La revue Éducation Santé a publié en novembre 2012 [1] un numéro spécial consacré à l’évaluation. Ce numéro se voulait résolument optimiste. Il montrait comment, au cours des trente dernières années, les modèles de référence en évaluation avaient évolué parmi les acteurs francophones de la promotion de la santé.
Au centre de ces évolutions, on retrouve l’engagement à promouvoir des démarches, des méthodes, des outils qui font la place aux points de vue des différentes parties prenantes, mais surtout qui ne se substituent pas in fine à la délibération et au choix collectif par celles-ci; et enfin qui n’oblitèrent pas les ‘démarches qualité’ menées par la diversité des acteurs.
Cet article se terminait sur le défi que représentait le passage à l’évaluation de 5e génération, dite émancipatrice: celle qui implique les populations concernées par un programme public dans toutes les phases de son évaluation.[2] Ces évolutions présentent donc un haut degré de cohérence avec les principes mis à l’avant-plan par la Charte d’0ttawa: empowerment, action intersectorielle, participation des populations.
Cependant les journées d’échanges et de rencontres consacrées aux 30 ans de la Charte d’Ottawa ont pris en compte le retour d’un discours sur l’efficacité dans la sphère publique. Cet article tentera donc d’éclairer comment ce type de discours tente de s’imposer dans nos pratiques d’acteurs de promotion de la santé. Il formulera aussi quelques pistes prometteuses.
Rappelons d’abord une définition simple de l’efficacité: «Ce critère permet d’apprécier la réalisation des objectifs d’une intervention en comparant les résultats (au sens d’effets) obtenus aux résultats attendus, ces résultats étant imputables à cette intervention (efficacité propre)» (Jabot et Bauchet, 2009) [3].
L’efficacité peut donc, selon les cas, concerner l’impact d’une politique, les résultats d’une intervention ou les réalisations mises en œuvre par un opérateur, selon le niveau auquel les objectifs sont formulés (voir l’encadré qui précise certaines notions en les illustrant). Selon que l’on soit décideur ou opérateur, les points de référence varieront, chacun étant soumis à ses propres paradoxes.
Du côté des décideurs: les plans et les priorités
De nombreux décideurs en promotion de la santé sont assez convaincus qu’ils doivent se fixer des objectifs à long terme, pour apprécier l’évolution des modes de vie d’une population. Ils sont en attente d’indicateurs qui rendront sensible cette évolution. L’efficacité s’évaluerait donc au niveau des impacts. Ainsi le récent Plan wallon de prévention et de promotion de la santé se donne des priorités pour 2030 [4].
Cela étant, les mandataires sont soumis à un premier paradoxe: celui de devoir fournir une image de la rentabilité à court terme de leur politique, au terme de leur mandat quinquennal, alors que leurs priorités se définissent à plus long terme.
Ils sont aussi soumis à un deuxième paradoxe, l’efficacité à long terme ne dépendra pas que de la politique qu’ils ont en responsabilité, tant sont nombreux et variés les déterminants qui produisent la santé d’une population, tant les contextes de vie évoluent rapidement durant cette période de transition sociétale.
Il n’y a pas de réponse technique ou scientifique simple qui permette de résoudre ces paradoxes, d’autant que les indicateurs les plus pertinents ne sont pas toujours disponibles avant le début de l’implantation de la politique.
Du côté des opérateurs: les projets et les services
La préoccupation croissante pour l’efficacité et l’efficience entraîne une pression des financeurs vers les opérateurs: ceux-ci doivent augmenter la précision des objectifs annoncés de leurs projets et prouver comment ils rencontreront les priorités définies dans les plans. De plus en plus souvent, on exige des objectifs SMART (spécifiques, mesurables, assignables, réalistes et temporellement définis) [5].
Les opérateurs sont alors confrontés à deux types de difficultés. Tout d’abord ils doivent articuler les objectifs annoncés de manière cohérente non seulement avec les objectifs spécifiques définis par les plans, mais aussi avec l’objet social de leur organisme, en assurant une continuité d’actions et de services aux usagers, en respectant les cadres logiques et modèles de référence en promotion de la santé qui reflètent la complexité des déterminants du changement [6]. Ensuite ils doivent dégager des ressources pour évaluer l’atteinte de ces objectifs, ce qui le plus souvent réduit d’autant les ressources disponibles pour implanter l’action.
