Février 2012 Stratégies

Le CRIOC, en collaboration avec le Conseil de la Jeunesse, Univers santé, Éducation santé, Question Santé, Nadine Fraselle, gestionnaire de recherche UCL et 60 associations francophones et néerlandophones de la société civile souhaitent la mise en place d’un Conseil fédéral de la publicité en Belgique afin de mieux encadrer les pratiques commerciales et promotionnelles.

Pourquoi un Conseil fédéral de la publicité ?

Dans le débat sur la publicité, il est une question essentielle, celle de son contrôle.
Le contrôle de la publicité relève d’un enjeu transversal de notre société. Éducation, santé, égalité des chances, citoyenneté, surendettement, développement durable, assuétudes, sont autant de thématiques pour lesquelles organismes d’éducation ou autorités publiques sont actives via de nombreuses politiques et campagnes de prévention et de sensibilisation.
Dans un contexte où ces campagnes et politiques sont mises à mal par des messages publicitaires contradictoires et où les stratégies et techniques publicitaires sont de plus en plus insidieuses et agressives, n’est-il pas temps de s’interroger sur les limites à poser à la publicité?
Si la loi sur les pratiques du marché protège les consommateurs d’une publicité trompeuse et déloyale par une importante réglementation économique, il n’existe toujours pas en 2012 de contrôle public de l’éthique publicitaire. Or, il s’agit d’un enjeu fondamental compte tenu du poids considérable de la publicité dans notre société, des importants revenus qu’elle génère, de son omniprésence et enfin, de son influence sur nos représentations sociales et nos comportements de consommation, plus particulièrement chez les jeunes et les consommateurs vulnérables.
C’est pourquoi associations et représentants de la société civile réclament depuis de nombreuses années maintenant la mise en place d’un organe fédéral public afin d’encadrer les messages publicitaires.
Contrôle de la publicité

Tous les systèmes économiques montrent qu’en l’absence d’une régulation publique, les intérêts individuels entrent en conflit. Une régulation publique permet d’échapper à l’influence de tout opérateur actif dans le secteur soumis à régulation, tenté de défendre ses intérêts propres plutôt que l’intérêt général. La défense de l’intérêt général doit donc reposer sur une indépendance du contrôle effectué.
Défense de l’intérêt général, indépendance, sécurité juridique, égalité de traitement, caractère contraignant, telles sont les garanties offertes par une régulation publique.
L’autorégulation quant à elle a démontré à suffisance qu’elle était inappropriée. Il suffit de prendre pour exemple le secteur de la finance. Cette tendance ne peut absolument pas être privilégiée. L’autorégulation ne peut devenir une alternative à la protection légale. C’est pourquoi il est plus que jamais nécessaire d’instaurer un contrôle public de la publicité.
Actuellement, c’est le Jury d’Éthique Publicitaire (JEP), qui a pour mission de contrôler la conformité des messages publicitaires en se fondant sur la législation et les codes d’autodiscipline.
Le JEP est un organe issu du secteur lui-même, à savoir le Conseil de la publicité, lequel a pour but «la promotion, la valorisation et la défense de la communication publicitaire et de sa liberté, facteur d’expansion économique». (1)
Ce «contrôle» effectué par cet organe privé n’est ni satisfaisant, ni efficace, en raison de nombreuses lacunes et imperfections.
•Un large pan de la publicité ne connait aucun contrôle. Il s’agit ici de ce que l’on appelle l’«undercover marketing» ou encore la masse publicitaire «below the line». Or, cette dernière constitue(rait) (2) la majorité des investissements publicitaires. Un des arguments principaux en faveur de l’autorégulation est pourtant de pouvoir s’adapter rapidement aux changements sociaux et technologiques. Force est de constater que tel n’est pas le cas.
•L’action de vigilance éthique actuelle repose entièrement sur la collaboration volontaire des médias et/ou des annonceurs, ceux-là même qui la financent. L’indépendance du contrôle est donc mise à mal.
•Le contrôle ne s’effectue pas de manière systématique. Ce dernier est laissé à l’unique vigilance des consommateurs.
•Il n’existe pratiquement aucunes données publiques relatives à la publicité – en dehors des plaintes enregistrées par le JEP- ce qui implique l’absence totale d’analyses et d’études sérieuses de la publicité sur base de données fiables.
•Les campagnes de prévention et les messages d’intérêt général émanant d’organismes d’éducation ou d’autorités publiques sont trop souvent annihilés par des messages publicitaires en totale inadéquation avec ceux-ci.
Il n’est plus acceptable aujourd’hui de ne pas répondre à ces nombreux manquements. Et le meilleur moyen d’y répondre efficacement et de manière satisfaisante est d’assurer un contrôle public de la publicité.
Le Conseil fédéral de la publicité

