Novembre 2024 Par Déborah FLUSIN Initiatives Non classé

Une poupée Barbie déguisée en mère Noël se penche pour vomir dans les toilettes. Au-dessus d’elle, se déploie un slogan frappant « Bois ou ne bois pas, c’est toi qui vois ! ». C’est l’affiche d’une exposition immersive sur l’alcool baptisée « Sans pression » réalisée par et pour les étudiants. Après une première édition qui s’est tenue du 7 au 18 octobre à Bruxelles, elle cherche à se prolonger dans de nouveaux lieux. 

affiche expo sans pression 1

L’injonction à boire de l’alcool est inhérente à la vie estudiantine. Cinq étudiants en Master de communication culturelle et sociale (MACCS) à l’Institut des Hautes Etudes des Communications Sociales (IHECS) ont choisi de démonter cette pression et d’y consacrer une exposition immersive dans le cadre de leurs travaux de fin d’études. Elle s’adresse aux 18-25 ans et aborde de manière ludique les facteurs qui influencent les jeunes et les étudiants à boire de l’alcool.  

La collaboration a débuté en 2023. Dans le cadre de leur mémoire médiatique, Julie Delberghe, Shana Hourez, Clara Lebrun, Arthur Simon, Inès Wéry voulaient travailler ensemble sur l’alcool. « Mais le sujet est vaste, il y a beaucoup d’angles, la santé, la famille, la société… Ce qui nous a le plus parlé ça a été la pression sociale » raconte Clara. 

Ne pas boire et devoir se justifier 

Les étudiant.es ont pensé et mis en commun leurs expériences et leurs vécus. « Je consomme de l’alcool, oui, dit Shana. Mais parfois je n’ai pas envie de boire car je dois prendre le volant, ou j’ai des soucis de santé, ou tout simplement, parce que je n’ai pas envie. Et à chaque fois, on doit se justifier, et c’est « ah bah t’es nulle » et toute des phrases clichées. On voulait vraiment relever qu’on ne peut pas dire qu’on n’a pas envie d’alcool sans être jugé, sans devoir se justifier ».   

Et en effet, la part de la pression sociale à consommer de l’alcool peut peser parfois très lourd, au point d’adopter un comportement non par envie mais par volonté de se conformer et de s’intégrer au groupe de pair. Dans une étude réalisée par l’Agence de Sécurité Routière Wallonne en 2022, 40% des jeunes wallons (18-34 ans) pensent que ne pas boire en soirée est mal perçu. Et cette perception de la pression sociale rejoint les pratiques puisqu’un Wallon sur trois déclare consommer plus qu’il ne le souhaite, et un sur quatre déclare boire de l’alcool alors qu’il ne le souhaite pas parce que les personnes qui l’accompagne l’y ont poussé. (voir l’encadré ci-dessous) 

Pour les étudiant.es, les sorties sont les occasions au cours desquelles il est le plus difficile de résister à la pression de l’entourage et de l’environnement à consommer de l’alcool. Selon l’Observatoire de la vie étudiante, un étudiant sur quatre estime ne pas pouvoir y résister dans ce contexte et plus d’un tiers déclare que leur consommation d’alcool a augmenté depuis leur entrée à l’Université, selon l’Enquête sur les assuétudes publiée en septembre 2023 de l’Observatoire de la vie étudiante. 

Immersion dans la guindaille ordinaire 

De septembre à décembre 2023, les cinq étudiant.es ont d’abord travaillé le cadrage théorique de leur sujet : recueil de données, rencontre avec le médecin et alcoologue Thomas Orban, le chercheur Pierre Maurage et le psychologue et addictologue Maurizio Frisina. Une fois le contenu récolté sur le sujet, ils ont entamé leurs réflexions sur le dispositif à mettre en place. Pour aborder la pression sociale à boire de l’alcool dans le milieu étudiant, ils ont choisi de se concentrer sur les moments où il est le plus difficile d’y résister : les soirées. Appuyés par un crowfunding, et l’obtention d’une Bourse Canon, ils ont imaginé une exposition immersive dans une soirée-type.  

Trois objectifs sous-tendent l’exposition : conscientiser sur les conditionnements sociaux qui poussent à boire de l’alcool, augmenter les connaissances sur les facteurs d’influence, et modifier les comportements de consommation. « Ne pas être barbant ni moralisateur », précise Clara, pour déterminer le contenu et la mise en place de l’exposition. 

L’exposition retrace les six étapes d’une soirée de guindaille ordinaire : l’invitation, l’organisation, la pré-soirée, la soirée, l’after et le lendemain. La narration chronologique permet de développer différents axes comme les pressions sociales des pairs et de l’environnement, en particulier celle des médias et du lobbying alcoolier, à chaque moment-clé du déroulement de la soirée, suivi de conseils et de messages de prévention pour le lendemain. Il s’agit de montrer comment l’influence à consommer est systémique. 