Dans la pratique, face à ces multiples contraintes, toutes pertinentes, les résultats dégagés par les opérateurs, en lien avec leurs objectifs (même, et surtout, SMART), ne permettront pas de documenter des indicateurs de résultats pour les objectifs spécifiques définis dans les plans.
Le rêve méthodologique d’une alliance entre décideurs et opérateurs
Arrêtons de courir après des chimères méthodologiques qui cristallisent des tensions entre opérateurs et financeurs et aboutissent dans un certain nombre de cas à une perte du sens de l’action. Par rapport à un sous-financement criant de la prévention dans nos politiques, trois critères de qualité devraient retenir notre attention.
L’intervention proposée est-elle pertinente par rapport aux objectifs fixés? Des grilles d’analyse existent pour définir cette pertinence, la littérature scientifique et la littérature grise fournissent des repères précieux, les échanges de pratiques également. Des progrès peuvent être faits pour diffuser et accroître les données probantes auxquelles se référer en promotion de la santé (voir article dans ce même numéro).
Une fois la pertinence établie, focalisons notre attention sur des indicateurs de couverture et des indicateurs d’intensité de l’action, qui sont les préalables incontournables à tout résultat mesuré à l’aune d’une population pour des objectifs de promotion de la santé.
Pour les indicateurs de couverture, il s’agira de déterminer quelle est la population rejointe par l’action par rapport à la population concernée; d’examiner comment cette population rejointe se répartit sur le gradient socio-économique et/ou sur les territoires. De manière symétrique, on pourra vérifier si au fil des interventions on a rejoint tous le professionnels ou relais qui accompagnent les populations concernées. On pourrait aussi s’intéresser aux taux de fidélisation vs renouvellement des bénéficiaires d’une action ou des usagers d’un service.
Pour les indicateurs d’intensité, demandons-nous par rapport à une population définie, dans quelle mesure les interventions visant un même objectif se sont déployées avec suffisamment de continuité, si elles ont été accentuées par des synergies avec d’autres actions et si elles se sont disséminées dans d’autres lieux proches.
Un défi ou un idéal hors de portée ?
Ce type d’indicateurs ne peut être produit que s’il y a une alliance entre opérateurs et financeurs. Les termes de cette alliance seraient les suivants:
- que les opérateurs collectent et compilent des infos en routine de manière standardisée sur les contextes et destinataires de leurs propres activités;
- que les acteurs institutionnels mettent à la disposition des opérateurs pour cet enregistrement des outils concertés, acceptables et respectueux de l’éthique. Qu’ensuite ils analysent les données fournies pour tirer des conclusions documentées sur la couverture et l’intensité des interventions au niveau d’un plan.
Impossible? Ça et là existent des outils qui tracent les prémisses de cette estimation des couvertures et complémentarités: une cartographie de projets financés en promotion de la santé telle OSCARS en France [7], des bases de données gérées par de nombreux opérateurs qui permettent d’estimer les profils professionnels et les origines territoriales des personnes formées à l’une ou l’autre démarche. Capitaliser sur ces initiatives, tenter de les harmoniser pourrait permettre un meilleur suivi de l’implantation des politiques, condition première d’efficacité.
«Sortir de son entre-soi»: un regard indiscipliné sur les enjeux de la promotion de la santé
Patrick Berry [8], avec la collaboration d’Anne Le Pennec
Renforcer la dimension politique de la promotion de la santé en s’appuyant sur une visée sociétale renouvelée, des alliances stratégiques et un rapprochement de la décision publique. Telle est la feuille de route dessinée par Patrick Berry, qu’il explicite ci-dessous.
La Charte d’Ottawa vient de fêter ses trente ans. Les acteurs du champ de la promotion de la santé célèbrent l’anniversaire de ce texte court, témoin d’une époque durant laquelle, déclamée haut dans des écrits de statut international, l’utopie semblait à la portée des espoirs.
Ces mots mettaient en récit avec conviction les espérances progressistes et des revendications d’«Hommes engagés» aurait dit Albert Camus. On se rend compte rétrospectivement à quel point ils ont suscité de véritables révolutions dans les pratiques professionnelles, de l’échelle la plus large au niveau le plus local.