Cet organe serait non seulement un instrument efficace de recherche et d’analyse du secteur de la publicité, mais aussi un outil efficace d’encadrement de l’ensemble des pratiques publicitaires.
Ce lieu de discussion et d’action aurait donc, outre une vocation scientifique, une réelle mission de service public. Cette mission doit être reflétée par sa composition qui doit, au sein de cet organe public, rassembler de manière équilibrée toutes les parties prenantes de la problématique.
Des organes similaires et/ou complémentaires pourraient par ailleurs alimenter la réflexion, à l’instar du Conseil supérieur de l’audiovisuel.
Ses missions:
Ce Conseil fédéral de la publicité remplirait 3 grandes missions distinctes.
Observation
L’observation de l’ensemble des pratiques publicitaires permettrait de mieux comprendre les enjeux et ainsi d’agir plus efficacement sur la régulation de la publicité.
Cette mission d’observation se traduirait notamment par:
-réaliser des analyses et études scientifiques sur la thématique publicitaire;
-collecter dans un but de transparence toutes les données disponibles relatives au secteur de la publicité au sens large, quel qu’en soit le type de support;
-émettre des avis et adresser des recommandations aux pouvoirs publics et aux annonceurs, d’initiative et à la demande de ces derniers;
-réaliser un outil d’évaluation de l’impact sociétal et environnemental de la publicité.
Contrôle
Le contrôle effectué par cet organe comprendrait l’ensemble des pratiques publicitaires et ne serait pas uniquement conditionné à une procédure de plainte. Un large pouvoir d’auto-saisine devrait lui être reconnu.
Le contrôle souhaité permettait également d’aboutir à des sanctions dissuasives et contraignantes.
Cette mission de contrôle se traduirait notamment par:
-créer au sein du Conseil fédéral de la publicité une commission de contrôle et de traitement des plaintes compétente pour prendre des décisions contraignantes et dissuasives telles que l’interdiction de diffusion, des sanctions financières, etc.;
-rediriger, le cas échéant, les plaintes des consommateurs vers les organes compétents;
-élaborer les outils indispensables à un contrôle effectif et efficace en complément de la législation.
Prévention
Cette mission serait dirigée vers le consommateur pour son information et sa protection, mais aussi vers l’ensemble des opérateurs du secteur de la publicité (annonceurs, diffuseurs, etc.).
Cette mission de prévention se traduirait notamment par:
-aider dans les limites de sa mission toute personne ou entreprise sollicitant une consultation et/ou information;
-développer des politiques incitatives convaincantes avant diffusion afin d’éviter, à l’instar de ce qui se passe aujourd’hui, des sanctions a posteriori inefficaces et invisibles pour le consommateur;
-communiquer les observations réalisées par le Conseil, notamment pour alimenter le travail des acteurs de l’éducation mais aussi des responsables politiques;
-soutenir les démarches éducatives.
Enfin, cet organe transmettrait un rapport d’activité annuel à la Chambre des représentants et au Sénat. Ce rapport garantirait à la fois la transparence et l’indépendance de son fonctionnement.
Le financement du Conseil fédéral de la publicité

