Novembre 2005 Par C. MAILLARD Données

Alors que l’âge de la première expérience amoureuse et sexuelle avance, les tendances montrent que la connaissance des moyens de se préserver des conséquences de ces relations sexuelles, comme les infections sexuellement transmissibles (IST, dont le sida) ou les grossesses non désirées pourrait être meilleure. Une tendance qui est confirmée par l’enquête ULB-PROMES, tout particulièrement pour ce qui concerne le sida. Marlène Alvarez, du SIPS, le centre de planning familial de l’Université de Liège, nous en donne son analyse.
« Prévention et jeunes , cela ne va pas ensemble parce qu’ils vivent en groupe , sont dans le champ des émotions et aiment le risque », explique d’emblée Marlène Alvarez . Une phrase qui, on s’en doute, est tempérée par la suite, mais qui démontre bien la complexité de la tâche qui attend les personnes impliquées dans la prévention auprès d’un public jeune. « Chaque jour ou presque , nous nous demandons comment concilier un message de prévention et de risque avec le désir , l’amour , la sensualité …»

Une oreille de moins en moins attentive

Les premières campagnes contre le sida ont porté leurs fruits: la «génération capote» a bien intégré la prévention et le battage médiatique a joué son rôle. Mais depuis quelques années, les jeunes d’aujourd’hui, trop jeunes à cette époque pour se sentir concernés, ont baissé la garde: les IST sont en recrudescence et le sida en fait partie. « Aujourd’hui , les discours généraux ne suffisent plus . Il faut atteindre les jeunes dans leur personnalité . Au début , quand nous parlions de préservatifs , les jeunes riaient . Puis il y a eu le sida et ils ne riaient plus , ils l’ont utilisé . Aujourd’hui , il est considéré comme un élément qui implique la méfiance alors que la relation est faite de confiance . Il arrive souvent qu’au moment d’avoir des relations , ils en aient sur eux mais n’osent pas l’utiliser . Il faut donc les aider à l’introduire dans leur pratique sexuelle et amoureuse , pour qu’ils ne s’en passent pas
Alors faut-il intégrer les préservatifs dans l’environnement des jeunes, comme n’importe quel objet banal? « Placer des distributeurs de préservatifs partout peut gêner ceux qui n’ont pas encore de vie sexuelle ou qui ne veulent pas l’intégrer , par exemple comme dans certaines cultures . En distribuer gratuitement n’est pas non plus une solution : cela ne responsabilise pas suffisamment les jeunes qui , s’ils n’en ont plus , ne voudront pas nécessairement payer pour en obtenir
L’étude ULB-PROMES démontre par ailleurs que le niveau de connaissance sur les modes de transmission du sida est moindre chez les jeunes qui suivent un enseignement professionnel ou technique. Faut-il dès lors prévoir des campagnes plus spécifiques pour ce public? « Je ne suis pas certaine . D’après notre expérience , ces jeunes se montrent moins intéressés , plus résistants à une information sur le sida . Très vite , il est difficile de continuer à discuter sur le sujet . Pourtant , ces jeunes commencent une vie sexuelle plus tôt , ont plus souvent des partenaires multiples Ils se sentent valorisés par leur vie sexuelle , la valorisation par le statut social étant minime . C’est comme un rituel de passage pour devenir un homme : ils ne sont pas attachés à la fille , mais sont plus intéressés par l’image de leur virilité qu’ils vont pouvoir montrer . Ils considèrent trop souvent que le préservatif est synonyme de perte de virilité . Alors échafauder une campagne spécifique ne peut que les stigmatiser . Il faut selon moi être à leur écoute sans jugement , leur donner l’occasion d’avoir des lieux d’échange et de reconnaissance