Dans ces débats et échanges d’anniversaire, deux logiques concomitantes sont à l’œuvre. L’une, rétrospective, discute les effets et acquis de la charte, dont l’influence a été majeure dans l’histoire de la santé publique, ou bien pose des constats sur l’état actuel de la promotion de la santé. Signe de maturité, on s’interroge avec raison et réflexivité. Il est vrai que le bilan critique de ce texte est amorcé et partagé depuis quelques années déjà [9].
L’autre logique, prospective celle-là, s’essaie à déterminer les enjeux pour la promotion de la santé à court terme et dans les décennies à venir. Cet exercice est essentiellement mené sous l’angle thématique, par exemple sur l’évaluation ou le développement de certains secteurs comme l’éducation pour la santé.
Nourri de travaux théoriques et d’activités de terrain dans le champ de la promotion de la santé mais aussi celui de l’environnement, je porte un regard croisé tout autant que distancié sur ces réflexions prospectives. J’en retire une idée force: l’indispensable renforcement de la dimension politique de la promotion de la santé, autour de trois enjeux présentés ici comme autant de matières à débats et à nuances.
Enjeu #1 – Renouveler la visée sociétale, en lien avec une mise au clair du paradigme de santé
«L’obsession de la définition [10]» de ce que recouvre la notion de «santé» est le propre de la santé publique depuis plus d’un siècle. Pour autant, il s’agit de dépasser les querelles sémantiques et les constructions rhétoriques autour du concept, pour asseoir une visée politique claire et pragmatique. Il y a en effet, me semble-t-il, une vigilance toute particulière à avoir pour travailler très directement à l’intégration des discours et concepts dans les actions de terrain, ou pour le moins, à ne pas laisser se construire de trop grands écarts entre «ce qui se dit» et «ce qui se fait» en promotion de la santé. Autrement dit, à susciter et plus encore à structurer un dialogue fructueux entre ces deux pôles.
Pour ce, trois pistes de réflexion me semblent pouvoir être tracées.
Tout d’abord, il s’agirait de travailler à l’articulation conceptuelle entre la notion de ‘Santé’ et celle de ‘Bien-être’, utilisée dans le champ du développement et de l’environnement. Largement dominée par le modèle biomédical, la promotion de la santé aurait à gagner en crédibilité tout comme en légitimité à sortir de son entre-soi, et à «croiser le fer» avec des travaux conceptuels déjà mis en pratique dans les actions de terrain, sur le champ environnemental et du développement des territoires, en France et plus largement encore en Europe. On peut citer à titre d’exemples les travaux déjà classiques d’Amartya Sen et de Joseph Stiglitz sur les Indicateurs de Développement Humains (IDH) ou sur les capabilités [11], mais aussi ceux engagés par les instances environnementales européenne et française autour du Bien-être territorial des populations, que cela soit sous l’angle spécifique des liens avec les milieux de vie, ou bien sous l’angle plus global des dynamiques d’adaptation territoriale aux enjeux environnementaux [12].
Il y aurait par ailleurs un grand intérêt pour les acteurs de santé à se distancier de la centration sur l’individu-sujet, pour repositionner celui-ci dans des écosystèmes complexes. Il s’agirait alors de porter la focale sur les milieux et environnements de vie en tant que déterminants essentiels de la santé.
Ce mouvement est déjà amorcé par les acteurs travaillant, entre autre, sur l’habitat, le milieu urbain ou sur la qualité de l’air intérieur. Il pourrait être davantage fécond. Cela passe par un examen critique des dynamiques de santé à l’œuvre aujourd’hui, massivement influencées par les avatars psychologisants du développement personnel et par les dispositifs d’auto-évaluation de soi comme contrôle social qui, en temps de crise font naturellement florès [13]. Tout est lié. L’incapacité de la promotion de la santé à investir le travail sur les déterminants sociaux et environnementaux trouve en grande partie son origine dans la place qu’elle donne au modèle d’Homme rationnel et aux problématiques comportementales. Sortir de ces logiques «du marché du bien-être ou du marché du malaise [14]» implique de porter davantage l’effort sur le travail pratique au niveau du pouvoir d’agir (empowerment) des individus sur leurs conditions de vie, et sur la dimension spirituelle de la santé, c’est-à-dire du sens attribué au monde par les humains [15].
