Petit rappel
Dépister une maladie c’est rechercher sa présence chez un individu qui n’en présente pas (encore) les symptômes. Un test de dépistage «positif» ne signifie pas nécessairement que l’individu est atteint de la pathologie recherchée, mais invite à procéder à des examens complémentaires.
La démarche du dépistage est, par essence, tout à fait différente de celle du diagnostic qui a pour objet la mise au point d’un symptôme.
L’objectif du dépistage du cancer est de réduire la mortalité liée à l’affection recherchée en intervenant précocement dans son histoire naturelle, c’est-à-dire avant que des métastases ne se soient développées.
Seuls ceux qui sont atteints de l’affection pourront bénéficier du dépistage. Vu que la toute grande majorité des individus soumis au dépistage ne sont pas atteints de l’affection recherchée, il est très important de s’assurer que les effets négatifs de cette démarche soient réduits au minimum.
Il faut distinguer le dépistage «individuel» qui se justifie chez des individus qui présentent un risque plus élevé d’être atteints d’une pathologie en raison de l’existence d’anomalies génétiques ou de certains antécédents médicaux, et le dépistage «de masse» ou «organisé» qui est une démarche de santé publique, c’est-à-dire qui a pour objectif d’améliorer la santé de la population dans son ensemble.
Cancer de la prostate et dépistage de masse
Le dépistage «de masse» est une entreprise difficile et exigeante qui doit répondre à un certain nombre de conditions. Trois d’entre elles sont essentielles.
Il doit s’agir d’une affection fréquente, responsable d’une mortalité et/ou d’une morbidité élevées. Le cancer de la prostate est un cancer fréquent (5129 nouveaux cas en 1998). Son incidence croît à partir de 50 ans, et 56% des nouveaux cas apparaissent après 70 ans (Registre du cancer 1998).
En 1997, dernière année pour laquelle nous disposons de chiffres pour la Belgique, 1924 hommes sont décédés d’un cancer de la prostate. 1325 (69 %) sont survenus après 75 ans, 1813 (94 %) sont survenus après 65 ans (Institut scientifique de santé publique).
Si l’on considère une espérance de vie de 74 ans, la proportion d’années de vie perdues attribuées à la mortalité liée au cancer de la prostate par rapport aux années de vie perdues attribuées à la mortalité totale par cancer est de 3,49 % . A titre de comparaison, elle est de 36,24 % pour le cancer du poumon chez l’homme, de 8,06 % pour le cancer colo-rectal chez l’homme et de 29,95 % pour le cancer du sein chez la femme.
Le traitement doit être plus efficace que s’il avait été appliqué à l’apparition des symptômes . Cette efficacité plus grande doit se traduire par une réduction de la mortalité «spécifique», c’est-à-dire liée à l’affection recherchée. Cet effet doit, idéalement, avoir été démontré dans des études rigoureuses, comparant la mortalité spécifique dans des groupes qui ont été invités à bénéficier d’examens de dépistage à celle constatée dans des groupes «témoins».
De telles études sont en cours pour le dépistage du cancer de la prostate. Nous ne disposons pas de résultats actuellement. Gardons à l’esprit que si le dépistage avance toujours le moment du diagnostic, il ne recule pas nécessairement celui du décès.
Il n’est intéressant de trouver un cancer avant qu’il ne se manifeste par des symptômes que si cela permet d’augmenter l’espérance ou la qualité de vie. Si ce n’est pas le cas, la conséquence du dépistage sera une connaissance anticipée du diagnostic avec une perturbation de la qualité de vie.
Il faut disposer de tests fiables , c’est-à-dire qui ont une bonne sensibilité et une bonne spécificité .
Un test qui a une bonne sensibilité reconnaît la présence de la maladie chez les individus qui en sont atteints. Si la sensibilité du test est mauvaise, certains individus atteints de la maladie seront considérés comme «non atteints». Le test est alors «faussement négatif» et l’individu atteint est rassuré à tort.
La sensibilité du PSA est de 75 à 80%. Un taux de PSA (1) inférieur à 4 ng/ml ne permet donc pas d’exclure totalement la présence d’un cancer.
Un test qui a une bonne spécificité reconnaît comme «sains» les individus qui ne sont pas atteints de la maladie. Si la spécificité du test est mauvaise, certains individus non atteints de la maladie seront considérés comme «atteints». On dit alors que le test est «faussement positif» et certains individus «non atteints» seront soumis à des examens complémentaires inutiles entraînant des coûts psychologiques et financiers.
