La famille des papillomavirus humains comporte plus de deux cents virus dont 12 sont particulièrement oncogènes et deux responsables des verrues génitales.
L’infection à papillomavirus (HPV) est l’infection sexuellement transmissible la plus commune. Cette infection est le plus souvent transitoire mais lorsqu’elle persiste, elle peut mener à des lésions précancéreuses et au cancer.
Dans les années 1980, Harald zur Hausen (prix Nobel de Médecine en 2008) a démontré que le HPV était responsable du cancer du col de l’utérus chez la femme (3ème cause de décès par cancer chez les femmes dans le monde). Dans les pays développés, le dépistage par frottis de col a démontré son efficacité pour la réduction partielle du cancer du col. Il permet le traitement des lésions dans les meilleurs délais. Mais un grand nombre de femmes ne bénéficient pas de ce dépistage.
Le développement de vaccins contre les HPV permet d’envisager une prophylaxie spécifiquement orientée contre les HPV responsables des cancers du col. La vaccination concerne donc principalement les jeunes filles avant l’âge du début de la vie sexuellement active.
Depuis 2007, dans notre pays, le Conseil Supérieur de la Santé recommande « la vaccination prophylactique généralisée chaque année d’une cohorte d’un an de filles d’un âge compris entre 10 et 13 ans ».[1]
Depuis 2011 en FWB, le programme de vaccination qui dépend de chaque Communauté, a mis le vaccin HPV à disposition de tous les vaccinateurs pour les jeunes filles de 13-14 ans et a recommandé aux Services de Promotion de la Santé à l’Ecole (SPSE) et aux Centres Psycho-Médico-Sociaux de la Communauté française (CPMS-CF de tout mettre en œuvre pour proposer et réaliser cette vaccination pour les jeunes filles, élèves de 2ème secondaire.[2]
Au cours de la dernière décennie, de nombreuses études ont démontré le rôle des HPV dans d’autres cancers tels que ceux de l’anus, de la vulve, du vagin, du pénis et de l’oropharynx mais aussi dans la prévention des verrues génitales. Ce qui a conduit le CSS à élargir en 2017 la recommandation de la vaccination HPV à l’ensemble des cancers et des verrues génitales pour les deux sexes et donc aussi bien pour les garçons que les jeunes filles de 9 à 14 ans.[3]
A la veille de l’élargissement de la vaccination HPV aux garçons, prévue en FWB en septembre 2019, cet article analyse le niveau de couverture vaccinale HPV atteint en 2017 auprès des jeunes filles en FWB et fait état du niveau d’adhésion des médecins et des professionnels PSE à cette nouvelle recommandation. Il se base sur les résultats de différentes recherches menées par l’équipe interuniversitaire Provac, dans le cadre de financements par la DG Santé de la FWB puis de l’ONE.
Où en est la couverture vaccinale HPV des jeunes filles de 2ème secondaire (13-14 ans), en FWB en 2017 ?
L’objectif était d’atteindre une couverture vaccinale de 80%, trois ans après l’introduction du vaccin dans le calendrier vaccinal. Le vaccin HPV distribué gratuitement dans le circuit de la FWB est le vaccin Cervarix®. Le schéma de départ, en septembre 2011, était de 3 doses à administrer sur un laps de temps de 6 mois. A partir de la rentrée scolaire 2014–2015, un schéma en 2 doses à 6 mois d’intervalle et, après 15 ans, en 3 doses a été recommandé.
La mesure de la couverture vaccinale est établie pour les jeunes filles au départ des données vaccinales présentes dans les dossiers médicaux PSE des élèves, en fin d’année scolaire, sur base d’un échantillon stratifié aléatoire simple parmi l’ensemble des classes de 2ème secondaire. Dans le cas de données manquantes dans les dossiers PSE, une démarche de contact des parents est demandée aux services/centres afin de disposer des dates de vaccination réalisées par un autre vaccinateur que le médecin scolaire.
Deux enquêtes ont ainsi été organisées par Provac en 2013 et en 2017.
En juin 2017, la couverture vaccinale mesurée est de 36,1% (IC à 34.7% à 37.5%) en FWB, résultat bien inférieur à l’objectif visé. [4]Les résultats présentés tiennent compte du fait que les jeunes filles ont reçu un schéma correct et complet (nombre total de doses en fonction de l’âge et intervalle correct entre les doses).
Figure 1 : Evolution de la couverture vaccinale des jeunes filles de 2ième secondaire entre 2013 et 2017 en FWB pour le vaccin contre les papillomavirus par région/province et par type de vaccinateurs
En 2013 en FWB, le taux de couverture vaccinale était de 29,2% pour un schéma complet [5]et passe à 36,1% en 2017 soit 7% d’augmentation. Sur base de la répartition des vaccinateurs dans la couverture établie, il apparait que la PSE réalise 87% de la couverture HPV complète et les médecins traitants,13%.