La pilule: difficile à avaler…

Autre phénomène: les grossesses non désirées ou leur crainte a fait augmenter la prescription des pilules du lendemain. La prise de pilule contraceptive est en baisse chez certaines filles, excepté celles de l’enseignement professionnel: « Ces filles ont compris que la pilule pouvait les aider dans un projet de vie en évitant une grossesse non désirée qui va le contrecarrer . Elles ont un projet d’étude , de vie professionnelle nettement plus clair et veulent accueillir l’enfant dans les meilleures conditions possible » explique Marlène Alvarez. Un cheminement qui n’est pas fait par toutes les filles pour qui prise de pilule équivaut à une relation stable et durable, un engagement dont elles n’ont pas nécessairement envie dans l’immédiat et qu’elles rejettent temporairement.
Notons que le degré de connaissance sur la pilule est très lié à ce que disent les mères. Et des raisonnements comme «Puisque ma mère est tombée enceinte alors qu’elle prenait la pilule, je ne la prendrai pas» ou «Ma mère m’a dit qu’elle n’a pas pu avoir d’autres enfants parce qu’elle a pris la pilule trop longtemps» ne sont pas rares…
« Quant au prix des contraceptifs oraux , il est nettement trop élevé et n’aide pas les jeunes filles à adopter ce mode de contraception ( 1 ). En plus , il faut le coupler au préservatif pour se protéger non pas uniquement contre une grossesse non désirée , mais contre les IST . Il y a dans notre politique de santé des situations illogiques : l’interruption volontaire de grossesse est remboursée par la sécurité sociale alors que les pilules contraceptives ou du lendemain coûtent très cher . Cette politique doit être mieux concertée , sur un plan plus global . Car les jeunes sont très sensibles aux contradictions d’un système ; s’ils s’y arrêtent , ils risquent d’abandonner la prévention », poursuit Marlène Alvarez. Par ailleurs, les pilules contraceptives requièrent la consultation et la prescription par un médecin, ce qui peut freiner certains jeunes qui craignent que leurs parents n’en soient informés…
Que ce soit pour la prévention des IST ou des grossesses non désirées, Marlène Alvarez prône une complémentarité des canaux d’information: « Les campagnes purement informatives vers le public le plus large possible ont montré leurs limites . On sait que les jeunes ont d’autres sources d’informations : les copains , internet , à côté des brochures ou des séances d’information organisées par les écoles . Il faut que ces moyens , qui peuvent être efficaces et remplir leur rôle , intègrent les valeurs des jeunes et soient utilisés à côté des contacts directs , des rencontres personnelles pour parler de situations particulières . Les uns ne vont pas sans les autres
Et elle se dit épatée à certains moments par la capacité qu’ils ont à réfléchir et s’interroge sur la place que notre société laisse aux questionnements des jeunes.

Etre parent, mais pas trop!

Par ailleurs, il est important d’encourager les parents à ne pas avoir peur d’informer leurs enfants sur la sexualité sans pour autant s’immiscer dans la vie privée de leur progéniture: « La relation entre parents et ados n’est pas facile , les premiers considérant que leur enfant ne les verra jamais comme de bons parents et vice versa . Et même lorsqu’il y a un dialogue entre les deux parties , il y a une grande attente des uns envers les autres qui ne peut que mener à la frustration .
Et lorsque les parents sont trop écoutants et négociants , ils n’acceptent pas toujours que leur enfant ne leur dise pas tout . Or , la conservation d’un jardin secret est essentielle dans la relation parent enfant . Quant aux parents qui ne s’occupent pas de cet aspect de la vie de leur enfant , par exemple parce qu’ils sont pris dans un rythme de vie trop rempli , ils ne savent plus comment aborder la question Bref , très souvent les parents démissionnent , mais pas volontairement . Car il est très difficile d’accepter d’être là sans l’être trop , de se mêler de la vie de leur enfant mais seulement quand il le demande et de le laisser fixer les limites , d’encourager l’enfant à parler sans lui donner l’impression de vouloir savoir », conclut Marlène Alvarez.
Carine Maillard
Référence: D. Piette, F. Parent, Y. Coppieters, D. Favresse, C. Bazelmans, L. Kohn, P. de Smet, La santé et le bien-être des jeunes d’âge scolaire. Quoi de neuf depuis 1994?, ULB PROMES, décembre 2003. Le document est accessible sur le site http://www.ulb.ac.be/esp/promes .
(1) Notons quand même que depuis le 1er mai 2004, sur une initiative du Ministre fédéral de la Santé Rudy Demotte, les jeunes filles et jeunes femmes de moins de 21 ans paient 3 euros en moins par mois pour leur contraception (cf. C. De Bock, ‘Un meilleur accès à la contraception pour les jeunes’ , in Education Santé n° 192, août 2004. Cette mesure est toujours d’application (ndlr).