Officiellement, l’Algérie ne serait que faiblement touchée par le sida. Mais cette maladie reste cachée parce que des malades craignent d’être discriminés. Des médecins refusent de s’occuper d’eux, par peur de la contamination.
La trentaine révolue et le corps frêle, Zoubida fulmine: ‘ C’est à cause de ces pseudo – médecins que , l’an dernier , j’ai perdu ma fille . Prétextant le manque de place , aucun établissement sanitaire d’Alger n’a voulu m’admettre pour accoucher . Allongée par terre dans le hall d’une polyclinique , j’ai donné naissance sans assistance médicale . Un médecin est seulement venu couper le cordon ombilical . Quelques jours plus tard , ma fille est décédée .’
Zoubida affirme avoir été refusée parce qu’elle est porteuse du virus du sida et qu’en Algérie, des personnes comme elles sont exclues des soins par certains médecins. ‘ Des malades sont victimes d’une discrimination de la part du corps médical . Les femmes enceintes infectées par le VIH ne sont pas admises dans la plupart des structures sanitaires pour accoucher . La majorité des dentistes , chirurgiens , néphrologues , réanimateurs et autres praticiens refusent catégoriquement de prendre en charge ces malades ‘, affirme une source crédible, bénévole depuis dix ans dans le mouvement associatif, qui souhaite conserver l’anonymat.
Ainsi, interventions chirurgicales, séances d’hémodialyse, soins dentaires, endoscopies… sont refusés quotidiennement aux malades, dont certains finissent par cacher leur infection. ‘ Cette attitude irresponsable des médecins n’encourage guère le dépistage ‘, ajoute-t-elle. Ce qui favorise la propagation du virus.
Manque d’hygiène
Du coup, les statistiques algériennes en matière de sida risquent d’être sous-estimées. Les dernières en date données par Onusida (2005) indiquent un taux de prévalence de 0,1 % pour les 15-49 ans; 19 000 personnes vivraient avec la maladie. Mais le bilan 2006 de l’organisation signale aussi que la collecte des données s’améliore en Algérie, ce qui peut faire monter les chiffres. A Alger, la capitale de 3 millions d’habitants, seules 500 personnes sont en traitement, dont 19 enfants, indique Zaheira Merah , présidente de l’association El – Hayet (La vie) qui regroupe des personnes vivant avec le VIH. Des chiffres relativement faibles, car ils occulteraient le grand nombre de personnes malades ou porteuses du sida qui ne se font pas connaître, par crainte d’être victimes de discrimination ou de rejet. ‘ Des médecins qui refusent de prendre en charge un sidéen ou un séropositif , cela existe en Algérie , et ce , en dépit de la promulgation d’un décret ministériel qui stipule que toute personne , quelle que soit sa maladie , a droit à une prise en charge médicale ‘, précise Mme Merah.
Les médecins que nous avons interrogés, sans démentir clairement, soulèvent le problème du manque de matériel d’hygiène, qui expliquerait leur méfiance. Par exemple, des gants chirurgicaux qui couvrent insuffisamment les bras. ‘ Il y a quelques mois , une sage – femme a été infectée par ce virus en assistant une sidéenne à accoucher , et ce , à cause du manque de matériel garantissant l’hygiène ‘, rapporte l’un d’eux.
Les personnes à la fois porteuses du sida et toxicomanes sont doublement exclues. ‘ Mon frère , hospitalisé en psychiatrie pour une cure de désintoxication , a été mis à la porte dès que ses analyses ont révélé une infection au VIH ‘, témoigne un homme, avant de relever une autre anomalie: ‘ De plus en plus de chirurgiens demandent une sérologie VIH avant de procéder à une intervention chirurgicale . Certains services de chirurgie vont jusqu’à pratiquer le test à l’insu du patient , alors que la loi est claire : le dépistage doit être volontaire . Nous avons connaissance de cas où le médecin a refusé d’opérer parce que le malade a refusé de pratiquer ce test .’
Difficile à prouver
Samia Lounnas Belacel , administratrice d’Onusida pour l’Algérie, reconnaît l’existence de ce type de comportement, mais précise aussitôt qu’ils sont ‘ d’initiative personnelle , pas gouvernementale ‘. Catégorique, elle ajoute: ‘ La réglementation en vigueur n’oblige pas les personnes porteuses du VIH à déclarer leur maladie . Nul ne doit être stigmatisé parce qu’il a déclaré sa séropositivité .’ D’un autre côté, ‘ il faut aussi garantir aux professionnels de la santé les moyens matériels nécessaires pour se protéger ( gants chirurgicaux , stérilisateurs , boîte pour détruire les aiguilles …) ajoute-t-elle. L’Algérie a mis en place un plan national pour lutter contre le sida , qui comporte l’amélioration de la prévention en milieu de soin et la protection des professionnels de la santé .’
Parmi les mesures prises figure l’introduction de la gestion et de l’analyse sociologique de cette maladie dans le cursus universitaire des médecins et des infirmiers, en plus de la dimension médicale pure. Légalement, la discrimination médicale est condamnable, mais elle est difficile à prouver et donc à chiffrer. Et les médecins ont du poids dans la société…
Malika Belgacem , InfoSud – Syfia Algérie