On observe des différences importantes entre provinces et à Bruxelles dans les deux enquêtes. La couverture est la plus faible en Brabant wallon (9.5%) et la plus élevée en province de Namur (51.7%). Une hypothèse pour expliquer de tels écarts est que certains services/centres sont non vaccinateurs pour HPV dans certaines provinces et à Bruxelles alors qu’ils ont sous tutelle PSE une importante population d’élèves de secondaire. Cette hypothèse est documentée dans le paragraphe suivant.
Quelle est l’offre vaccinale HPV de la PSE (sur base de l’analyse des rapports d’activité PSE 2016-2017) ?
Chaque année, les services/centres remettent un rapport d’activité à l’ONE. Le contenu des rapports 2016-2017 en lien avec la mission vaccinale a servi de base à l’analyse ci-dessous.[6]
Tableau 1 : Répartition par réseau de la population totale de 2ème sec (filles et garçons) sous tutelle des services/centres vaccinateurs (VAC) et non vaccinateurs HPV (NVAC) en 2016-2017 (sur base de l’analyse des rapports d’activité 2016-2017)
Type de Service |
POP ss tutelle VAC en 16-17 |
POP ss tutelle NVAC en 16-17 |
POP totale en 16-17 |
% de pop Totale |
SPSE libre |
21 411 |
14 525 |
35 936 |
57.9 |
SPSE provincial |
5 259 |
0 |
5 259 |
8.5 |
SPSE Ville/Commune |
5 730 |
131 |
5 861 |
9.4 |
CPMS-CF |
9 425 |
5 607 |
15 032 |
24.2 |
Total des élèves FWB |
41 825 |
20 263 |
62 088 |
100 |
Le tableau 1 montre que, d’une part, la population scolaire de 2ème secondaire (filles et garçons) est répartie de manière très inégale entre les types de pouvoirs organisateurs des services/centres et, d’autre part, qu’une proportion importante de services/centres non vaccinateurs ont une importante population sous tutelle.
De plus, une importante disparité territoriale existe. La proportion d’élèves sous tutelle d’un service/centre vaccinateur est très différente d’une province/région à l’autre : 7,8% en Brabant Wallon, 49,5% dans le Hainaut, 77,5% pour Bruxelles, 78,1% pour le Luxembourg, 89,8% pour Namur et 98,7% pour Liège.Ce constat montre l’inégalité de prise en charge préventive de la population scolaire malgré l’universalité de principe de la PSE. En réalité, 1/3 des jeunes filles ne s’est pas vu proposer la vaccination HPV par la PSE en 2016-2017.
Figure 2 : Offre vaccinale HPV à la population cible des jeunes filles en 2016-2017
La figure 2 présente l’analyse par réseau. Toute ou presque toute la population sous tutelle d’un service PSE du réseau provincial ou des villes/communes reçoit une proposition de vaccination HPV en PSE, alors qu’en CPMS-CF, c’est 63% et dans le réseau PSE libre, 60% seulement. Or, ces 2 réseaux ont la plus importante population sous tutelle, principalement le réseau libre avec près de 60% de la population totale.Ce constat d’hétérogénéité des pratiques vaccinales HPV des services/centres a été déterminant pour réaliser une analyse de la couverture vaccinale HPV dans le sous-échantillon des élèves sous tutelle des services/centres vaccinateurs.
Quels sont les résultats de couverture vaccinale pour les SPSE/CPMS-CF vaccinateurs HPV en 2017 ?
La couverture vaccinale des jeunes filles mesurée dans les services/centres vaccinateurs HPV atteint 51,2 %, contrairement à 3,9% dans les services/centres qui ne proposent pas la vaccination. Ce qui est largement supérieur aux 36,1% obtenus pour l’ensemble des services/centres. Dans les centres vaccinateurs, 90% de la couverture des jeunes filles est réalisée par le médecin scolaire et seulement 10% par les médecins traitants. Cette différence montre que l’implication du médecin scolaire est primordiale pour atteindre les objectifs de vaccination chez l’adolescent.
Quel est le poids de l’autorisation parentale dans la vaccination HPV des jeunes filles en FWB ?
