Par un beau matin ensoleillé de septembre, nous nous sommes glissés dans une salle obscure pour découvrir « Nuit bleue », petit film issu d’une collaboration entre l’Ecole du Sommeil et le Centre Vidéo de Bruxelles. A vocation pédagogique, le court-métrage est destiné aux jeunes de l’enseignement secondaire.
Le pitch ? « Éteindre son smartphone pendant 24 heures. C’est ce qui a été demandé à un groupe d’adolescents d’horizons divers, réunis à la campagne pour interroger leur rapport au sommeil et à la connectivité. Chacun à leur manière, ils ont tenté de poser un regard et un constat personnel sur le sujet. Les réactions ne se sont pas fait attendre… »
Dette de sommeil chez les jeunes
Le constat n’est pas nouveau : les enfants et les adolescents ne dorment pas assez1. L’omniprésence des écrans dans nos vies, ainsi que l’attractivité des réseaux sociaux, ou des plateformes de visionnage vidéos … ne sont pas étrangers à cette dette de sommeil, voire tendent à l’accentuer. Difficulté à se déconnecter et à s’endormir ou sommeil perturbé vont souvent de pair. Or le déficit de sommeil a des impacts néfastes sur la santé globale de tout un chacun : lenteur, irritabilité, difficulté de concentration, sensation de fatigue chronique, perte de motivation… L’Ecole du Sommeil et le Centre Vidéo de Bruxelles ont souhaité laisser la place à la parole des adolescents sur leur rapport aux écrans, à la connectivité et au sommeil. L’idée est de mettre en place un dispositif expérimental (et de ne pas faire que du discours dans un documentaire) : partir « au vert » avec un groupe d’adolescents et leur proposer d’éteindre leur smartphone pendant 24h. Leur expérience, leur parole.
Une expérience, un dispositif
Sans en dévoiler tout le contenu, revenons sur certains éléments de l’expérience menée. Au moment du départ, le groupe de jeunes que l’on va suivre tout au long du séjour ne sait pas ce qui va lui être demandé. Le mystère reste entier. Ils ne sont pas bridés par des consignes, ce qui nous permet, dans un premier temps, d’être spectateur de l’usage quotidien et spontané de leurs smartphones. Peu à peu, chacun est amené à prendre conscience de son état de fatigue et du temps passé sur son téléphone. Que ce soit pour communiquer via Whatsapp, traîner sur les réseaux sociaux ou pour un geste aussi anodin que regarder l’heure… on comptabilise, au moyen d’une application téléchargeable, le nombre d’heures cumulées qu’ils passent devant leur écran. Sur les 24h d’une journée, ce sont 4 , 5 voire 6 heures qui sont réellement passées les yeux rivés vers son téléphone … C’est l’électrochoc pour les jeunes, d’autant que certains évaluaient ce temps à moins de la moitié. Mais un électrochoc ne fait pas tout. Les questions affluent et les débats émergent : passe-t-on trop de temps devant un écran ? Quels sont les impacts sur notre sommeil ? Ecoute-t-on assez son corps ? La question n’est pas tant de savoir si, de nos jours, on peut fonctionner sans son téléphone et sans être connecté du tout. C’est pourtant ce qui va être demandé à notre joyeuse bande pendant 24h, afin d’expérimenter et d’aller plus loin que le débat d’idées. Aspect incontournable de l’expérience : ils ont le choix ! Non, il n’est pas question ici de placer son téléphone dans une boîte scellée, placée ensuite au centre de la pièce telle un Graal inaccessible. Chacun éteint son téléphone et le place dans sa poche, de manière volontaire.
Tout au long du court-métrage, on partage des questionnements plus que des réponses. Connectivité et sommeil sont mis face-à-face. Les jeunes ont tous été marqués par les informations sur le cycle de sommeil, mais il est aussi question d’éducation à l’attention (via des astuces telles que mettre ses notifications en silencieux…).
Et le spectateur, derrière son écran?
On parle des ados, mais en tant que spectateur, tout un chacun est amené à se questionner par rapport à sa propre connectivité. Quelle place prennent les écrans dans ma vie ? Quelles frontières existent entre la vie privée, la vie publique, la vie à l’école, la vie professionnelle… ? Puis, on se demande : en tant qu’adulte, ne devrait-on pas justement montrer l’exemple ? Mais quel exemple exactement ? A partir de quel âge un jeune devrait-il avoir accès à un smartphone ?… Toutes ces questions pullulent en ce matin de projection dans une salle, qui rassemble des enseignants, des éducateurs…
L’approche n’est aucunement moralisatrice ou culpabilisante. Et plusieurs voix dans la salle s’élèvent pour insister sur l’importance de ne pas dresser qu’un tableau négatif quant à l’utilisation des jeunes (et moins jeunes) de leurs smartphones et à cette hyperconnectivité. « Il n’y a qu’à regarder la mobilisation des jeunes pour le climat ! » – un protagoniste du film brandit sa pancarte. Après la projection, il se rendra à une des marches organisées par le mouvement Youth for Climate.
Conclusion
N’y a-t-il pas un paradoxe dans le fait de passer par un écran pour parler des écrans ? La question est posée d’emblée par Najat Bouzalmad, l’une des porteuses du projet. Le sera-t-elle lors des animations proposées qui accompagnent l’outil ? Quoiqu’il en soit, l’approche est fine, la culpabilisation absente, et – cerise sur le gâteau – la qualité de la réalisation est au rendez-vous. Mais surtout, plus qu’un outil, le court-métrage « Nuit bleue » est un réel appel à la déconnexion. Plusieurs spectateurs dans la salle (éducateurs, travailleurs d’AMO…) émettent le souhait de vivre eux-même l’expérience et de la faire vivre aux groupes et aux jeunes qu’ils encadrent.
Nuit Bleue (2019, 35’), réalisé par Bertrand Vandeloise, produit par le Centre Vidéo de Bruxelles et L’école du sommeil. Le DVD, accompagné d’un cahier d’animation, est disponible auprès du Centre Vidéo de Bruxelles (www.cvb.be).