La valeur prédictive positive d’un test indique la proportion d’individus atteints de la pathologie recherchée parmi tous les individus dont le test est «positif». Elle dépend de la spécificité du test et de la prévalence (fréquence) de la maladie. La valeur prédictive positive d’un PSA supérieur à 4 ng/ml est de 30%. C’est-à-dire que pour 100 hommes qui ont un PSA supérieur à 4 ng/ml et devront subir des examens complémentaires, 70 n’auront en réalité pas de cancer de la prostate.
Ces conditions s’appliquent aussi au dépistage individualisé.
Effets positifs et négatifs
Le dépistage est généralement perçu comme une démarche n’ayant que des effets bénéfiques. Des effets négatifs peuvent néanmoins apparaître.
‘ Il est dès lors indispensable, pour des raisons éthiques, de s’assurer que les bénéfices seront plus importants que les effets négatifs ‘ (J. Austoker, Cancer prevention in primary care, 1995).
Les effets bénéfiques du dépistage sont
-la possibilité d’un traitement plus efficace que s’il est effectué lors de l’apparition de symptômes. Cette efficacité plus importante doit se traduire par une réduction de la mortalité spécifique. Pour le dépistage du cancer de la prostate, nous ne disposons pas de données actuellement.
-la «réassurance» de ceux dont le test de dépistage est «négatif».
Les effets négatifs du dépistage peuvent être liés au test lui-même ou aux effets du traitement .
Les premiers concernent les faux positifs et les faux négatifs déjà évoqués ci-dessus, ainsi que le risque de «sur-traitement»: il s’agit de la détection de cellules cancéreuses (cancers latents) qui ne se seraient pas développées (à 80 ans, 43 % des hommes ont des cellules cancéreuses dans leur prostate). La proportion de cancers cliniquement significatifs qui risquent de mettre la vie en danger est de loin inférieure à la proportion de cancers «latents»!
Les effets négatifs liés au traitement sont le risque d’impuissance et le risque d’incontinence.
Actuellement il n’est pas démontré que le traitement réalisé à un stade précoce améliore le pronostic vital.
Le coût des tests de dépistage et des mises au point en cas de test «positif» doivent être pris en considération. Il faut en effet que les ressources financières disponibles pour la santé de l’ensemble de la Communauté soient utilisées de façon optimale. Nous n’avons pas de garantie en cette matière pour le dépistage de masse du cancer de la prostate.
Conclusion: manque d’arguments décisifs
Le dépistage de masse ne peut être recommandé en l’absence de preuves d’efficacité de la démarche pour réduire la mortalité spécifique.
Nous ne disposons pas non plus d’arguments scientifiques pour recommander le dépistage individuel. Il n’est soumis à aucun contrôle de qualité et son impact ne peut être évalué. Celui-ci est cependant largement répandu. Il est réalisé à l’initiative de praticiens ou à la demande de consultants qui souhaitent être rassurés.
Généralement, les uns et les autres ne prennent en considération que les éventuels bénéfices et ignorent ou occultent les effets négatifs. La publicité faite en faveur du dépistage par des firmes pharmaceutiques ou sur des sites internet n’y est pas étrangère.
La réassurance en cas de test «négatif» est certainement l’atout majeur du dépistage du cancer de la prostate, et le seul bénéfice démontré. Il ne faut cependant pas oublier qu’il y a des «faux négatifs», c’est-à-dire qu’un taux de PSA normal ne peut totalement exclure l’existence d’un cancer.
Si le test est «positif», soit dans environ 10% des cas, il faudra réaliser une mise au point complémentaire incluant des biopsies. Heureusement, au bout du compte, 70 % des patients pourront être rassurés, car c’était un «faux positif».
Et parmi ceux chez lesquels des cellules cancéreuses auront été mises en évidence, combien vont bénéficier de ce diagnostic en terme d’augmentation de l’espérance de vie, avec quelle qualité de vie, car risques d’impuissance et d’incontinence sont réels, et combien auront été traités pour une maladie qui n’aurait jamais mis leur vie en danger?
Ces questions, il faut que les médecins se les posent. Tout comme il faut que les hommes qui souhaitent bénéficier d’un test de dépistage soient informés de façon objective sur les bénéfices et les effets négatifs de cette démarche.
Professeur Anne Vandenbroucke , Unité de Prévention et dépistage du cancer UCL
Adresse de l’auteur: Unité de Prévention et dépistage du cancer UCL, Ecole de santé publique, Clos Chapelle-aux-Champs 30/30.51, 1200 Bruxelles
Sites intéressants: http://www.cancerscreening.nhs.uk/prostate/index.html et http://www.esculape.com/info_patients/psa_explication.html (1) Le test PSA est un dosage sanguin de l’antigène prostatique spécifique.