La vaccination par la PSE des élèves mineurs d’âge dépend d’une autorisation parentale. En 2017, dans les services/centres qui proposent la vaccination, 18,4% des parents n’avaient pas autorisé la vaccination par la médecine scolaire : 7,8% déclaraient demander la vaccination HPV chez le médecin traitant et 10,6% des parents disent ne pas souhaiter cette vaccination pour leur fille. Ce « refus » exprimé par les parents pour la vaccination HPV par la PSE, ne peut cependant pas être interprété comme un refus définitif mais plutôt comme un refus momentané, une forme de report, notamment lié à l’âge de l’élève, comme cela a été indiqué sur certaines autorisations vaccinales par les parents.
En quoi l’adhésion des professionnels de santé à la vaccination HPV est-elle importante ?
L’adhésion des professionnels de santé à la prévention vaccinale est déterminante pour la réalisation du programme de vaccination. Les nouveaux médias ont pris une place importante dans l’information ou la désinformation sur la vaccination mais les professionnels restent toujours les référents principaux de la population pour accepter une vaccination, que ces référents agissent au sein de structures préventives comme la PSE ou comme médecins traitants.
Pour le programme de vaccination, connaître les représentations des professionnels vis-à-vis des nouvelles vaccinations permet de mieux développer les stratégies d’information et de formation, particulièrement dans le cas de la vaccination HPV et de sa généralisation à tous les adolescents (filles et garçons).
Quelle est l’adhésion des professionnels PSE à la vaccination HPV ?
Dans le cadre des rencontres annuelles du programme de vaccination avec les professionnels PSE, Provac a recueilli leurs opinions lors des ateliers en mai-juin 2017. Le thème des échanges portait sur les représentations des professionnels PSE relatives à l’extension aux garçons de la recommandation de vaccination contre les HPV.[7]
227 feuilles d’opinions ont été récoltées. Elles ont été complétées par 1/3 de médecins et 2/3 d’infirmier-ères scolaires.
La vaccination HPV des garçons semble recueillir d’emblée une assez bonne adhésion des professionnels de PSE : 90% sont convaincus de la pertinence de cette vaccination chez les garçons vu l’incidence des cancers et des verrues génitales ainsi que l’absence de dépistage actuellement possible ; seuls 16% se disent réticents à la leur proposer. Il reste un noyau d’environ 10% de professionnels réticents à proposer la vaccination HPV aux filles et aux garçons.
Pour ces professionnels, leurs réticences à vacciner sont en lien avec leur conviction de l’efficacité du frottis de col pour prévenir le cancer du col de l’utérus, leur peur de faire croire à l’incitation d’une vie sexuelle précoce, à la difficulté de parler de sexualité avec les jeunes, ainsi que les incertitudes qu’ils perçoivent sur l’efficacité à long terme de la vaccination, et le risque d’un sentiment de fausse sécurité chez les vaccinés. Sur ce dernier aspect, ils sont rejoints par un grand nombre d’autres professionnels, près de 40% de professionnels marquant leur adhésion à cette opinion.
Pour 3 opinions, on observe une différence statistiquement significative entre les opinions des médecins et des infirmiers-ères, les opinions des médecins faisant preuve d’une plus grande adhésion à la vaccination HPV. Les 3 opinions sont les suivantes : « En proposant cette vaccination, j’ai peur de faire croire que j’incite à une vie sexuelle précoce, tant chez les filles que les garçons », « Je pense que cette vaccination doit rester l’objet d’un colloque singulier entre le médecin, les parents et le jeune et n’a donc pas sa place en PSE », « Sur base des éléments dont je dispose aujourd’hui qui ne me rassurent pas sur l’efficacité à long terme, j’estime que cette vaccination risque d’induire un sentiment de fausse sécurité, autant chez les filles que les garçons ».
Il semble donc que, pour mettre en œuvre l’extension de la vaccination HPV aux garçons, on pourra capitaliser sur le travail d’information et de formation des professionnels en PSE réalisés depuis 2010 autour de la vaccination HPV des filles.
Quel est le niveau d’adhésion des médecins privés à l’extension de la vaccination HPV aux garçons ?
Afin de mieux connaitre l’attitude de l’ensemble des médecins face à l’extension du champ de la prévention vaccinale aux adolescents (vaccination contre les papillomavirus humains), une enquête en ligne a été organisée auprès des médecins généralistes, gynécologues et pédiatres de la FWB exerçant principalement en dehors des structures préventives reconnues que ce soient les consultations de l’enfant ou les services/centres PSE. L’enquête s’est déroulée entre le 24 novembre 2017 et le 6 février 2018.[8]462 médecins ont répondu ; 50% sont généralistes, 18,4% pédiatres, 15% gynécologues et 11,5% assistants des différentes spécialisations.