Enfin, une visée politique de la promotion de la santé pourrait prioriser deux points nodaux cristallisant l’ensemble des enjeux du «vivre ensemble» et d’une éthique de la Reconnaissance chère à Axel Honneth [16]: la réduction des inégalités de santé et le respect des droits de l’Homme.
Les travaux théoriques déjà menés ne manquent pas. Outre les dernières productions de la Conférence européenne de santé publique et de l’OMS [17], deux textes accessibles à tous les acteurs pourraient être porteurs d’une nouvelle inflexion dans les pratiques: le rapport de la commission de l’OMS sur les déterminants sociaux de la santé intitulé «Combler le fossé en une génération [18]» et cet article, ancien mais ô combien d’actualité, de Jonathan Mann [19] sur les liens entre les droits fondamentaux des personnes et la santé des populations.
Ces deux textes dressent des lignes qui pourraient être autant de repères pour les interventions en promotion de la santé: le respect des droits fondamentaux des personnes, l’importance à agir sur les déterminants sociaux et la répartition des richesses tout comme du pouvoir. Ils interrogent et la capacité de la promotion de la santé à intervenir sur les milieux et conditions de vie et son aptitude à tisser des alliances pour y parvenir.
Enjeu #2 – Renforcer les stratégies d’alliance de la promotion de la santé
Le renforcement des stratégies d’alliance de la promotion de la santé constitue le deuxième enjeu en ce qu’elles permettraient à la fois de conforter son positionnement politique, mais aussi de renforcer ses approches opérationnelles.
Il s’agit d’élaborer une stratégie de coopération, qui pourrait à tout le moins suivre trois lignes d’horizon. La première est conceptuelle et intéresse prioritairement le monde de la recherche. Elle consiste à croiser davantage les disciplines et à rééquilibrer les approches entre sciences biomédicales et sciences sociales. Un décloisonnement disciplinaire permettrait ainsi de donner toute leur pertinence aux travaux en sociologie, anthropologie, psychologie sociale notamment, s’attachant à comprendre les interactions humaines avec les milieux de vie. Plutôt que de produire de nouvelles connaissances, intégrons les données existantes, et ce de manière participative.
Par ailleurs, le dialogue interdisciplinaire permettrait de clarifier les zones de recouvrement et les articulations de concepts utiles à la promotion de la santé. Ainsi par exemple pourraient être mis en regard la santé biomédicale avec le bien-être des économistes, le sentiment de contrôle et le coping avec l’empowerment, ou bien encore la motivation avec les systèmes d’acteurs connus des sociologues.
La deuxième ligne est située à l’intermédiaire entre la recherche et l’action de terrain. Force est de constater, en promotion de la santé, le peu de cas fait à la traduction et à la valorisation des connaissances scientifiques auprès des acteurs de terrain. Cet état de fait participe du flou et de l’éparpillement des références théoriques, tout comme des adhésions par ‘affinités électives’ aux ressorts conceptuels utilisés sur le terrain par les acteurs.
Une autre hypothèse explicative du flottement conceptuel serait à chercher dans le développement de formations généralistes en promotion de la santé, favorisant des appropriations théoriques davantage par sensibilité personnelle que par formation disciplinaire de fond. En contrepoint, des alliances pourraient être construites avec les secteurs de la médiation scientifique tout comme avec les dispositifs de valorisation universitaire.
L’objectif serait de construire des référentiels théoriques aisément appropriables basés sur le dialogue entre les expériences de terrain et la recherche interdisciplinaire. L’émergence récente en éducation pour la santé d’un travail sur le courtage de connaissances et sur l’identification de données probantes et interventions prometteuses est en ce sens particulièrement intéressant. Pour autant, gageons que ces données probantes ne seront pas restreintes au champ de la santé publique, ni sur le fond, ni dans leurs logiques épidémiologiques d’élaboration, car cela ne ferait que conforter la prédominance du modèle biomédical et servirait peu le renouvellement politique du paradigme de santé. Pour ne pas dire que cela le contredirait.
