À Télé-Accueil Bruxelles, la folie s’entend chaque jour au bout du fil. La santé mentale est au coeur de quatre appels sur dix: dépression, paranoïa, mélancolie, perversité, phobies, schizophrénie, délire, etc. Les références à la psychopathologie ne sont pas rares. Nous nous sommes arrêtés plus spécifiquement sur les appels où l’on perçoit des éléments de la psychose. Que viennent chercher au 107 ces appelants en souffrance psychique et qu’y trouvent-ils ? Quelle place aussi le service d’écoute leur accorde-t-il ?
L’Observatoire social de Télé-Accueil Bruxelles vient de terminer une recherche basée sur une centaine de récits d’appels relatés par les écoutants bénévoles, sur les statistiques de l’asbl et sur des rencontres avec des spécialistes en hôpital, en institution psychiatrique et en centre de santé mentale.
Premiers constats
La répétition
Tous les jours, à chaque permanence, toutes les heures, à peine raccroché parfois, le téléphone sonne à nouveau avec, au bout du fil, toujours la même personne. Le nombre de ces appelants réguliers, voire compulsifs et que nous appelons ‘les habitués’ ne cesse d’augmenter. Ces appels ne sont pas nécessairement longs, quelques minutes à peine parfois, au cours desquelles, souvent, ces appelants déroulent un contenu tout aussi répétitif.
Le diagnostic
Les écoutants n’ont pas à établir de diagnostic… Quelques appelants s’en chargent eux-mêmes. Certains nomment d’emblée leur trouble ou leur traitement, ils entament la conversation par un lapidaire «Je suis bipolaire» ou «Je prends de l’Haldol» . Quel est le sens de se présenter de cette manière ?
«Se nommer via sa pathologie peut donner de la consistance, voire une identité. Reste aux écoutants à entendre cet appel comme une demande de reconnaissance», dit Pascal Kayaert, directeur adjoint de Télé-Accueil Bruxelles.
L’absence de dialogue
Les appelants en souffrance psychique ont besoin d’un interlocuteur qui serve d’ancrage à leur discours; ils ont besoin d’une adresse. Télé-Accueil endosse ce rôle de ‘secrétaire’. Les appels de ce type peuvent incommoder les écoutants. Ils n’ont pas toujours la possibilité de placer un mot ! «Ces appelants semblent ne pas disposer du mode d’emploi pour entrer en relation avec l’autre. Appelants et écoutants ont comme des codes différents qui désarçonnent les uns et les autres», constate Myriam Machurot , formatrice à Télé-Accueil Bruxelles.
Une présence indéfectible
Plus de 58% des appelants vivent seuls. Le lien social est au coeur de 12% des appels en général et ce chiffre grimpe à 21% dans les appels de personnes en souffrance psychique. «Télé-Accueil peut faire office de point fixe dans l’univers d’un délirant. Celui-ci délire justement parce qu’il s’est trouvé sans repères suffisamment solides à un moment clé de sa vie. Pour certains, il suffit de savoir qu’en faisant le 107 quelqu’un va décrocher pour se sentir rassurés. Ils ne recherchent pas de longues discussions mais la confirmation que Télé-Accueil est toujours là, bien à sa place», dit une psychologue.
Quel message?
Que dégager de ces appels parfois envahissants, de ces propos parfois incohérents ? Les appelants parlent de leur souffrance mais le 107 peut être aussi un endroit où déverser la rage de ce qui les dépasse. Ces appels ne sont pas toujours exempts d’agressivité, de violence ou d’insultes, la problématique amenée est une mouvance sans direction. Certaines réactions peuvent enclencher des réponses explosives, les mots étant pris au pied de la lettre.
La certitude contenue dans le discours de l’appelant fait barrage au questionnement. «L’une des caractéristiques de certains appelants aux prises avec la psychose est la certitude psychotique», explique Myriam Machurot. «Un appelant est convaincu que tout ce qui est énoncé lui est personnellement adressé. Cela peut également se jouer dans le lien appelant/écoutant.» Un indice qui renvoie à nouveau l’écoutant à son rôle de secrétaire…
«Suis-je fou ?» Cette question existentielle est posée parfois de manière lancinante, obsédante comme les éléments qui la génèrent. Certaines personnes ont le sentiment que tout s’effondre en elles et autour d’elles. C’est le moment de la décompensation psychotique, moment particulièrement douloureux où l’appelant perd tous ses repères. Le sujet psychotique cherche à comprendre ce qui lui arrive. Il va réorganiser le monde selon une autre logique, le délire tente de redonner un sens à ce qui fait défaut.
Le choix du moment et de la posture
L’appelant choisit le moment de la parole et l’endroit d’où il parle. Il va jusqu’à choisir l’état dans lequel il appelle. La consommation d’alcool, d’anxiolytiques, de neuroleptiques ponctue en effet le quotidien de nombreux appelants.
Télé-Accueil, un psy comme un autre ? Nos statistiques montrent que sept appelants en souffrance psychique sur dix sont suivis par un thérapeute. Des appelants abordent également l’internement, les séjours à l’hôpital, les cures, la fréquentation de centres de jour…
Ceci pose la question de la place de Télé-Accueil dans leur parcours de soin. Est-ce un complément ? Selon un psychiatre, «le cadre est différent d’une thérapie avec des rendez-vous. C’est une question de moment, du moment de la crise. Les appelants ne s’attendent pas non plus à une interprétation, à une suite. C’est un endroit où déposer quelque chose, se plaindre sans qu’il y ait un retour.»
La peur de consulter n’est pas absente non plus. Un appel téléphonique n’est pas une confrontation, il permet une distance parfois nécessaire. Il permet aussi de s’entraîner à prendre la parole, à formuler ses pensées, à tirer des sentiments au clair. Des appelants s’en satisfont un temps, court ou long, d’autre franchiront ensuite le pas vers une confrontation physique, un face-à-face avec un thérapeute. Ils dépasseront le ‘tout, tout de suite’ en prenant un rendez-vous, qui fait déjà partie d’une autre démarche de soin.
Les effets du 107
Les appelants vont-ils mieux après un appel à Télé-Accueil ? Le contenu des propos chargés de désespoir et de difficultés diverses est parfois rude à entendre. Mais si appeler le 107 n’est pas sans effet, comme aucun suivi n’est instauré, il est difficile de l’évaluer.
«D’une certaine façon», dit un psychiatre, «le patient essaie de créer un processus de guérison qui ne passe pas par le biais du spécialiste qui sait mais par le biais de celui qui l’écoute car la parole est quelque chose que l’on adresse à soi autant qu’à l’autre: quand on parle, on s’écoute parler. En acceptant l’anonymat et le contrat de non-agir, la parole du patient est mise en valeur. Télé-Accueil n’essaie pas de soigner mais d’écouter. Il renforce d’une certaine façon le potentiel autoguérissant de la parole du patient.»
Le rapport de recherche complet est disponible sur http://www.tele-accueil-bruxelles.be/publications.php.Contact: Télé-Accueil Bruxelles. Tél.: 02 538 49 21 – Courriel: secretariat@tele-accueil-bruxelles.be