Créer un pareil organe ne peut s’envisager sans une recherche de financement adéquat.
Le Conseil devrait bénéficier d’un financement satisfaisant pour la réalisation de ses missions publiques, négocié avec le gouvernement fédéral.
Ce financement public devrait couvrir à la fois les frais de fonctionnement et les frais de personnel du Conseil. Pour ce faire, celui-ci devra être inscrit au budget du gouvernement fédéral. En outre, la fiscalisation de la publicité est une piste qu’il ne faut pas négliger.
L’industrie publicitaire pèse environ 3% du PIB belge. Ce secteur génère entre 5 et 8 milliards d’euros par an. Or, la pub est «défiscalisée», privant ainsi l’État de recettes qui solutionneraient aisément cette question du financement. Une participation financière à hauteur de seulement 0,1% des montants engagés dans les campagnes publicitaires représenterait un budget annuel de l’ordre de 2,4 millions d’euros (3). On peut estimer raisonnablement qu’un tel budget est suffisant pour remplir toutes les missions incombant au Conseil.
La fiscalisation de la publicité apparaît d’autant plus comme une mesure légitime eu égard à ses impacts sociaux, sanitaires et environnementaux. Cette mesure s’inscrit en outre dans le cadre de la fiscalité verte que l’OCDE somme la Belgique de mettre en place.
Enfin, ce financement pourrait également prendre la forme d’un ‘fonds’ pour le respect des bonnes pratiques publicitaires, alimenté par les entreprises tenues au paiement d’une cotisation annuelle prélevée en proportion de leur volume d’activité et tenues à une contribution proportionnelle aux sanctions reçues, selon le principe communément connu sous le nom de ‘pollueur payeur’.
Rappelons que l’Alliance européenne pour l’éthique en publicité dont est membre le JEP recommande elle-même que l’autorité de régulation soit financée par un système de perception basé sur une taxe sur l’ensemble des dépenses publicitaires à l’instar des organismes suédois, anglais ou encore néerlandais.
En tout état de cause et quel que soit le système de financement retenu, une totale indépendance de fonctionnement du Conseil doit être garantie.
Conclusions

Le vide actuel accentue le besoin d’un débat et d’une réflexion sur le rôle du marketing et des pratiques publicitaires dans notre société et, par conséquent, sur l’opportunité de développer des structures et/ou des mécanismes qui correspondent plus aux besoins et aux attentes des consommateurs et de leurs représentants.
Un Conseil fédéral de la publicité doté des missions précitées répondrait adéquatement à ces attentes. Santé publique, assuétudes, environnement, éducation, égalité des chances, sont autant de thématiques essentielles en lien avec la publicité. Seul un contrôle public de cette dernière permet de garantir au citoyen un niveau de protection élevé et effectif, synonyme d’une publicité éthique et responsable. Le secteur privé ne pourra jamais se substituer au secteur public dans la défense de l’intérêt général. Penser le contraire relève de l’illusion ou de la mauvaise foi.
Enfin, une régulation publique de la publicité n’est pas antinomique avec une prospérité économique et une liberté de création propres à l’activité publicitaire. Au contraire, elle participe au développement de la responsabilité sociale des entreprises par des pratiques plus respectueuses des consommateurs.
Desperate Housewifes

Vous avez peut-être eu l’occasion d’apprécier le dernier spot de la marque de whisky William Lawson’s (groupe Bacardi-Martini), mettant en scène un robuste bûcheron higlander à moitié nu, accueilli chez lui par trois créatures de rêve après une dure journée de labeur .
Une consommatrice sans doute peu sensible à son charme viril a porté plainte auprès du Jury d’éthique publicitaire contre cette réclame qui a ses yeux est sexiste et contrevient à la règle d’autodiscipline selon laquelle les producteurs de spiritueux s’engagent à ne pas utiliser le levier du sexe (!) pour vendre leurs boissons.
Le JEP a renvoyé la plaignante à ses chères études, comme en témoignent les lignes ci-dessous.
‘Comme annoncé, le Jury a examiné la publicité en question en tenant compte des arguments de l’annonceur et du plaignant.
Le Jury a examiné le spot TV, notamment au regard des dispositions de la Convention en matière de conduite et de publicité des boissons contenant de l’alcool et des Règles en matière de représentation de la personne.
Tout d’abord, le Jury a constaté que le spot en question reprend le personnage habituel du ‘Highlander’ des campagnes pour William Lawson’s. Il a noté que ni ce personnage ni les femmes présentes dans ce spot ne consomment des boissons contenant de l’alcool. L’alcool n’est d’ailleurs pas présent dans le scénario.
Compte tenu de ce qui précède, le Jury a estimé que la publicité en question n’est pas en infraction avec la Convention, notamment avec l’article 3.3. qui dispose que «la publicité ne peut pas suggérer que la consommation d’alcool mène à la réussite sociale ou sexuelle – bien qu’elle puisse évoquer une ambiance agréable ou conviviale associée à la consommation de l’alcool».
Par ailleurs, le Jury a constaté que le spot montre trois femmes entourant l’homme (‘Highlander’) d’égards après qu’il ait coupé du bois. La voix off dit «Un ancien philosophe chinois disait ‘Ne pas savoir choisir est une faiblesse’. Un Highlander disait autrefois ‘N’écoutez jamais les philosophes chinois’.» Le Jury a constaté que la mise en scène du spot illustre ce thème.
Le Jury a estimé que ces scènes (avec l’homme et les femmes) complétées par la voix off, témoignent de l’esprit décalé de la publicité. En outre, il a relevé que les femmes s’affairent autour de l’homme dans une ambiance consensuelle et qui ne semble pas contraignante pour les femmes.
Le Jury est donc d’avis que cette publicité n’est pas en infraction avec les Règles en matière de représentation de la personne.
A défaut d’infraction aux dispositions légales et autodisciplinaires, le Jury a estimé n’avoir pas de remarques à formuler.’
En résumé, ‘no rules, great spot !’
Christian De Bock