Le troisième axe concerne les alliances de terrain. Hormis les autorités de santé (Agences régionales de santé) toujours présentes sur les territoires, il est surprenant de constater qu’il soit possible de mener des études sur des sujets aussi divers que les dynamiques de concertation et de bien être territorial, l’accessibilité sociale à l’eau ou le maintien de l’habitat en zone rurale etc. sans jamais croiser un acteur issu du champ de la promotion de la santé autre qu’un médecin généraliste ou spécialisé.
Ce sont pourtant des questions sociétales essentielles. Les croisements avec les champs environnementaux, du social et de l’éducation populaire, au travers notamment des associations de consommateurs et autres associations citoyennes détentrices a minima d’une expertise expérientielle, parait indispensable pour prendre en compte et agir dans la complexité des systèmes liés à la vie quotidienne des ‘gens’.
Enjeu #3 – Se rapprocher de la décision publique
Troisième enjeu, connexe aux deux premiers: la promotion de la santé a tout à gagner à se rapprocher de la décision publique pour conforter son influence et se positionner davantage dans les rapports de forces entre acteurs présents sur les territoires, quelle qu’en soit leur échelle. Le monde environnemental et celui du développement local, par leur positionnement politique, se sont très tôt attelés à l’élaboration d’outils d’accompagnement et d’aide à la décision. Par son histoire, la promotion de la santé s’est quant à elle centrée sur la décision individuelle selon une approche comportementale et moralisante.
Les travaux en sciences sociales et sciences politiques montrent toute la complexité des politiques publiques, de la mise à l’agenda des questions d’intérêt général, des modalités de prise de décision, du suivi de ces décisions. Or l’intérêt de la promotion de la santé pour les questions de sciences politiques et de sociologie organisationnelle se manifeste lentement. Il est vrai qu’il nécessite une évolution culturelle tout autant qu’opérationnelle.
Ce changement de posture pourrait s’opérer de manière concrète selon trois volets: le lobbying ou plaidoyer, l’aide à la décision au sein des politiques publique et l’évaluation.
Si le plaidoyer en santé est un outil déjà utilisé auprès des élus et décideurs, un travail à la fois sur les contenus de ce plaidoyer et leur formalisation serait de bon aloi. L’affichage du décloisonnement des politiques publiques et l’explicitation des liens et croisements de la promotion de la santé avec d’autres politiques sectorielles pourrait être un argument supplémentaire pour les acteurs. Cette manière de relire concrètement les politiques publiques à l’aune du Bien-être des populations s’avérerait particulièrement pertinent aux échelles locales, aux yeux des élus et techniciens des collectivités en particulier.
Par ailleurs, lors du 25e anniversaire de la Charte d’Ottawa en 2011 [20], Ilona Kickbush soulignait l’urgence pour la promotion de la santé à investir les questions de gouvernance publique en se rapprochant de la prise de décision.
Ce rapprochement pourrait s’opérer par la mise en place d’outils formalisés d’aide à la décision qui permettraient un travail conjoint entre élus et acteurs de santé à l’échelle du territoire, sur la décision même mais aussi sur sa mise en œuvre et son suivi. À titre d’exemple, citons les expérimentations en cours d’évaluations d’impact en santé (EIS) Leurs mises en place et résultats soulignent l’importance de comprendre les ressorts de la prise de décisions publiques dans son champ de contraintes, tout comme d’avoir à sa disposition des outils d’accompagnement dans le temps efficaces pour influer sur les stratégies territoriales. Le simple transfert de connaissances épidémiologiques ou sociologiques vers les décideurs, conformément au modèle rationnel, est insuffisant.
En complément, un renforcement des logiques d’évaluation des politiques publiques en promotion de la santé pourrait en améliorer la lisibilité. À ce titre, il semble indispensable. Avec des moyens cohérents avec les objectifs posés, le développement des évaluations de contexte et participatives en promotion de la santé donnerait des arguments au plaidoyer tout comme à l’aide à la décision publique. Et, avec ces arguments pourraient se construire, en lien avec les décideurs, des fenêtres pertinentes d’opportunité. À défaut d’évaluation et de retours d’expériences formalisés, il ne restera aux acteurs que leur force de conviction, ce qui, dans le champ des politiques publiques, connait rapidement des limites.
