudier chacun des problèmes de santé identifiés pour s’informer de manière complète et scientifiquement étayée sur les différents traitements (ou autres prises en charge) déjà existants, avec leurs avantages et inconvénients. Cela peut se faire via la littérature scientifique d’une part, mais aussi via une interrogation directe des patients concernés. À cet effet, le KCE a développé un questionnaire générique, à adapter à chaque problème de santé investigué, et à compléter par une enquête qualitative auprès d’un échantillon des répondants, afin d’approfondir la compréhension des besoins ainsi identifiés.
Les chercheurs du KCE ont déjà fait un premier exercice d’adaptation du questionnaire, suivi d’une enquête qualitative (par interviews en face-à-face et un forum en ligne) dans le cadre d’une autre étude, celle sur le COVID long (rapport KCE 344), publiée en octobre dernier.
Des résultats utiles à plusieurs égards
Le KCE suggère de mandater une instance scientifique et indépendante pour la mise en place d’un programme d’identification des besoins des patients et pour explorer les collaborations internationales possibles dans ce cadre. Les résultats de ces études pourront être utilisés lors des procédures de décision de remboursement de l’INAMI, mais ils pourront aussi servir à mieux informer d’une part les professionnels de la santé sur les besoins réels des patients, et d’autre part l’industrie et les organismes de financement de la recherche sur les domaines où ces besoins sont les plus criants.
Le KCE est persuadé qu’une telle démarche est de nature à améliorer à la fois la qualité et l’efficacité des soins de santé. En effet, plus l’accent sera mis sur les besoins des patients, plus les soins seront bénéfiques en termes de santé ou de qualité de vie. C’est donc une manière de rendre les soins plus efficients (plus efficaces pour un investissement donné de moyens publics) tout en promouvant la place centrale du patient, autre valeur importante du système de santé belge.
Le rapport complet se trouve ici : Comment identifier les besoins des patients ? – KCE (fgov.be)