Les signataires

Algemeen Belgisch Vakverbond – A.B.V.V.; Algemeen Christelijk Werknemersverbond – A.C.W.; Algemene Centrale van Liberale Vakbonden van België – A.C.L.V.B.; Alliance Nationale des Mutualités Chrétiennes –A.N.M.C.; Association 21; Astrac; Belgische Federatie van de Sociale en Coöperative Economie – Febecoop; Beweging van Mensen met Laag Inkomen en Kinderen; Centrale Générale des Syndicats Libéraux de Belgique – C.G.S.L.B.; Centre coopératif de l’Éducation Permanente; Centre d’Appui aux services de médiation de dettes de la Région de Bruxelles-Capitale; Centre de Référence en province de Liège – GILS; Centre de Référence de médiation de dettes pour la province de Namur – Medenam; Centre féminin d’Éducation Permanente; Centre pour l’Égalité des Chances et de la Lutte contre le Racisme; Centrum Kauwenberg; Landsbond der Christelijke Mutualiteit – L.C.M.; Conseil de la Jeunesse; CRIOC – Centre de Recherche et d’Information des Organisations des consommateurs; Délégation Générale aux Droits de l’Enfant; Ecolife; Éducation Santé; Équipes Populaires – E.P.; Fédération belge de l’économie sociale et coopérative – Febecoop ; Fédération Générale du Travail de Belgique – F.G.T.B.; Fedito bruxelloise; Fedito wallonne; Femmes Prévoyantes Socialistes – F.P.S; Forum Universitaire de Coopération Internationale et de Développement – F.U.C.I.D.; Gezinsbond; Greenpeace; Infor-drogues; Institut pour un développement durable; Inter-Environnement Bruxelles; Inter-Environnement Wallonie; Komimo; Kristelijke Arbeidersvrouwenbeweging – K.A.V.; Kristelijke Werknemersbeweging – K.W.B.; Latitude Jeunes; Ligue des familles; Mobiel 21; Mouvement Ouvrier Chrétien – MOC; Nadine Fraselle, gestionnaire de recherche UCL; Nationaal Verbond van Socialistische Mutualiteiten – N.V.S.M.; Netwerk Bewust Verbruiken; Office des Pharmacies Coopératives de Belgique – OPHACO; OIVO – Onderzoeks en Informatiecentrum van verbruikersorganisaties; POSECO – Centre d’information pour une économie positive; Question Santé; Réseau de consommateurs responsables; Réseau financement alternatif; Service Droits des jeunes ; Solidarité des Alternatives Wallonnes et Bruxelloises – SAW-B; Tourisme Autrement; Union Nationale des Mutualités Socialistes; Univers santé; Verbraucherschutzzentrale Oostbelgie –VSZ; Verbruikersateljee; Vereniging der Coöperatieve Apotheken van België; Vereniging voor Alcohol en andere Drugproblemen – VAD; Vie Féminine; VIVA – Socialistische Vrouwen Verening; Vlaams Centrum Schuldbemiddeling; Vlaams Instituut voor Gezondheidspromotie en Ziektepreventie; Vlaams Netwerk van Verenigingen Waar Armen het Woord Nemen.
Personnes de contact
Morgane Caminiti: morgane.caminiti@crioc.be – 02 547 06 33 – 0473 30 30 47
Martin de Duve: martin.deduve@uclouvain.be – 010 47 33 74 – 0478 20 63 77
(1) http://www.conseildelapublicite.be
(2) Les chiffres officiels sur l‘ensemble des investissements publicitaires n’existent pas, ce qui pose problème et est caractéristique du manque de transparence du secteur. Cependant, de nombreuses estimations indiquent qu’environ 70% des investissements publicitaires et commerciaux se situeraient dans le «below the line».
(3) En prenant pour référence les chiffres de l’année 2005 pour la publicité «above the line».