Prendre le contrepied des alcooliers 

Cette narration inclut des supports médiatiques interactifs comme les jeux, quizz, sondage d’opinion, et des supports plus contemplatifs comme les vidéos de témoignages et les panneaux de lecture. Le caractère transmédia de l’exposition a été choisi afin que « la lecture soit entrelacée de jeux, de vidéo, etc. pour permettre une meilleure acquisition de l’information » explique Arthur.  

L’inscription du dispositif dans l’univers de l’alcool festif et de ses rituels permet de « jouer sur les codes de la soirée festive : chaque élément se rapporte au décor de l’univers festif en apportant de l’information sur le support, ou joue sur ces codes de l’alcool, de nos habitudes de consommation » détaille Arthur. L’information est ainsi incrustée sur des bouteilles, dans des cuvettes de toilettes, un abribus reconstitué ou encore dans des jeux de soirée, autant d’éléments appartenant à l’univers de la fête. 

Le jeu sur les codes de la guindaille s’ancre dans une charte graphique qui donne l’impression ludique et humoristique de prendre parfois le contrepied des alcooliers. Le dispositif fonctionne comme une marque qui résiste à la pression dans l’univers festif. Il est pensé pour susciter questionnements et réflexions sur soi et sur son environnement en déconstruisant les mécanismes qui poussent à consommer de l’alcool et ainsi à se réapproprier son consentement mais aussi à respecter celui de l’autre. Son slogan : « Bois ou ne bois pas, c’est toi qui vois ! ». 

En quête de perspectives 

En attendant les résultats de l’évaluation de leur projet, durant les heures d’ouverture de l’exposition, leurs créateurs assurent une permanence où ils rencontrent les visiteurs, des cercles qui viennent en groupe s’informer ou encore des acteurs de la santé. Cette permanence leur a permis de récolter les réactions « à chaud » et de disposer d’un espace de discussion autour de leur projet et des consommations d’alcool.  

Selon les retours des visiteurs, un des points forts du dispositif est d’avoir su choisir les bonnes expressions, de saisir la culture de la guindaille, car d’une région à l’autre, et d’un cercle à l’autre les expressions peuvent différer. L’exposition est visible sur Instagram. Ses créateurs souhaitent que d’autres acteurs s’en saisissent ou l’accueillent. Force est de constater qu’elle rappelle aux acteurs de la santé à quel point associer les publics destinataires est essentiel pour aller à leur rencontre.  

Pour faire venir l’exposition, vous pouvez contacter les auteur.es du projet :  Julie Delberghe, Shana Hourez, Clara Lebrun, Arthur Simon, Inès Wéry sur l’adresse mail : sans.pression.pro@gmail.com

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L’alcool en Belgique : une consommation répandue, problématique et banalisée 

La Belgique se situe au-dessus de la moyenne européenne en termes de consommation d’alcool. Chaque année, les Belges âgés de 15 ans et plus boivent 10,3 litres d’alcool pur, contre 9,2 litres pour les pays européens qui sont les plus gros consommateurs et producteurs au monde.  

Ces statistiques sont le signe que la consommation d’alcool est culturellement et socialement ancrée. Elle occupe une place quasi « naturelle », et surtout impensée, dans nombre d’interactions sociales, et associé à l’univers festif et à la convivialité, selon l’OMS.

La consommation d’alcool y est répandue et banalisée puisque 82% des personnes âgées de 15 ans et plus consomment et 45% des 15-24 ans ont commencé à en consommer avant 16 ans, comme le montrait l’Enquête de santé 2018 de Sciensano. Si la tendance ces 40 dernières années est à une baisse globale des quantités consommées, il n’en reste pas moins que les consommations les plus préjudiciables pour la santé comme le binge drinking (6 unités en 2h pour les hommes, 4h pour les femmes) ou l’hyper-alcoolisation (6 unités ou plus par occasion) n’ont pas baissé et restent à des niveaux élevés. Or, ces types de consommation sont d’abord pratiqués par les jeunes et les hommes.  

Les jeunes (15-24 ans) qui boivent de l’alcool ont en effet tendance à concentrer sa consommation sur un à deux jours par semaine, le plus souvent lors des sorties. A ces occasions, ils boivent des quantités équivalentes à celles que consomment les adultes plus âgés mais réparties sur tous les jours de la semaine ou presque, avec une consommation par occasion plus modérée. Les profils de consommation et des risques pour la santé varient avec l’âge (lire notre article SATRAQ – Pour une réduction de la consommation d’alcool au quotidien).  

D’où l’importance de messages de santé publique différenciés selon les profils de consommation et les publics visés. L’abus d’alcool au cours d’une même occasion est donc plus courant et plus fréquent chez les plus jeunes : 37,5% des 15-24 ans s’hyper-alcoolisent au minimum une fois par mois, 19,7% pratiquent le binge drinking tous les mois voire chaque semaine, et 1 jeune sur 10 présente une consommation problématique d’alcool. 

A lire :

Global status report on alcohol and health and treatment of substance use disorders. Geneva: World Health Organization, 2024