Les médecins sont très favorables à la vaccination HPV tant des jeunes filles (95%) que des garçons (87%), avec un score de 97% pour les gynécologues et 91% pour les pédiatres. Cependant l’insuffisance des données de sécurité pour le vaccin HPV sont pointées par 12% des médecins pour les jeunes filles et 27% pour les garçons. Seuls 1,7% des médecins ne feraient pas vacciner leur fille contre les HPV, ce taux s’élève à plus de 5% chez les médecins les plus jeunes ou les assistants. Les pédiatres sont le plus certain de faire vacciner leur fille contre les papillomavirus. En ce qui concerne la vaccination contre les HPV chez le jeune garçon, 3% des médecins y sont complètement opposés et près de 31% sont hésitants. Ce sont les généralistes puis les pédiatres qui semblent les moins convaincus par cette vaccination pour les garçons.
Il est interpellant de se rendre compte que les médecins les plus hésitants pour la vaccination en général et en particulier pour la vaccination HPV sont les plus jeunes. Bien que médecins récemment formés, ils semblent partager les mêmes réticences et craintes que les sujets (parents) de leur génération. Ils ne sont pas indemnes, malgré leur formation, de l’influence du contexte général ambiant sur la vaccination.
Conclusions et perspectives
Dix ans après la publication de la recommandation par le CSS de la vaccination contre le HPV des jeunes filles, 6 ans après l’introduction de cette vaccination dans le programme de vaccination de la FWB et à la veille de sa généralisation à tous les adolescents filles et garçons, un bilan en termes de couverture vaccinale et du niveau d’adhésion des professionnels semble utile.
L’enquête de couverture vaccinale HPV en 2ème secondaire menée en 2017 permet d’en mesurer le niveau et l’évolution depuis la première enquête en 2013. De 29,2% en 2013, elle est passée à 36,1% en 2017 soit une faible augmentation de 7%. L’objectif du programme HPV d’atteindre 80% de couverture chez les jeunes filles, 3 ans après son introduction, est donc loin d’être atteint malgré les efforts du programme.
Cette enquête a également permis de mieux documenter l’engagement des services/centres et de souligner l’hétérogénéité de leur pratique pour remplir leurs missions décrétales, notamment les missions vaccinales et de récolte d’information statistique.
Les meilleurs résultats obtenus dans le sous-échantillon des services/centres vaccinateurs montrent que 51,2% de la population de jeunes filles sous tutelle sont vaccinées, 46% par la médecine scolaire et 5,2% par un autre vaccinateur. Ces mêmes services/centres rapportent, en début d’année qu’environ 10% des parents souhaitent faire réaliser la vaccination par leur médecin traitant. Ce qui devrait permettre d’atteindre une couverture de 60%.
L’adhésion des professionnels de santé à la généralisation de la vaccination HPV s’est améliorée au fil du temps mais il persiste encore des inquiétudes sur les données de sécurité et de protection à long terme.
2019 verra la vaccination contre les HPV se généraliser aux garçons. Pour avoir un impact populationnel de cette vaccination, les expériences des autres pays rapportent qu’un objectif de 75% de couverture doit être visé. La mobilisation de tous les vaccinateurs sera indispensable pour l’atteindre et l’adhésion des professionnels sera un gage de réussite. Il conviendra également, pour le programme de vaccination, de réfléchir à des stratégies pour rendre plus homogènes les pratiques vaccinales en PSE, améliorer l’adhésion des parents aux recommandations vaccinales et renforcer la participation de l’ensemble des vaccinateurs institutionnels et privés. Les stratégies utilisées doivent en plus viser à la non instauration d’inégalités sociales de santé.
[1] Conseil supérieur de la Santé Avis n°8204 du 2 mai 2007 Vaccination contre les infections causées par le papillomavirus humain, Bruxelles : CSS, 2007.
[2] Miermans M.C., Swennen B., Vermeeren A. L’implantation de la vaccination contre le papillomavirus en PSE, Revue Education Santé Numéro 289, mai 2013
[3] Conseil Supérieur de la Santé. Vaccination contre les infections causées par le papillomavirus humain. Bruxelles: CSS; 2017. Avis n° 9181.[4] Vermeeren A., Goffin F. Statistique de couverture vaccinale en 2ème secondaire en Fédération Wallonie – Bruxelles en 2016 – 2017 Annexe 1 du Rapport d’activité de Provac 2017-2018
[5] Vermeeren A., Miermans M.C., Swennen B. Evolution de 2008 à 2013 des couvertures vaccinales des enfants et jeunes en âge scolaire en Fédération Wallonie-Bruxelles 2014
[6] Miermans M.C., Evolution du statut de vaccinateur HPV des services/centres PSE en FWB de 2011-2012 à 2016-2017, Annexe 2 du Rapport d’activité de Provac 2017-2018