Les trois enjeux brièvement esquissés ici invitent à de nouvelles dynamiques en promotion de la santé mais aussi au soutien de celles déjà engagées dans la structuration du champ des pratiques. Les moyens alloués à la promotion de la santé, parent pauvre de la santé publique et plus encore de la santé, et le modèle économique sous-jacent sont bien évidemment des questions fondamentales dans un contexte de contraction des crédits publics. Mais elles ne doivent pas évincer l’indispensable réflexion sur les positionnements politiques et stratégiques des acteurs au cœur de la promotion de la santé.
Deux traits communs traversent les enjeux ainsi livrés: l’ouverture à d’autres champs d’action et la coopération. L’ouverture, c’est prendre le risque de se diluer et de perdre de sa singularité. La coopération, c’est accepter de partager et de faire évoluer ses acquis et ses outils propres. Au regard du contexte singulier dans lequel nous vivons, l’enfermement sur soi ne peut constituer ni un positionnement politique, ni une stratégie de développement pour la promotion de la santé. Le Bien-être collectif aura, me semble-t-il, tout à gagner à l’engagement de la promotion de la santé dans la voie de l’altérité, hors de ses sentiers habituels. Ce qui n’est pas la moindre des éthiques politiques.
[1] Vandoorne C, Quelles perspectives pour l’évaluation en promotion de la santé en Fédération Wallonie-Bruxelles? Revue Éducation santé, n°283, novembre 2012, https://educationsante.be/article/quelles-perspectives-pour-levaluation-en-promotion-de-la-sante-en-federation-wallonie-bruxelles/
[2] Baron G, Monnier É., Une approche pluraliste et participative: coproduire l’évaluation avec la société civile, Revue Informations Sociales n° 110, septembre 2003
[3] Absil G, Vandoorne C, Des mots pour parler d’évaluation, Revue Éducation Santé n° 283, Novembre 2012, https://educationsante.be/article/des-mots-pour-parler-devaluation/
[5] http://crf.wallonie.be/compasinfo/breve.phpid=14&rub-id=54.html . Consulté le 19 février 2017.Steffens G. 2015. Les critères SMART pour atteindre son objectif. La méthode intelligente du manager, Paris, Gestion et marketing, 2015, 32 p., p. 15 à 23.
[6] Par exemple: outil de catégorisation des résultats, modèle de la Commission des déterminants sociaux de la santé, axes de la Charte d’Ottawa, approche socio-écologique…
[8] Patrick Berry est sociologue et tout à la fois consultant en promotion de la santé et directeur d’étude en environnement en France.
[9] Le bilan critique de la Charte d’Ottawa a, pour évoquer les plus récentes, donné lieu à de nombreuses publications à l’occasion de son 25e anniversaire en 2011.
[10] Fassin, D. (2000). Comment faire de la santé publique avec des mots: une rhétorique à l’œuvre, Rupture. Revue transdisciplinaire en santé. vol.7.N°1. pp.58-78
[11] Naussbaum, M. (2012). Capabilités. Comment créer les conditions d’un monde plus juste ? Paris: Climat
[12] On peut renvoyer ici aux travaux portés par les agences françaises ONEMA et ADEME sur les indicateurs de Bien-être et de qualité de vie en lien avec les problématiques environnementales. De même, autour de la problématique de la résilience territoriale face au changement climatique, des travaux sont en cours sur l’élaboration d’indicateurs agrégés de santé et de Bien-être des populations, posant l’hypothèse que le Bien-être pourrait être un facteur de résilience ‘communautaire’ et territoriale.
[13] Marquis, N. (2014). Du bien-être au marché du malaise. La société du développement personnel. Paris: PUF
[17] Il s’agit de la déclaration de Vienne, publiée par l’European Public Health Association (EUPHA) en 2016 et de la déclaration de Shangaï sur la promotion de la santé et le développement durable à l’horizon 2030, énoncée à l’occasion de la 9e conférence mondiale sur la promotion de la santé.
[18] OMS. (2009). Combler le fossé en une génération. Rapport de la commission sur les déterminants de la santé